Le vicomte de Bragelonne, Tome IV.. Dumas Alexandre

Le vicomte de Bragelonne, Tome IV. - Dumas Alexandre


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deux bras.

      L'arrivée du visiteur ne le fit point changer de posture; il attendait ou dormait. Aramis alluma la bougie à l'aide du falot, repoussa doucement le fauteuil et s'approcha du lit avec un mélange visible d'intérêt et de respect.

      Le jeune homme souleva la tête.

      – Que me veut-on? demanda-t-il.

      – N'avez-vous pas désiré un confesseur?

      – Oui.

      – Parce que vous êtes malade?

      – Oui.

      – Bien malade?

      Le jeune homme attacha sur Aramis des yeux pénétrants, et dit:

      – Je vous remercie.

      Puis, après un silence:

      – Je vous ai déjà vu, continua-t-il.

      Aramis s'inclina. Sans doute, l'examen que le prisonnier venait de faire, cette révélation d'un caractère froid, rusé et dominateur, empreint sur la physionomie de l'évêque de Vannes, était peu rassurant dans la situation du jeune homme; car il ajouta:

      – Je vais mieux.

      – Alors? demanda Aramis.

      – Alors, allant mieux, je n'ai plus le même besoin d'un confesseur, ce me semble.

      – Pas même du cilice que vous annonçait le billet que vous avez trouvé dans votre pain?

      Le jeune homme tressaillit; mais, avant qu'il eût répondu ou nié:

      – Pas même, continua Aramis, de cet ecclésiastique de la bouche duquel vous avez une importante révélation à attendre?

      – S'il en est ainsi, dit le jeune homme en retombant sur son oreiller, c'est différent; j'écoute.

      Aramis alors le regarda plus attentivement et fut surpris de cet air de majesté simple et aisée qu'on n'acquiert jamais, si Dieu ne l'a mis dans le sang ou dans le coeur.

      – Asseyez-vous, monsieur, dit le prisonnier.

      Aramis obéit en s'inclinant.

      – Comment vous trouvez-vous à la Bastille? demanda l'évêque.

      – Très bien.

      – Vous ne souffrez pas?

      – Non.

      – Vous ne regrettez rien?

      – Rien.

      – Pas même la liberté?

      – Qu'appelez-vous la liberté, monsieur, demanda le prisonnier avec l'accent d'un homme qui se prépare à une lutte.

      – J'appelle la liberté, les fleurs, l'air, le jour, les étoiles, le bonheur de courir où vous portent vos jambes nerveuses de vingt ans.

      Le jeune homme sourit; il eût été difficile de dire si c'était de résignation ou de dédain.

      – Regardez, dit-il, j'ai là, dans ce vase du Japon, deux roses, deux belles roses, cueillies hier au soir en boutons dans le jardin du gouverneur; elles sont écloses ce matin et ont ouvert sous mes yeux leur calice vermeil; avec chaque pli de leurs feuilles, elles ouvraient le trésor de leur parfum; ma chambre en est tout embaumée. Ces deux roses, voyez-les: elles sont belles parmi les roses; et les roses sont les plus belles des fleurs. Pourquoi donc voulez-vous que je désire d'autres fleurs, puisque j'ai les plus belles de toutes?

      Aramis regarda le jeune homme avec surprise.

      – Si les fleurs sont la liberté, reprit mélancoliquement le captif, j'ai donc la liberté, puisque j'ai les fleurs.

      – Oh! mais l'air! s'écria Aramis; l'air si nécessaire à la vie?

      – Eh bien! monsieur, approchez-vous de la fenêtre continua le prisonnier; elle est ouverte. Entre le ciel et la terre, le vent roule ses tourbillons de glace, de feu, de tièdes vapeurs ou de douces brises. L'air qui vient de là caresse mon visage, quand, monté sur ce fauteuil, assis sur le dossier, le bras passé autour du barreau qui me soutient, je me figure que je nage dans le vide.

