Les mille et un fantômes. Dumas Alexandre

Les mille et un fantômes - Dumas Alexandre


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le reste de la population, qui resta grondant au dehors.

      On s'avança vers la porte de la petite maison.

      Rien n'indiquait l'événement terrible qui s'y était passé; tout était à sa place: le lit de serge verte dans son alcôve; à la tête du lit le crucifix de bois noir, surmonté d'une branche de buis séché depuis la dernière Pâques. – Sur la cheminée, un enfant Jésus en cire, couché parmi les fleurs entre deux chandeliers de forme Louis XVI, argentés autrefois; à la muraille, quatre gravures coloriées, encadrées dans des cadres de bois noir et représentant les quatre parties du monde.

      Sur une table un couvert mis, à l'âtre un pot-au-feu bouillant, et près d'un coucou sonnant la demie une huche ouverte.

      – Eh bien! dit le docteur de son ton jovial, je ne vois rien jusqu'à présent.

      – Prenez par la porte à droite, murmura Jacquemin d'une voix sourde.

      On suivit l'indication du prisonnier, et l'on se trouva dans une espèce de cellier à l'angle duquel s'ouvrait une trappe à l'orifice de laquelle tremblait une lueur qui venait d'en bas.

      – Là, là, murmura Jacquemin en se cramponnant au bras de M. Ledru d'une main et en montrant de l'autre l'ouverture de la cave.

      – Ah! ah! dit tout bas le docteur au commissaire de police, avec ce sourire terrible des gens que rien n'impressionne, parce qu'ils ne croient à rien, il paraît que madame Jacquemin a suivi le précepte de maître Adam; et il fredonna:

      Si je meurs, que l'on m'enterre

      Dans la cave où est…

      – Silence! interrompit Jacquemin, le visage livide, les cheveux hérissés, la sueur sur le front, ne chantez pas ici!

      Frappé par l'expression de cette voix, le docteur se tut.

      Mais presque aussitôt, descendant les premières marches de l'escalier: – Qu'est-ce que cela? demanda-t-il.

      Et, s'étant baissé, il ramassa une épée à large lame.

      C'était l'épée à deux mains que Jacquemin, comme il l'avait dit, avait prise, le 29 juillet 1830, au Musée d'artillerie; la lame était teinte de sang.

      Le commissaire de police la prit des mains du docteur.

      – Reconnaissez-vous cette épée? dit-il au prisonnier.

      – Oui, répondit Jacquemin. Allez! allez! finissons-en.

      C'était le premier jalon du meurtre, que l'on venait de rencontrer.

      On pénétra dans la cave, chacun tenant le rang que nous avons déjà dit.

      Le docteur et le commissaire de police les premiers, puis M. Ledru et Jacquemin, puis les deux personnes qui se trouvaient chez lui, puis les gendarmes, puis les privilégiés, au nombre desquels je me trouvais.

      Après avoir descendu la septième marche, mon oeil plongeait dans la cave et embrassait le terrible ensemble que je vais essayer de peindre.

      Le premier objet sur lequel s'arrêtaient les yeux était un cadavre sans tête, couché près d'un tonneau, dont le robinet, ouvert à moitié, continuait de laisser échapper un filet de vin, lequel, en coulant, formait une rigole qui allait se perdre sous le chantier.

      Le cadavre était à moitié tordu, comme si le torse, retourné sur le dos, eût commencé un mouvement d'agonie que les jambes n'avaient pas pu suivre. – La robe était, d'un côté, retroussée jusqu'à la jarretière.

      On voyait que la victime avait été frappée au moment où, à genoux devant le tonneau, elle commençait à remplir une bouteille, qui lui avait échappé des mains et qui était gisante à ses côtés.

      Tout le haut du corps nageait dans une mare de sang.

      Debout sur un sac de plâtre adossé à la muraille, comme un buste sur sa colonne, on apercevait ou plutôt on devinait une tête, noyée dans ses cheveux; une raie de sang rougissait le sac, du haut jusqu'à la moitié.

      Le docteur et le commissaire de police avaient déjà fait le tour du cadavre et se trouvaient placés en face de l'escalier.

      Vers le milieu de la cave étaient les deux amis de M. Ledru et quelques curieux qui s'étaient empressés de pénétrer jusque-là.

      Au bas de l'escalier était Jacquemin qu'on n'avait pas pu faire aller plus loin que la dernière marche. Derrière Jacquemin les deux gendarmes.

      Derrière les deux gendarmes, cinq ou six personnes, au nombre desquelles je me trouvais, et qui se groupaient avec moi sur l'escalier.

      Tout cet intérieur lugubre était éclairé par la lueur tremblotante d'une chandelle posée sur le tonneau même d'où coulait le vin, et en face duquel gisait le cadavre de la femme Jacquemin.

      – Une table, une chaise, dit le commissaire de police, et verbalisons.

      III

      LE PROCÈS-VERBAL

      Les meubles demandés furent passés au commissaire de police. Il assura sa table, s'assit devant, demanda la chandelle, que le docteur lui apporta, en enjambant par-dessus le cadavre, tira de sa poche un encrier, des plumes, du papier, et commença son procès-verbal.

      Pendant qu'il écrivait le préambule, le docteur fit un mouvement de curiosité vers cette tête posée sur le sac de plâtre; mais le commissaire l'arrêta.

      – Ne touchez à rien, dit-il, la régularité avant tout.

      – C'est trop juste, dit le docteur. Et il reprit sa place.

      Il y eut quelques minutes de silence, pendant lesquelles on entendit seulement la plume du commissaire de police crier sur le papier raboteux du gouvernement, et pendant lesquelles on voyait les lignes se succéder avec la rapidité d'une formule habituelle à l'écrivain.

      Au bout que quelques lignes il leva la tête et regarda autour de lui.

      – Qui veut nous servir de témoins? demanda le commissaire de police en s'adressant au maire.

      – Mais, dit M. Ledru, indiquant ses deux amis debout, qui formaient groupe avec le commissaire de police assis, ces deux messieurs, d'abord.

      – Bien.

      Il se retourna de mon côté.

      – Puis monsieur, s'il ne lui est pas désagréable de voir figurer son nom dans un procès-verbal.

      – Aucunement, monsieur, lui répondis-je.

      – Alors, que monsieur descende, dit le commissaire de police.

      J'éprouvais quelque répugnance à me rapprocher du cadavre. D'où j'étais, certains détails, sans m'échapper tout à fait, réapparaissaient moins hideux, perdus dans une demi-obscurité qui jetait sur leur horreur le voile de la poésie.

      – Est-ce bien nécessaire? demandai-je.

      – Quoi?

      – Que je descende.

      – Non. Restez là, si vous vous y trouvez bien. Je fis un signe de tête qui exprimait: – Je désire rester où je suis.

      Le commissaire de police se tourna vers celui des deux amis de M. Ledru qui se trouvait le plus près de lui. – Vos nom, prénoms, âge, qualité, profession et domicile? demanda-t-il avec la volubilité d'un homme habitué à faire ces sortes de questions.

      – Jean-Louis Alliette, répondit celui auquel il s'adressait, dit Etteilla par anagramme, homme de lettres, demeurant rue de l'Ancienne-Comédie, n° 20.

      – Vous avez oublié de dire votre âge, dit le commissaire de police.

      – Dois-je dire l'âge que j'ai ou l'âge que l'on me donne?

      – Dites-moi votre âge, parbleu! on n'a pas deux âges.

      – C'est-à-dire, monsieur le commissaire, qu'il y a certaines personnes, Cagliostro, le comte de Saint-Germain, le Juif-Errant, par exemple…

      – Voulez-vous


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