Les mille et un fantômes. Dumas Alexandre

Les mille et un fantômes - Dumas Alexandre


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de s'en accuser lui-même, dit le maire; cependant, j'espère encore que c'est un moment d'hallucination et non pas un crime réel qui le fait parler.

      – Jacquemin, dit le commissaire de police, répondez. Est-il vrai que vous ayez tué votre femme?

      Même silence.

      – En tout cas, nous allons bien voir, dit le docteur Robert; ne demeure-t-il pas impasse des Sergents?

      – Oui, répondirent les deux gendarmes.

      – Eh bien! monsieur Ledru, dit le docteur en s'adressant au maire, allons impasse des Sergents.

      – Je n'y vais pas! – je n'y vais pas! s'écria Jacquemin en s'arrachant des mains des gendarmes avec un mouvement si violent, que, s'il eût voulu fuir, il eût été, certes, à cent pas avant que personne songeât à le poursuivre.

      – Mais pourquoi n'y veux-tu pas venir? demanda le maire.

      – Qu'ai-je besoin d'y aller, puisque j'avoue tout, – puisque je vous dis que je l'ai tuée, tuée avec cette grande épée à deux mains que j'ai prise au Musée d'artillerie l'année dernière? Conduisez-moi en prison; je n'ai rien à faire là-bas, conduisez-moi en prison!

      Le docteur et M. Ledru se regardèrent.

      – Mon ami, dit le commissaire de police, qui, comme M. Ledru, espérait encore que Jacquemin était sous le poids de quelque dérangement d'esprit momentané, – mon ami, la confrontation est d'urgence; d'ailleurs il faut que vous soyez là pour guider la justice.

      – En quoi la justice a-t-elle besoin d'être guidée? dit Jacquemin; vous trouverez le corps dans la cave, et, près du corps, dans un sac de plâtre, la tête; quant à moi, conduisez-moi en prison.

      – Il faut que vous veniez, dit le commissaire de Police.

      – Oh! mon Dieu! mon Dieu! s'écria Jacquemin, en proie à la plus effroyable terreur; oh! mon Dieu! mon Dieu! si j'avais su…

      – Eh bien! qu'aurais-tu fait? demanda le commissaire de police.

      – Eh bien! je me serais tué.

      M. Ledru secoua la tête, et, s'adressant du regard au commissaire de police, il sembla lui dire: Il y a quelque chose là-dessous. – Mon ami, reprit-il en s'adressant au meurtrier, voyons, explique-moi cela, à moi.

      – Oui, à vous, tout ce que vous voudrez, monsieur Ledru, demandez, interrogez.

      – Comment se fait-il, puisque tu as eu le courage de commettre le meurtre, que tu n'aies pas celui de te retrouver en face de ta victime? Il s'est donc passé quelque chose que tu ne nous dis pas?

      – Oh! oui, quelque chose de terrible.

      – Eh bien! voyons, raconte.

      – Oh! non; vous diriez que ce n'est pas vrai, vous diriez que je suis fou.

      – N'importe! que s'est-il passé? dis-le-moi.

      – Je vais vous le dire, mais à vous. Il s'approcha de M. Ledru.

      Les deux gendarmes voulurent le retenir; mais le maire leur fit un signe, ils laissèrent le prisonnier libre.

      D'ailleurs, eût-il voulu se sauver, la chose était devenue impossible; la moitié de la population de Fontenay-aux-Roses encombrait la rue de Diane et la Grande-Rue.

      Jacquemin, comme je l'ai dit, s'approcha de l'oreille de M. Ledru. – Croyez-vous, monsieur Ledru, demanda Jacquemin à demi-voix, croyez-vous qu'une tête puisse parler, une fois séparée du corps?

      M. Ledru poussa une exclamation qui ressemblait à un cri, et pâlit visiblement.

      – Le croyez-vous? dites, répéta Jacquemin.

      M. Ledru fit un effort. – Oui, dit-il, je le crois.

      – Eh bien!.. eh bien!.. elle a parlé.

