Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu'à nos jours. Tome I. Garneau François-Xavier

Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu'à nos jours. Tome I - Garneau François-Xavier


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au milieu des débris des connaissances géographiques qu'ils avaient amassées avec peine, étaient dans une ignorance profonde à l'égard de cette partie du globe. 12

      L'on ne s'arrêtera pas aux expéditions supposées des Gaulois, des Scandinaves, et d'autres peuples septentrionaux, en Amérique. Le hasard peut les avoir conduits jusque dans le Groenland, jusque dans ce continent même.

Mais quoiqu'il soit probable que les Danois ou les Norvégiens aient colonisé cette île à une époque reculée, 13 leurs voyages étaient inconnus dans le reste de l'Europe, ou les contrées qu'ils fréquentaient étaient regardées comme des îles avancées qui hérissaient les bords orientaux de l'Océan.

Note 12:(retour) Washington Irving: -Histoire de Christophe Colomb.

Note 13:(retour) La Peyrère rapporte que les Norvégiens découvrirent en passant par l'Islande le Groenland en 770. -Relation de l'Islande.

      Enfin, les temps étaient arrivés où les hommes, sortis des ténèbres de l'ignorance, allaient prendre un nouvel essor.

      Le commerce et l'esprit d'aventures surtout, entraînaient depuis bien des années les navigateurs au-delà des anciennes limites connues. On dit que les Normands, conduits par le génie inquiet et entreprenant qui les distinguait, avaient pénétré jusqu'aux îles Canaries, où les avaient devancés les Espagnols, et même plus au sud, dans leurs expéditions commerciales, ou à mains armées pour piller les habitans. Jean de Béthencourt, baron normand, ayant conquis les Canaries, les posséda à titre de fief relevant de la couronne de Castille, et les laissa à ses enfans. Ces îles étaient fameuses chez les anciens qui y avaient placé le jardin des Hespérides, alors les bornes du monde connu. Telle fut la première navigation importante faite sur l'Océan par les modernes; elle servit à enhardir les navigateurs, et à exciter leur émulation dans leurs courses maritimes.

      Le Portugal, l'un des plus petits pays de l'Europe, était destiné à ouvrir la carrière des découvertes géographiques qui devaient illustrer l'esprit curieux et insatiable des modernes. Ses capitaines avaient déjà fait des progrès dans celle nouvelle voie, lorsque Henri parut, prince à jamais mémorable dans les annales de la navigation et du commerce: il donna à tout un nouvel essor. Profondément versé dans toutes les sciences qui ont rapport à la marine, il forma le projet d'envoyer des navires en Asie en leur faisant doubler le continent africain, et d'ouvrir ainsi au commerce des Indes, un chemin plus expéditif et moins dispendieux que celui de la mer Rouge. Les Carthaginois avaient autrefois entrepris ce même voyage. S'il réussissait, lui, il faisait du Portugal le centre du commerce et des richesses de l'Europe. Cette idée était digne de son génie qui était bien en avant de son siècle.

      Sous ses auspices, les navigateurs portugais doublèrent le cap Bojador, pénétrèrent dans les régions redoutables du Tropique, et explorèrent les côtes de l'Afrique jusqu'au cap Vert, entre le Sénégal et la Gambie, qu'il découvrirent en 1474. Presque dans le même temps Gonzalo Vello découvrit les îles Açores à 360 lieues de Lisbonne entre l'Europe et l'Amérique; mais Henri mourut au milieu de ces découvertes, et plusieurs années avant que Vasquez de Gama pût doubler le cap de Bonne-Espérance. Néanmoins l'honneur de cette grande entreprise lui appartient tout entier.

Les découvertes des Portugais excitèrent bientôt l'attention de toute l'Europe. 14 Le bruit de leurs expéditions lointaines, et les relations presque merveilleuses de leurs voyageurs, se répandirent dans tous les pays. Les hommes les plus hardis se dirigèrent sur le Portugal, pour aller chercher fortune ou des aventures dans les régions nouvelles vers lesquelles les marins de cette nation, s'élançaient avec ardeur. Christophe Colomb était de ce nombre; il vint à Lisbonne en 1470. 15

Note 14:(retour) Herrera.

Note 15:(retour) Son fils Ferdinand dit que c'est un accident fortuit qui l'amena à Lisbonne. A la suite d'un engagement avec des galères de Venise, entre cette ville et le cap St. – Vincent, le vaisseau de son père et celui de son ennemi prirent feu, et Colomb fut obligé de se jeter à la mer et atteint heureusement le rivage qui était à plus de deux lieues. Histoire de l'Amiral, ch. 5.

