Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu'à nos jours. Tome I. Garneau François-Xavier

Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu'à nos jours. Tome I - Garneau François-Xavier


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d'asile à ceux qui fuyaient la tyrannie du gouvernement Goth et Vendale. Ce sont les bénédictins qui ont perpétué dans leurs cloîtres le peu de connaissances qui restaient chez les barbares.

      C'est sous l'influence de cette civilisation et de ces doctrines que l'Amérique septentrionale s'est peuplée d'Européens.

      Une nouvelle phase se passa alors dans l'histoire du monde. C'était le deuxième débordement de population depuis le commencement de l'ère chrétienne. Le premier fut, on le sait, l'irruption des barbares qui précipita la chute de l'empire romain; le second fut l'émigration européenne en Amérique, qui précipita à son tour la ruine de la barbarie.

      S'il est vrai que le spectacle tant varié de l'histoire excite constamment notre intérêt, soit qu'on assiste aux époques où les nations sont à leur plus haut degré de grandeur, ou penchent vers leur déclin, soit que, se plaçant à leur naissance, l'on jette de ce point ses regards sur la longue chaîne d'événemens heureux et malheureux qui signalent leur passage sur la scène du monde; combien cet intérêt ne dut-il pas redoubler lorsqu'il y a trois siècles, on vit sortir de différens points de l'Europe, pour se diriger au-delà des mers de l'occident, ces longues processions d'humbles mais industrieux colons, dont l'avenir, enseveli dans le mystère, donnait à la fois tant d'inquiétude et tant d'espérance. L'épée avait jusque-là frayé le chemin de toutes les émigrations. «La guerre seule a découvert le monde dans l'antiquité.» L'intelligence et l'esprit de travail sont les seules armes des hardis pionniers qui vont prendre aujourd'hui possession de l'Amérique. Leurs succès rapides prouvèrent l'avantage de la paix et d'un travail libre sur la violence et le tumulte des armes pour fonder des empires riches et puissans.

      L'établissement du Canada date, des commencemens de ce grand mouvement de population vers l'ouest, mouvement dont on a cherché à apprécier les causes générales dans les observations qui précèdent, et dont la connaissance intéresse le Canada comme le reste de l'Amérique. Nous ne devons pas en effet méconnaître le point de départ et la direction du courant sous-marin qui entraîne la civilisation américaine. Cette étude est nécessaire à tous les peuples de ce continent qui s'occupent de leur avenir.

      Tel est donc, nous le répétons, le caractère de cette civilisation, et de la colonisation commencée et activée sous son influence toute-puissante. Entre les établissemens américains, ceux-là ont fait le plus de progrès qui ont été le plus à même d'en utiliser les avantages. Le Canada, quoique fondé, pour ainsi dire, sous les auspices de la religion, est une des colonies qui ont ressenti le plus faiblement cette influence, pour des raisons qu'on aura lieu d'apprécier plus d'une fois dans la suite. C'est pourquoi aussi y a-t-il peu de pays qui, avec une population aussi faible, aient déjà passé par tant de guerres, d'orages et de révolutions.

      Au surplus, dans une jeune colonie chaque fait est gros de conséquences pour l'avenir. L'on se tromperait fort gravement si l'on ne voyait dans le planteur qui abattit les forêts qui couvraient autrefois les rives du Saint-Laurent, qu'un simple bûcheron travaillant pour satisfaire un besoin momentané. Son oeuvre, si humble en apparence, devait avoir des résultats beaucoup plus vastes et beaucoup plus durables que les victoires les plus brillantes qui portaient alors si haut la renommée de Louis XIV. L'histoire de la découverte et de l'établissement du Canada, ne le cède en intérêt à celle d'aucune autre partie du continent. La hardiesse de Cartier qui vient planter sa tente au pied de la montagne d'Hochelaga, au milieu de tribus inconnues, à près de trois cents lieues de l'Océan; la persévérance de Champlain qui lutte avec une rare énergie, malgré la faiblesse de ses moyens, contre l'apathie de la France et la rigueur du climat, et qui, triomphant enfin de tous les obstacles, jette les fondemens d'un empire dont les destinées sont inconnues; les souffrances des premiers colons et leurs sanglantes guerres avec la fameuse confédération iroquoise; la découverte de presque tout l'intérieur de l'Amérique septentrionale, depuis la baie d'Hudson jusqu'au golfe du Mexique, depuis la Nouvelle-Ecosse jusqu'aux nations qui habitaient les rives occidentales du Mississipi; les expéditions guerrières des Canadiens dans le Nord, dans l'île de Terreneuve, et jusque dans la Virginie et la Louisiane; la fondation, par eux ou leurs missionnaires, des premiers établissemens européens dans les Etats du Michigan, de l'Ouisconsin, de la Louisiane et dans la partie orientale du Texas, voilà, certes, des entreprises et des faits bien dignes de notre intérêt et de celui de la postérité, et qui donnent aux premiers temps de notre histoire, un mouvement, Une variété, une richesse de couleurs, qui ne sont pas, ce nous semble, sans attraits.