      – Qui?

      – La tête… la tête de Jeanne.

      – Tu dis?

      – Je dis qu'elle avait les yeux ouverts, – je dis qu'elle a remué les lèvres. Je dis qu'elle m'a regardé. Je dis qu'en me regardant elle m'a appelé: Misérable!

      En disant ces mots, qu'il avait l'intention de dire à M. Ledru tout seul, et qui cependant pouvaient être entendus de tout le monde, Jacquemin était effrayant.

      – Oh! la bonne charge! s'écria le docteur en riant; elle a parlé… une tête coupée a parlé. Bon, bon, bon!

      Jacquemin se retourna. – Quand je vous le dis! fit-il.

      – Eh bien! dit le commissaire de police, raison de plus pour que nous nous rendions à l'endroit où le crime a été commis. Gendarmes, emmenez le prisonnier.

      Jacquemin jeta un cri en se tordant. – Non, non, dit-il vous me couperez en morceaux si vous voulez, mais je n'irai pas.

      – Venez, mon ami, dit M. Ledru. S'il est vrai que vous ayez commis le crime terrible dont vous vous accusez, ce sera déjà une expiation. D'ailleurs, ajouta-t-il en lui parlant bas, la résistance est inutile; si vous n'y voulez pas venir de bonne volonté, ils vous y mèneront de force.

      – Eh bien! alors, dit Jacquemin, je veux bien; mais promettez-moi une chose, monsieur Ledru.

      – Laquelle?

      – Pendant tout le temps que nous serons dans la cave, vous ne me quitterez pas.

      – Non.

      – Vous me laisserez vous tenir la main.

      – Oui.

      – Eh bien! dit-il, allons!

      Et, tirant de sa poche un mouchoir à carreaux, il essuya son front trempé de sueur.

      On s'achemina vers l'impasse des Sergents.

      Le commissaire de police et le docteur marchaient les premiers, puis Jacquemin et les deux gendarmes.

      Derrière eux venaient M. Ledru et les deux hommes qui avaient apparu à sa porte en même temps que lui.

      Puis roulait, comme un torrent plein de houle et de rumeurs, toute la population à laquelle j'étais mêlé.

      Au bout d'une minute de marche à peu près, nous arrivâmes à l'impasse des Sergents. – C'était une petite ruelle située à gauche de la Grande-Rue, et qui allait en descendant jusqu'à une grande porte de bois délabrée, s'ouvrant à la fois par deux grands battants, et une petite porte, découpée dans un des deux grands battants.

      Cette petite porte ne tenait plus qu'à un gond.

      Tout, au premier aspect, paraissait calme dans cette maison; un rosier fleurissait à la porte, et, près du rosier, sur un banc de pierre; un gros chat roux se chauffait avec béatitude au soleil.

      En apercevant tout ce monde, en entendant tout ce bruit, il prit peur, se sauva et disparut par le soupirail d'une cave.

      Arrivé à la porte que nous avons décrite; Jacquemin s'arrêta.

      Les gendarmes voulurent le faire entrer de force.

      – Monsieur Ledru, dit-il en se retournant, monsieur Ledru, vous avez promis de ne pas me quitter.

      – Eh bien! me voilà, répondit le maire.

      – Votre bras! votre bras!

      Et il chancelait comme s'il eût été prêt à tomber. M. Ledru s'approcha, fit signe aux deux gendarmes de lâcher le prisonnier, et lui donna le bras.

      – Je réponds de lui, dit-il.

      Il était évident que, dans ce moment, M. Ledru n'était plus le maire de la commune, poursuivant la punition d'un crime, mais un philosophe explorant le domaine de l'inconnu.

      Seulement, son guide dans cette étrange exploration était un assassin.

      Le docteur et le commissaire de police entrèrent les premiers, puis M. Ledru et Jacquemin; puis les deux gendarmes, puis quelques privilégiés au nombre desquels


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