La San-Felice, Tome 02. Dumas Alexandre

La San-Felice, Tome 02 - Dumas Alexandre


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à coup un cor de chasse, embouché par deux lèvres puissantes et animé par une vigoureuse haleine, commença de sonner le lancer dans la cour du palais, sur laquelle donnaient les fenêtres de la chambre du conseil, et cela avec une telle vigueur, que les vitres en tremblèrent et que ministres et conseillers, ne comprenant rien à cette fanfare inattendue, se regardèrent avec étonnement.

      Puis tous les yeux se reportèrent sur le roi, comme pour lui demander l'explication de cette interruption cynégétique.

      Mais le roi paraissait aussi étonné que les autres et Jupiter aussi étonné que le roi.

      Ferdinand écouta un instant comme s'il doutait de lui-même.

      Puis:

      – Que fait donc ce drôle? dit-il. Il doit savoir cependant que la chasse est contremandée; pourquoi donne-t-il le premier signal?

      Le piqueur continuait de sonner avec fureur.

      Le roi se leva très-agité; il était visible qu'il se livrait en lui-même un combat violent.

      Il alla à la fenêtre et l'ouvrit.

      – Veux-tu te taire, imbécile! cria-t-il.

      Puis, refermant la fenêtre avec humeur, il revint, toujours suivi de Jupiter, reprendre sa place sur son fauteuil.

      Mais, pendant le mouvement qu'il avait fait, un nouveau personnage était entré en scène sous la protection de la reine; celle-ci, en effet, pendant que le roi parlait à son piqueur, était allée ouvrir la porte de ses appartements qui donnait sur la salle du conseil, et l'avait introduit.

      Chacun regardait avec surprise cet inconnu, et le roi avec non moins de surprise que les autres.

      XXIII

      LE GÉNÉRAL BARON CHARLES MACK

      Celui qui causait cet étonnement général était un homme de quarante-cinq à quarante-six ans, grand, blond, pâle, portant l'uniforme autrichien, les insignes de général, et, entre autres décorations, les plaques et les cordons de Marie-Thérèse et de Saint-Janvier.

      – Sire, dit la reine, j'ai l'honneur de présenter à Votre Majesté le baron Charles Mack, qu'elle vient de nommer général en chef de ses armées.

      – Ah! général, dit le roi en regardant avec un certain étonnement l'ordre de Saint-Janvier, dont le général était décoré et que le roi ne se rappelait pas lui avoir donné, enchanté de faire votre connaissance.

      Et il échangea avec Ruffo un coup d'oeil qui voulait dire: «Attention!»

      Mack s'inclina profondément, et sans doute allait-il répondre à ce compliment du roi, lorsque la reine, prenant la parole:

      – Sire, dit-elle, j'ai cru que nous ne devions pas attendre l'arrivée du baron à Naples pour lui donner un signe de la considération que vous avez pour lui, et, avant qu'il quittât Vienne, je lui ai fait remettre, par votre ambassadeur, les insignes de votre ordre de Saint-Janvier.

      – Et moi, sire, dit le baron avec un enthousiasme un peu trop théâtral pour être vrai, plein de reconnaissance pour les bontés de Votre Majesté, je suis venu avec la promptitude de l'éclair lui dire: Sire, cette épée est à vous.

      Mack tira son épée du fourreau, le roi recula son fauteuil. Comme Jacques Ier, il n'aimait pas la vue du fer.

      Mack continua:

      – Cette épée est à vous et à Sa Majesté la reine, et elle ne dormira tranquille dans son fourreau que quand elle aura renversé cette infâme république française, qui est la négation de l'humanité et la honte de l'Europe. Acceptez-vous mon serment, sire? continua Mack en brandissant formidablement son épée.

      Ferdinand, peu porté de sa personne aux mouvements dramatiques, ne put s'empêcher, avec son admirable bon sens, d'apprécier tout ce que l'action du général Mack avait de ridicule forfanterie, et, avec son sourire narquois, il murmura dans son patois napolitain, qu'il savait inintelligible pour tout homme qui n'était pas né au pied du Vésuve, ce seul mot:

      – Ceuza!

