Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu'à nos jours. Tome I. Garneau François-Xavier

Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu'à nos jours. Tome I - Garneau François-Xavier


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massacre arriva en France, elle y excita au plus haut point l'indignation publique. Tous les Français, de quelque religion qu'ils fussent, regardèrent cet acte comme une insulte à la nation, et brûlaient de la venger. Mais la cour fut d'une opinion contraire, et, en haine de Coligny et des Huguenots, Charles IX, ou plutôt Catherine de Médicis, car c'était elle qui gouvernait l'Etat, le roi n'ayant encore que 15 ans, fit semblant de ne pas s'apercevoir de cet affront. Le monarque oubliant ainsi son devoir, un simple individu prit entre ses mains la défense de l'honneur national et la vengeance de la France. Cet homme était le chevalier Dominique de Gourgues d'une famille distinguée de la Gascogne, et en outre bon catholique. C'était un officier de la plus grande distinction, et qui avait été éprouvé par des revers de fortune. Il soutint près de Sienne en Toscane, avec un détachement de 30 hommes, longtemps les efforts d'une partie de l'armée espagnole; tous ses soldats ayant été tués, il fut fait prisonnier et envoyé aux galères. La galère dans laquelle il était fut prise par les Turcs, et ensuite reprise par les chevaliers de Malte. Ce dernier événement l'ayant rendu à la liberté, il se mit à voyager, et visita toutes les parties du globe. Il devint l'un des marins les plus habiles et les plus hardis de son siècle. Vivement ému au récit du massacre des Français à la Caroline, il jura de les venger. Il vendit pour cela tout son bien, et arma trois navires montés par 80 matelots et 150 soldats, la plupart gentilshommes.

      Rendu à l'île de Cuba, il assembla toutes ses gens, et leur retraça sous les plus vives couleurs le tableau des cruautés inouïes que les espagnols avaient exercées sur les Français de la Floride. «Voilà, ajouta-t-il, mes camarades le crime de nos ennemis. Et quel serait le nôtre, si nous différions plus longtemps à tirer justice de l'affront qui a été fait à la nation française? C'est ce qui m'a engagé à vendre mon bien; c'est ce qui m'a ouvert la bourse de mes amis; j'ai compté sur vous, je vous ai cru assez jaloux de la gloire de votre patrie pour lui sacrifier jusqu'à votre vie en une occasion de cette importance; me suis-je trompé? J'espère donner l'exemple, être partout à votre tête, prendre pour moi les plus grands périls; refuserez-vous de me suivre?»

      L'on répondit par des acclamations à cette allocution noble et chaleureuse; et, dès que le temps le permit, l'on cingla vers la Floride. Les Sauvages étaient mal disposés contre les Espagnols. De Gourgues en profita et forma une ligue avec eux. Sans perdre de temps, il fit les dispositions nécessaires pour attaquer les ennemis, qui avaient ajouté deux forts à celui qu'ils avaient enlevé aux Français. On garda le plus grand secret pour ne pas leur donner l'éveil.

      De Gourgues divisa ses troupes en deux colonnes pour l'attaque, et marcha, aidé des Sauvages, contre le premier fort. La garnison qui était de soixante hommes, l'ayant abandonné, tomba entre les deux colonnes, et fut presque toute détruite au premier choc. Le second fort fut pris après quelque résistance de la part de ses défenseurs, qui dans leur fuite furent aussi cernés et taillés en pièces. Le troisième fort, la Caroline, était plus grand que les autres, et renfermait deux cents hommes. Le commandant français ayant résolu de l'escalader, avait disposé des troupes autour de la place, lorsque les assiégés firent une sortie avec 80 arquebusiers, ce qui avança leur perte. On les attira par stratagème loin de leurs murailles, et on leur coupa la retraite. Assaillis de tous côtés, ils furent tous tués après avoir offert la plus vigoureuse résistance. Les soldats qui formaient le reste de la garnison, effrayés, voulurent se sauver dans les bois; mais ils tombèrent aussi sous le fer des Français et des Indiens, excepté quelques uns que l'on réserva pour une mort plus ignominieuse. On fit un butin considérable. Les prisonniers furent amenés au lieu où les Français avaient subi leur supplice, et où Menendez avait fait graver sur une pierre ces mots: «Je ne fais ceci comme à des Français, mais comme à des Luthériens.» De Gourgues leur fit des reproches sanglans sur leur cruauté et sur leur manque de foi, et ensuite les fit pendre à un arbre, sur lequel il fit mettre à la place de l'ancienne inscription, celle-ci écrite sur une planche de sapin: «Je ne fais ceci comme à Espagnols; mais comme à traîtres, voleurs et meurtriers

      Trop faibles pour garder le pays, les Français rasèrent les forts et mirent à la voile pour la France, où le peuple accueillit avec satisfaction la nouvelle du succès de leur entreprise, qui fut regardée comme un acte de justes représailles. Mais la reine-mère et la faction des Guises auraient sacrifié de Gourgues au ressentiment du roi d'Espagne, sans des amis, et le président de Marigny qui le cacha à Rouen. Sa conduite reçut hautement l'approbation des autres nations, et la reine d'Angleterre, Elizabeth, alla jusqu'à lui offrir un poste avantageux dans sa marine. Il remercia cette princesse de ses offres généreuses, le roi lui ayant rendu ses bonnes grâces.

