Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu'à nos jours. Tome I. Garneau François-Xavier

Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu'à nos jours. Tome I - Garneau François-Xavier


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plus grandes marques de respect chez ces peuples.

      Cependant, ce dernier, après avoir reconnu le fleuve jusqu'au bassin de Québec, voyant la saison avancée, prit la résolution hardie d'y passer l'hiver. En conséquence, il fit monter ses vaisseaux dans la rivière St. – Charles, nommée par lui, Ste. – Croix, sous la bourgade de Stadaconé qui couronnait une montagne du côté du sud, pour les mettre en hivernage. Cet endroit du St. – Laurent est, à cause de ses points de vue, l'un des sites les plus grandioses et les plus magnifiques de l'Amérique.

      Les deux rives du fleuve depuis le golfe ont un aspect imposant, mais triste. Sa grande largeur à son embouchure, quatre vingt dix milles, les dangers de ses nombreux écueils et ses brouillards en en faisant un lieu redoutable pour les navigateurs, contribuent encore à augmenter cette tristesse. Les côtes escarpées qui le bordent pendant l'espace de plus de cent lieues; les montagnes couvertes de sapin noir, qui resserrent au nord et au sud la vallée qu'il descend et dont il occupe par endroit presque tout le fond; les îles aussi nombreuses et variées par leur forme, que dangereuses aux marins, et dont la multitude augmente à mesure qu'on avance; enfin tous ces débris épars des obstacles qu'il a rompus et renversés pour se frayer un passage à la mer, saisissent l'imagination du voyageur qui le remonte pour la première fois autant par leur majesté que par la solitude profonde qui y règne.

      Mais à Québec la scène change. Autant la nature est âpre et sauvage sur le bas du fleuve, autant elle est ici variée et pittoresque, sans cesser de conserver un caractère de grandeur.

      A peine d'anticiper sur le temps, reproduisons le tableau qu'en fait un des auteurs qui aient le mieux écrit sur l'Amérique britannique, aujourd'hui que la main de la civilisation a répandu partout sur cette scène l'art, le mouvement et la vie.

      «En remontant le fleuve, dit M. McGregor, le spectateur n'aperçoit la ville qu'au moment ou il est presqu'en ligne avec l'extrémité supérieure de l'île d'Orléans et la pointe de Lévy. Alors Québec et les beautés sublimes qui l'environnent lui apparaissent tout à coup. Le grand et vaste tableau qui s'offre à ses regards frappe d'une manière si irrésistible qu'il est rare que ceux qui l'ont vu une fois oublient la majesté de cette scène et l'impression qu'ils en ont reçue. Un promontoire abrupte de 350 pieds de hauteur, couronné d'une citadelle imprenable (le Gibraltar du Nouveau-Monde) et entouré de fortes murailles sur lesquelles flotte tous les jours la bannière britannique; les clochers des cathédrales et des autres églises dont la couverture en fer blanc étincelle au soleil; la résidence des vice-rois soutenue par de solides contreforts et suspendue au bord du précipice; les maisons et les magasins qui se pressent dans la basse-ville; le nombre de navires qui couvrent la rade, ou gisent le long des quais; les bateaux-à-vapeur qui sillonnent le port dans tous les sens; des multitudes d'embarcations de toutes les formes; des vaisseaux en construction, ou qu'on lance dans les ondes; la cataracte de Montmorency dont l'eau se précipite écumante d'une hauteur de 220 pieds dans le St. – Laurent; les églises, les maisons, les champs et les bois de Beauport et de Charlesbourg derrière lesquels s'élèvent les montagnes qui bordent l'horison; la côte escarpée et les clochers du village de St. – Joseph, et au pied les tentes et les canots d'écorce éparpillés sur le rivage; d'immenses radeaux de bois descendant sur le noble fleuve et venant des forêts des Outaouais; tout cela peut donner une idée du panorama qui se déploie aux yeux du spectateur qui remonte le St. – Laurent, lorsqu'il aperçoit pour la première fois la capitale de l'empire britannique dans l'Amérique du nord.»

      S'il était permis à Cartier de sortir du tombeau et de contempler maintenant le vaste pays qu'il a livré, couvert de forêts et de hordes barbares et misérables, à l'entreprise et à la civilisation européenne, ce spectacle suffirait bien, ce semble, pour le récompenser de ses travaux et des inquiétudes de ses dangereuses navigations.

      Impatient de voir Hochelaga dont on lui avait fort exagéré l'étendue, il partit le 29 septembre avec les gentilshommes et une partie des matelots; il mit treize jours à y parvenir. L'on sait que cette bourgade occupait à peu près l'emplacement où est aujourd'hui Montréal.