      Nous voudrions bien traduire cette espèce d'interjection échappée aux lèvres du roi Ferdinand; mais elle n'a malheureusement pas d'équivalent dans la langue française. Contentons-nous de dire qu'elle tient à peu près le milieu entre fat et imbécile.

      Mack, qui, en effet, n'avait pas compris et qui attendait, l'épée à la main, que le roi acceptât son serment, se retourna assez embarrassé vers la reine.

      – Je crois, dit Mack à la reine, que Sa Majesté m'a fait l'honneur de m'adresser la parole.

      – Sa Majesté, répondit la reine sans se déconcerter, vous a, général, par un seul mot plein d'expression, témoigné sa reconnaissance.

      Mack s'inclina, et, tandis que la figure du roi conservait son expression de railleuse bonhomie, remit majestueusement son épée au fourreau.

      – Et maintenant, dit le roi lancé sur cette pente moqueuse qu'il aimait tant à suivre, j'espère que mon cher neveu, en m'envoyant un de ses meilleurs généraux pour renverser cette infâme république française, m'a en même temps envoyé un plan de campagne arrêté par le conseil aulique.

      Cette demande, faite avec une naïveté parfaitement jouée, était une nouvelle raillerie du roi, le conseil aulique ayant élaboré les plans de la campagne de 96 et de 97, plans sur lesquels les généraux autrichiens et l'archiduc Charles lui-même avaient été battus.

      – Non, sire, répondit Mack, j'ai demandé à Sa Majesté l'empereur, mon auguste maître, carte blanche à ce sujet.

      – Et il vous l'a accordée, je l'espère? demanda le roi.

      – Oui, sire, il m'a fait cette grâce.

      – Et vous allez vous en occuper sans retard, n'est-ce pas, mon cher général? car j'avoue que j'en attends avec impatience la communication.

      – C'est chose faite, répondit Mack avec l'accent d'un homme parfaitement satisfait de lui-même.

      – Ah! dit Ferdinand redevenant de bonne humeur, selon sa coutume, quand il trouvait quelqu'un à railler, vous l'entendez, messieurs. Avant même que le citoyen Garat nous eût déclaré la guerre au nom de l'infâme république française, l'infâme république française, grâce au génie de notre général en chef, était déjà battue. Nous sommes véritablement sous la protection de Dieu et de saint Janvier. Merci, mon cher général, merci.

      Mack, tout gonflé du compliment qu'il prenait à la lettre, s'inclina devant le roi.

      – Quel malheur, s'écria celui-ci, que nous n'ayons point là une carte de nos États et des États romains, pour suivre les opérations du général sur cette carte. On dit que le citoyen Buonaparte a, dans son cabinet de la rue Chantereine, à Paris, une grande carte sur laquelle il désigne d'avance à ses secrétaires et à ses aides de camp les points sur lesquels il battra les généraux autrichiens; le baron nous eût désigné d'avance ceux sur lesquels il battra les généraux français. Tu feras faire pour le ministère de la guerre, et tu mettras à la disposition du baron Mack, une carte pareille à celle du citoyen Buonaparte, tu entends, Ariola?

      – Inutile de prendre cette peine, sire, j'en ai une excellente.

      – Aussi bonne que celle du citoyen Buonaparte? demanda le roi.

      – Je le crois, répondit Mack d'un air satisfait.

      – Où est-elle, général? reprit le roi, où est-elle? Je meurs d'envie de voir une carte sur laquelle on bat l'ennemi d'avance.

      Mack donna à un huissier l'ordre de lui apporter son portefeuille, qu'il avait laissé dans la chambre voisine.

      La reine, qui connaissait son auguste époux et qui n'était point dupe des compliments affectés qu'il faisait à son protégé, craignant que celui-ci ne s'aperçût qu'il servait de quintaine à l'humeur caustique du roi, objecta que ce n'était peut-être pas le moment de s'occuper de ce détail; mais Mack, ne voulant point perdre l'occasion de faire


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