      Si l'on envisage l'histoire du Canada dans son ensemble, depuis Champlain jusqu'à nos jours, on voit qu'elle se partage en deux grandes phases que divise le passage de cette colonie de la domination française à la domination anglaise, et que caractérisent, la première, les guerres des Canadiens avec les Sauvages et les provinces qui forment aujourd'hui les États-Unis; la seconde, la lutte politique et parlementaire qu'ils soutiennent encore pour leur conservation nationale. La différence des armes, entre ces deux époques militantes, nous les montre sous deux points de vue bien distincts; mais c'est sous le dernier qu'ils m'intéressent davantage. Il y a quelque chose de touchant et de noble à la fois à défendre la nationalité de ses pères, cet héritage sacré qu'aucun peuple, quelque dégradé qu'il fût, n'a jamais osé répudier publiquement. Jamais cause, non plus, et plus grande et plus sainte n'a inspiré un coeur haut placé, et mérité la sympathie des hommes généreux.

      Si la guerre a fait briller autrefois la bravoure des Canadiens avec éclat; à leur tour, les débits politiques ont fait surgir, au milieu d'eux, des noms que respectera la postérité; des hommes dont les talens, le patriotisme ou l'éloquence, sont pour nous à la fois un juste sujet d'orgueil, et une cause de digne et généreuse émulation. Les Papineau, (père), les Bedard, les Stuart, descendus dans la tombe entourés de la vénération publique, ont à ce titre pris la place distinguée que leurs compatriotes leur avaient assignée depuis longtemps dans notre histoire, comme dans leur souvenir.

      Par cela même que le Canada a été soumis à de grandes vicissitudes, qui ne sont pas de son fait, mais qui tiennent à la nature de sa dépendance coloniale, les progrès n'y marchent qu'à travers les obstacles, les secousses sociales, et une complication qu'augmentent, de nos jours, la différence des races mises en regard par la métropole, les haines, les préjugés, l'ignorance et les écarts des gouvernant et quelquefois des gouvernés. L'union des Canadas, surtout, projetée en 1822, et exécutée en 1839, n'a été qu'un moyen adopté pour couvrir d'un voile légal une grande injustice. L'Angleterre, qui ne voit, dans les Canadiens français, que des colons turbulens, entachés de désaffection et de républicanisme, oublie que leur inquiétude ne provient que de l'attachement qu'ils ont pour leurs institutions et leurs usages menacés, tantôt ouvertement, tantôt secrètement par l'autorité proconsulaire. L'abolition de leur langue, et la restriction de leur franchise électorale pour les tenir, malgré leur nombre, dans la minorité et la sujétion, ne prouvent-ils pas que trop, du reste, que ni les traités, ni les actes publics les plus solennels, n'ont pu les protéger contre les attentats commis au préjudice de leurs droits.

      Mais quoiqu'on fasse, la destruction d'un peuple n'est pas chose aussi facile qu'on pourrait se l'imaginer; et la perspective qui se présente aux Canadiens, est, peut-être, plus menaçante que réellement dangereuse. Néanmoins, il est des hommes que l'avenir inquiète, et qui ont besoin d'être rassurés; c'est pour eux que nous allons entrer dans les détails qui vont suivre. L'importance de la cause que nous défendons nous servira d'excuse auprès du lecteur. Heureux l'historien qui n'a pas la même tâche à remplir pour sa patrie!

      L'émigration des îles britanniques, et l'acte d'union des Canadas dont on vient de parler, passé en violation des statuts impériaux de 1774 et 1791, sont, sans doute, des événemens qui méritent notre plus sérieuse attention. Mais a-t-on vraiment raison d'en appréhender les révolutions si redoutées par quelques uns de nous, tant désirées par les ennemis de la nationalité franco-canadienne? Nous avons plus de foi dans la stabilité d'une société civilisée, et nous croyons à l'existence future de ce peuple dont l'on regarde l'anéantissement, dans un avenir plus ou moins éloigné, comme un sort fatal, inévitable. Si je m'abandonnais, comme eux, à ces pensées sinistres, loin de vouloir retracer les événemens qui ont signalé sa naissance et ses progrès, et de me complaire dans


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