Colomb, dont le nom est à jamais lié à l'histoire du Nouveau-Monde, est né, suivant la supposition la plus vraisemblable, à Gênes, vers 1435 ou 36. Son père était réduit à vivre du travail de ses mains. Il ne put faire donner à son fils qu'une éducation médiocre. Le jeune Colomb montra de bonne heure du penchant pour la science géographique; et la mer eut pour lui un attrait irrésistible. Il entra dans cette carrière périlleuse à l'âge de 14 ans. Les premières années de sa vie maritime sont enveloppées de beaucoup d'obscurité. Il parait néanmoins qu'il prit part à plusieurs expéditions de guerre, soit contre les barbaresques, soit contre des princes d'Italie. Il servit aussi sous Jean d'Anjou dans la guerre de Naples, et sous Louis XI, les rois de France étant dans l'usage à cette époque de prendre des navires de Gênes à leur solde. Dans ces diverses courses, il déploya de l'habileté et un grand courage, qualités qu'il fit briller surtout dans l'expédition de Naples. 16

Note 16:(retour) Histoire de l'Amiral (C. Colomb). BOSSI.

      Pendant sa résidence à Lisbonne, il s'occupa de sa science favorite, et se rendit familier avec toutes les découvertes des Portugais, et avec les auteurs anciens et modernes qui traitaient de la cosmographie. Il fit avec les premiers plusieurs voyages sur les côtes de la Guinée, et un en Islande en 1477. Ses travaux et ses études le mirent aussi en relation avec plusieurs savans de l'Europe, et des navigateurs qui avaient pris part aux voyages qui s'étaient faits depuis le prince Henri. C'est en vivant au milieu de ce monde, dont l'imagination s'exaltait au récit des découvertes journellement annoncées, qu'il conçut, en 1474, le dessein d'aller aux Indes en cinglant droit à l'ouest. Ce projet, dans ses idées, n'avait rien que de raisonnable, parce qu'il s'était convaincu, contre l'opinion des partisans du système de Ptolémée, alors reçu partout, que la terre était ronde, ainsi que plusieurs anciens l'avaient pensé, et qu'allait l'enseigner Copernic dans le nord de l'Europe, quelques années plus tard.

      Vers cette époque, sous Jean II de Portugal, l'on appliqua à la navigation l'astrolabe, qui est devenu l'octant par les améliorations du célèbre Auzout. Cet instrument avec la boussole qui commençait à s'introduire, permit aux navigateurs de s'éloigner sans crainte des routes tracées.

      Il fit part de son projet à la cour du Portugal, et sollicita vainement le roi Jean II, de lui donner quelques vaisseaux pour tenter une entreprise dont le succès jetterait une gloire ineffaçable sur son règne. Refusé par ce prince, il partit pour l'Espagne en 1484, avec son fils Diègue, afin de faire les mêmes propositions à Ferdinand et Isabelle. Après huit ans de sollicitations auprès de ces monarques, durant lesquels il passa par toutes les épreuves, et eut à lutter contre tous les obstacles que l'ignorance et l'incrédulité peuvent inventer; son génie persévérant triompha. Tout le monde connaît le fameux examen qu'on lui fit subir devant les théologiens d'Espagne qui voulaient lui prouver, la Bible à la main, son erreur. Presque dans le même temps, les rois de France et d'Angleterre, auprès desquels il avait fait faire des démarches, par son frère Barthélemi, envoyaient des réponses favorables. Ferdinand et Isabelle lui donnèrent trois petits navires, dont deux sans pont, et le plus gros ayant nom Santa Maria, avec le titre d'Amiral des terres qu'il pourrait découvrir. Il fit voile de Palos le 3 août 1492, accompagné des trois frères Pinçon, qui voulurent hasarder leur vie et leur fortune dans cette expédition.

      La petite escadre avait à bord pour douze mois de provisions, et portait quatre-vingt-dix hommes, la plupart marins, avec quelques aventuriers qui suivaient la fortune de Colomb. La traversée ne fut pas orageuse; mais une crainte superstitieuse qui s'était emparée de l'esprit des matelots, leur faisait voir sans cesse mille dangers imaginaires. Cette crainte fut encore augmentée par les variations du compas remarquées alors pour la première fois, et


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