      A l'apparition du capitaine français et de sa suite, une grande foule d'hommes, de femmes et d'enfans vint au devant de lui et le reçut avec les marques de la plus grande joie. Le lendemain, il entra dans la bourgade suivi des gentilshommes et des marins qui n'étaient pas restés à la garde des embarcations, tous vêtus de leurs plus beaux habits. Elle se composait d'une cinquantaine de maisons en bois de 50 pas de longueur sur douze ou quinze de largeur, et couvertes d'écorces cousues ensemble avec beaucoup de soin. Chaque maison contenait plusieurs chambres distribuées autour d'une grande salle carrée, où toute la famille se tenait habituellement, et où se faisait aussi l'ordinaire.

      La ville était entourée d'une triple enceinte circulaire de palissades, percée d'une seule porte fermant à barre. Des galeries régnaient au haut de cette enceinte en plusieurs endroits et au dessus de la porte, avec des échelles pour y monter. Des amas de pierre y étaient déposés pour la défense. Dans le milieu de la bourgade se trouvait une grande place. C'est là où l'on fit arrêter les Français. Après les saluts d'usage parmi ces nations, les Sauvages s'accroupirent autour d'eux. Aussitôt des femmes apportèrent des nattes qu'elles étendirent sur le sol, et y firent asseoir les étrangers. L'agouhanna arriva peu de temps après, porté par une dizaine d'hommes. Une peau de cerf fut déployée par terre, et on le déposa dessus. Il paraissait âgé d'environ 50 ans, et perclus de tous les membres. Un bandeau rouge de fourrure ceignait son front. Après avoir salué le capitaine et ceux qui l'accompagnaient, il exprima par des signes combien leur arrivée lui faisait de plaisir. Comme il souffrait beaucoup, il montra à Cartier les bras et les jambes, le priant de les toucher. Celui-ci les frotta avec ses mains. Le chef sauvage prit alors le bandeau qu'il avait sur la tête et le lui présenta. Aussitôt de nombreux malades et infirmes entourèrent le capitaine français et se pressaient les uns les autres pour le toucher.

      Après avoir fait distribuer des présens, il se fit conduire à une montagne qui était à un quart de lieue de là. Du sommet, il découvrit un vaste pays s'étendant de tous côtés jusqu'où l'oeil peut atteindre, excepté vers le nord-ouest où l'horison est borné dans le lointain par des montagnes bleuâtres. Vers le centre de ce tableau que traverse le St-Laurent, «grand, large et spacieux,» s'élèvent quelques pics isolés. Les Sauvages lui montrèrent de la main la direction que suit le fleuve qui vient du couchant, et les endroits où la navigation en est interrompue par des cascades. Partout le pays lui parut propre à la culture. Dans la direction du nord-ouest, ils lui indiquèrent la rivière des Outaouais, dont un bras baigne le pied des Deux-Montagnes; et lui dirent que passé les rapides du St. – Laurent, l'on pouvait naviguer trois lunes en le remontant, et qu'il y avait vers sa source des mines d'argent et de cuivre.

      Enchanté de la vue étendue qu'on a du haut de cette montagne, Cartier la nomma Mont-Royal.

      De retour à la rivière St. Charles, ayant quelque soupçon sur les dispositions des Sauvages, il fit renforcer les palissades que ses gens avaient élevées, pendant son absence, autour des vaisseaux, et garnies de canons. Il s'occupa ensuite des moyens de conserver la santé de ses équipages pendant l'hiver qu'il avait à passer dans le pays. Mais malgré tous ses soins, le scorbut éclata parmi eux dès le mois de décembre avec une extrême violence, et l'on ne trouva d'abord aucun remède pour arrêter cette maladie qui était encore peu connue. La situation des Français devint déplorable.

      Dans cette calamité, la fermeté et le courage de Cartier ne se démentirent pas un instant. Le froid fut excessif; la glace qui entourait ses vaisseaux avait deux brasses d'épaisseur; et il y avait quatre pieds de neige sur la terre; elle était plus haute que les bords des navires. Sur 110 hommes, il n'y en eut que trois ou quatre pendant quelque temps qui fussent en santé; et dans un des vaisseaux il ne resta personne capable de prendre soin des malades. Trop faibles pour creuser la terre gelée, ceux qui pouvaient marcher enterraient leurs compagnons morts sous la neige. Vingt six personnes succombèrent jusqu'au mois d'avril; et la plupart des autres étaient mourantes, lorsqu'un Indien rencontra par hasard Cartier atteint lui-même de la contagion, et lui indiqua un remède, qui en quelques jours guérit complètement non seulement les simples scorbutiques, mais encore ceux qui étaient attaqués avec cela du mal vénérien.

La


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