Le vicomte de Bragelonne, Tome IV.. Dumas Alexandre

Le vicomte de Bragelonne, Tome IV. - Dumas Alexandre


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criant toujours: «Perronnette! Perronnette!» Les fenêtres de la salle basse donnaient sur la cour; les volets de ces fenêtres étaient fermés; mais, par une fente du volet, je vis mon gouverneur s'approcher d'un large puits situé presque au- dessous des fenêtres de son cabinet de travail. Il se pencha sur la margelle, regarda dans le puits, et poussa un nouveau cri en faisant de grands gestes effarés. D'où j'étais, je pouvais non seulement voir, mais encore entendre. Je vis donc, j'entendis donc.

      – Continuez, monseigneur, je vous en prie, dit Aramis.

      « – Dame Perronnette accourait aux cris de mon gouverneur. Il alla au-devant d'elle, la prit par le bras et l'entraîna vivement vers la margelle; après quoi, se penchant avec elle dans le puits, il lui dit:

      – Regardez, regardez, quel malheur!

      – Voyons, voyons, calmez-vous, disait dame Perronnette; qu'y a-t- il?

      – Cette lettre, criait mon gouverneur, voyez-vous cette lettre?

      Et il étendait la main vers le fond du puits.

      – Quelle lettre? demanda la nourrice.

      – Cette lettre que vous voyez là-bas, c'est la dernière lettre de la reine.

      À ce mot je tressaillis. Mon gouverneur, celui qui passait pour mon père, celui qui me recommandait sans cesse la modestie et l'humilité, en correspondance avec la reine!

      – La dernière lettre de la reine? s'écria dame Perronnette sans paraître étonnée autrement que de voir cette lettre au fond du puits. Et comment est elle là?

      – Un hasard, dame Perronnette, un hasard étrange! Je rentrais chez moi; en rentrant, j'ouvre la porte; la fenêtre de son côté était ouverte; un courant d'air s'établit; je vois un papier qui s'envole, je reconnais que ce papier, c'est la lettre de la reine; je cours à la fenêtre en poussant un cri; le papier flotte un instant en l'air et tombe dans le puits.

      – Eh bien! dit dame Perronnette, si la lettre est tombée dans le puits, c'est comme si elle était brûlée, et, puisque la reine brûle elle-même toutes ses lettres, chaque fois qu'elle vient…»

      Chaque fois qu'elle vient! Ainsi cette femme qui venait tous les mois, c'était la reine? interrompit le prisonnier.

      – Oui, fit de la tête Aramis.

      « – Sans doute, sans doute, continua le vieux gentilhomme, mais cette lettre contenait des instructions. Comment ferai-je pour les suivre?

      – Écrivez vite à la reine, racontez-lui la chose comme elle s'est passée, et la reine vous écrira une seconde lettre en place de celle-ci.

      – Oh! la reine ne voudra pas croire à cet accident, dit le bonhomme en branlant la tête; elle pensera que j'ai voulu garder cette lettre, au lieu de la lui rendre comme les autres, afin de m'en faire une arme. Elle est si défiante, et M. de Mazarin si… Ce démon d'Italien est capable de nous faire empoisonner au premier soupçon!»

      Aramis sourit avec un imperceptible mouvement de tête.

      « – Vous savez, dame Perronnette, tous les deux sont si ombrageux à l'endroit de Philippe!»

      Philippe, c'est le nom qu'on me donnait, interrompit le prisonnier.

      « – Eh bien! alors, il n'y a pas à hésiter, dit dame Perronnette, il faut faire descendre quelqu'un dans le puits.

      – Oui, pour que celui qui rapportera le papier y lise en remontant.

      – Prenons, dans le village, quelqu'un qui ne sache pas lire; ainsi vous serez tranquille.

      – Soit; mais celui qui descendra dans le puits ne devinera-t-il pas l'importance d'un papier pour lequel on risque la vie d'un homme? Cependant vous venez de me donner une idée, dame Perronnette; oui, quelqu'un descendra dans le puits, et ce quelqu'un sera moi.