      Le front d'Aramis se rembrunissait à mesure que parlait le jeune homme.

      – Le jour? continua-t-il. J'ai mieux que le jour, j'ai le soleil, un ami qui vient tous les jours me visiter sans la permission du gouverneur, sans la compagnie du guichetier. Il entre par la fenêtre, il trace dans ma chambre un grand carré long qui part de la fenêtre même et va mordre la tenture de mon lit jusqu'aux franges. Ce carré lumineux grandit de dix heures à midi, et décroît de une heure à trois, lentement, comme si, ayant eu hâte de venir, il avait regret de me quitter. Quand son dernier rayon disparaît, j'ai joui quatre heures de sa présence. Est-ce que ça ne suffit pas? on m'a dit qu'il y avait des malheureux qui creusaient des carrières, des ouvriers qui travaillaient aux mines, et qui ne le voyaient jamais.

      Aramis s'essuya le front.

      – Quant aux étoiles, qui sont douces à voir, continua le jeune homme, elles se ressemblent toutes, sauf l'éclat et la grandeur. Moi, je suis favorisé; car, si vous n'eussiez allumé cette bougie, vous eussiez pu voir la belle étoile que je voyais de mon lit avant votre arrivée, et dont le rayonnement caressait mes yeux.

      Aramis baissa la tête: il se sentait submergé, sous le flot amer de cette sinistre philosophie qui est la religion de la captivité.

      – Voilà donc pour les fleurs, pour l'air, pour le jour et pour les étoiles, dit le jeune homme avec la même tranquillité. Reste la promenade. Est-ce que, toute la journée, je ne me promène pas dans le jardin du gouverneur s'il fait beau, ici s'il pleut, au frais s'il fait chaud, au chaud s'il fait froid, grâce à ma cheminée pendant l'hiver? Ah! croyez-moi, monsieur, ajouta le prisonnier avec une expression qui n'était pas exempte d'une certaine amertume, les hommes ont fait pour moi tout ce que peut espérer, tout ce que peut désirer un homme.

      – Les hommes, soit! dit Aramis en relevant la tête; mais il me semble que vous oubliez Dieu.

      – J'ai, en effet, oublié Dieu, répondit le prisonnier sans s'émouvoir; mais, pourquoi me dites-vous cela? À quoi bon parler de Dieu aux prisonniers?

      Aramis regarda en face ce singulier jeune homme qui avait la résignation d'un martyr avec le sourire d'un athée.

      – Est-ce que Dieu n'est pas dans toutes choses? murmura-t-il d'un ton de reproche.

      – Dites au bout de toute chose, répondit le prisonnier fermement.

      – Soit! dit Aramis; mais revenons au point d'où nous sommes partis.

      – Je ne demande pas mieux, fit le jeune homme.

      – Je suis votre confesseur.

      – Oui.

      – Eh bien! comme mon pénitent, vous me devez la vérité.

      – Je ne demande pas mieux que de vous la dire.

      – Tout prisonnier a commis le crime qui l'a fait mettre en prison. Quel crime avez-vous commis, vous?

      – Vous m'avez déjà demandé cela, la première fois que vous m'avez vu, dit le prisonnier.

      – Et vous avez éludé ma réponse, cette fois, comme aujourd'hui.

      – Et pourquoi, aujourd'hui, pensez-vous que je vous répondrai?

      – Parce que, aujourd'hui, je suis votre confesseur.

      – Alors, si vous voulez que je vous dise quel crime j'ai commis, expliquez-moi ce que c'est qu'un crime. Or, comme je ne sais rien en moi qui me fasse des reproches, je dis que je ne suis pas criminel.

      – On est criminel parfois aux yeux des grands de la terre, non seulement pour avoir commis des crimes, mais parce que l'on sait que des crimes ont été commis.

      Le prisonnier prêtait une attention extrême.

      – Oui, dit-il après un moment de silence, je comprends; oui, vous avez raison, monsieur; il se pourrait bien que, de


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