      Il se préparait à aller prendre le commandement de la flotte de don Antoine, qui disputait à Philippe II, la couronne du Portugal, lorsqu'il mourut à Tours en 1567. Il emporta dans la tombe le regret général, et laissa après lui la réputation d'un des meilleurs capitaines du siècle, aussi habile sur mer que sur terre.

      La faiblesse de Catherine de Médicis dans cette affaire, sembla autoriser les bruits que les Espagnols faisaient courir pour atténuer l'odieux de leur conduite. Ils assuraient que Charles IX s'était entendu avec leur roi, son beau-frère, pour exterminer les Huguenots établis à la Floride. Quoiqu'il se soit refusé à demander satisfaction de cette horrible violation du droit des gens, et que d'autres actes de son règne ternissent encore beaucoup plus sa mémoire, il est impossible d'ajouter foi à de pareils rapports sans des témoignages clairs et précis qui les rendent indubitables.

      En formant des établissemens de protestans français dans le Nouveau-Monde, Coligny exécutait un projet patriotique, projet dont l'Angleterre sut ensuite profiter, et dont nous voyons aujourd'hui les immenses résultats. Il voulait ouvrir en Amérique à tous ceux qui s'étaient séparés de la religion établie du royaume, un asile, où, tout en formant partie du même empire, et en augmentant son étendue et sa puissance, ils pourraient jouir des avantages que possédaient les fidèles de l'ancienne religion dans la mère-patrie. Ce projet est vraiment une des plus belles et des plus nobles conceptions modernes; et s'il n'a pas réussi, quoiqu'il eût d'abord l'appui du gouvernement, c'est parce que le parti catholique, qui eut toujours la principale influence sur le trône, s'y opposa sans cesse, tantôt sourdement, tantôt ouvertement. Il en fut ainsi surtout vers le temps où nous sommes arrivé. La longue période qui s'écoula depuis l'expédition de Roberval jusqu'à celle du marquis de la Roche en Acadie, en 1598, est entièrement remplie par la lutte avec l'Espagne et l'Empire, et par les longues et sanglantes guerres de religion rendues si tristement fameuses par le massacre de la St. – Barthélemi, et que termina le traité de Vervins. Durant tout ce temps, l'attention des chefs de l'Etat fut absorbée par ces événemens mémorables, qui ébranlèrent la France jusqu'en ses fondemens.

      Ce ne fut qu'après cette triste époque, et lorsque Henri IV fut solidement établi sur le trône, que l'on revint aux desseins que l'on avait formés sur le Canada et les pays voisins, et auxquels on paraît en général avoir tenu jusque-là plus par esprit d'imitation et par fantaisie, que par ambition ou par intérêt bien entendu.

      Mais tandis que le reste des Français travaillait à s'entre-détruire avec un acharnement qu'on a peine à concevoir aujourd'hui, pour des croyances dont ces massacres mêmes prouvaient que Dieu seul pouvait être le juge, et qui devront servir de salutaire exemple dans tous les temps aux peuples de ce continent, où il y a tant de religions diverses, les Normands, les Basques et les Bretons continuaient de faire la pêche de la morue et de la baleine, comme si leur pays eût joui de la plus grande tranquillité. Tous les jours ils agrandissaient le cercle de leur navigation. C'était à eux que l'on devait cette pêche qu'ils avaient créée à une époque reculée, et qui augmentait d'une manière si considérable l'industrie française. Ils l'avaient d'abord commencée sur le grand banc de Terreneuve; ils l'étendirent graduellement sur les côtes voisines et dans le golfe et le fleuve St. – Laurent. En 1578, cent cinquante navires français vinrent à Terreneuve. Un autre négoce non moins profitable qui s'était établi avec les Indigènes des côtes, est celui des pelleteries, lequel se faisait avec une grande facilité et avec avantage pour la France. Les trafiquans de fourrures furent attirés à la recherche de cette marchandise, le long d'une grande partie des rivages de l'Amérique du nord, et dans les rivières qui tombent dans la mer. Ils remontaient le fleuve St. – Laurent


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