      Mais, sur cette proposition, dame Perronnette se mit à s'éplorer et à s'écrier de telle façon, elle supplia si fort en pleurant le vieux gentilhomme, qu'il lui promit de se mettre en quête d'une échelle assez grande pour qu'on pût descendre dans le puits, tandis qu'elle irait jusqu'à la ferme chercher un garçon résolu, à qui l'on ferait accroire qu'il était tombé un bijou dans le puits, que ce bijou était enveloppé dans du papier, et, comme le papier, remarqua mon gouverneur, se développe à l'eau, il ne sera pas surprenant qu'on ne retrouve que la lettre tout ouverte.

      – Elle aura peut-être déjà eu le temps de s'effacer dit dame

      Perronnette.

      – Peu importe, pourvu que nous ayons la lettre. En remettant la lettre à la reine, elle verra bien que nous ne l'avons pas trahie, et, par conséquent, n'excitant pas la défiance de M. de Mazarin, nous n'aurons rien à craindre de lui.»

      Cette résolution prise, ils se séparèrent. Je repoussai le volet, et, voyant que mon gouverneur s'apprêtait à rentrer, je me jetai sur mes coussins avec un bourdonnement dans la tête, causé par tout ce que je venais d'entendre.

      Mon gouverneur entrebâilla la porte quelques secondes après que je m'étais rejeté sur mes coussins, et, me croyant assoupi, la referma doucement.

      À peine fut-elle refermée, que le me relevai et prêtant l'oreille, j'entendis le bruit des pas qui s'éloignaient. Alors je revins à mon volet, et je vis sortir mon gouverneur et dame Perronnette.

      J'étais seul à la maison.

      Ils n'eurent pas plutôt refermé la porte, que, sans prendre la peine de traverser le vestibule, je sautai par la fenêtre et courus au puits.

      Alors, comme s'était penché mon gouverneur, je me penchai à mon tour.

      Je ne sais quoi de blanchâtre et de lumineux tremblotait dans les cercles frissonnants de l'eau verdâtre Ce disque brillant me fascinait et m'attirait. Mes yeux étaient fixes, ma respiration haletante. Le puits m'aspirait avec sa large bouche et son haleine glacée: il me semblait lire au fond de l'eau des caractères de feu tracés sur le papier qu'avait touché la reine.

      Alors, sans savoir ce que je faisais, et animé par un de ces mouvements instinctifs qui vous poussent sur les pentes fatales, je roulai une extrémité de la corde au pied de la potence du puits, je laissai pendre le seau jusque dans l'eau, à trois pieds de profondeur à peu près, tout cela en me donnant bien du mal pour ne pas déranger le précieux papier, qui commençait à changer sa couleur blanchâtre contre une teinte verdâtre, preuve qu'il s'enfonçait, puis, un morceau de toile mouillée entre les mains, je me laissai glisser dans l'abîme.

      Quand je me vis suspendu au-dessus de cette flaque d'eau sombre, quand je vis le ciel diminuer au-dessus de ma tête, le froid s'empara de moi, le vertige me saisit et fit dresser mes cheveux; mais ma volonté domina tout, terreur et malaise. J'atteignis l'eau, et je m'y plongeai d'un seul coup, me retenant d'une main, tandis que j'allongeais l'autre, et que je saisissais le précieux papier, qui se déchira en deux entre mes doigts.

      Je cachai les deux morceaux dans mon justaucorps, et, m'aidant des pieds aux parois du puits, me suspendant des mains, vigoureux, agile, et pressé surtout, je regagnai la margelle, que j'inondai en la touchant de l'eau qui ruisselait de toute la partie inférieure de mon corps.

      Une fois hors du puits avec ma proie, je me mis à courir au soleil, et j'atteignis le fond du jardin, où se trouvait une espèce de petit bois. C'est là que je voulais me réfugier.

      Comme je mettais le pied dans ma cachette, la cloche qui retentissait lorsque s'ouvrait la grand-porte sonna. C'était mon gouverneur qui rentrait. Il était temps!

      Je calculai qu'il me restait dix minutes avant qu'il m'atteignît, si, devinant où j'étais, il venait droit à moi; vingt minutes, s'il prenait la peine de me chercher.

      C'était assez pour lire cette précieuse lettre, dont je me hâtai de rapprocher les deux fragments. Les caractères commençaient à s'effacer.

      Cependant, malgré tout, je parvins à déchiffrer la lettre.

      – Et qu'y avez-vous lu, monseigneur? demanda Aramis vivement intéressé.

      – Assez de choses


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