Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu'à nos jours. Tome I. Garneau François-Xavier

Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu'à nos jours. Tome I - Garneau François-Xavier


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«Roberval renvoya en France deux navires… afin de donner avis au roi, et de revenir l'année suivante avec des victuailles et autres fournitures ainsi qu'il plairait au roi».

      Ainsi finit le premier essai de colonisation fait par la France dans l'Amérique septentrionale il y a plus de trois cents ans, si l'on excepte toutefois celui du baron de Léry. C'est la guerre avec Charles-Quint qui amena l'abandon du Cap-Rouge: premier exemple du funeste effet du système politique européen des Français pour leurs possessions d'outre-mer.

      Le nom de Jacques Cartier, immortalisé par la découverte du Canada, disparaît de l'histoire après ce voyage. Rien n'indique néanmoins que ce navigateur cessât de ce moment d'avoir des rapports avec l'Amérique. Si l'on en croit les représentations que firent ses neveux près d'un demi siècle après, pour obtenir la continuation des privilèges accordés à leur oncle, l'on doit supposer qu'il y fit encore longtemps la traite des pelleteries.

      Cartier s'est distingué dans ses expéditions au Canada par son habileté et par son courage. Aucun navigateur n'avait encore osé de son temps, si rapproché de Colomb, pénétrer aussi loin que lui dans l'intérieur du Nouveau-Monde. En s'aventurant dans le climat rigoureux du Canada, où la terre est couverte de neige et les communications fluviales interrompues durant six mois de l'année; en hivernant deux fois au milieu de peuplades barbares dont il pouvait avoir tout à craindre, il a donné une nouvelle preuve de l'intrépidité des marins de cette époque.

      Avec lui commence la longue série de voyageurs qui ont découvert l'intérieur de l'Amérique du Nord. Le St. – Laurent qu'il remonta jusqu'au Sault-St. – Louis fut la grande voie qu'il indiqua aux Français, et qui les conduisit successivement dans la vallée du Mississipi, dans le bassin de la baie d'Hudson, et jusque dans les immenses contrées que baigne la mer Pacifique.

Pour récompense de ses découvertes, il fut anobli, dit-on, par le roi de France. 28 Mais sa gloire la plus durable sera toujours celle d'avoir placé son nom à la tête des annales canadiennes, et ouvert la première page d'un nouveau livre dans la grande histoire du monde.

Note 28:(retour) Recherches de M. Cunat sur Jacques Cartier, consignées dans une annexe au procès-verbal de la commission nommée par M. Hovius, chev. de la légion d'honneur, maire de St. – Malo, pour recevoir et reconnaître les débris de la Petite-Hermine, le 13 décembre 1843; duquel procès-verbal copie est déposée dans les archives de la société littéraire et historique de Québec.

      CHAPITRE III.

      ABANDON TEMPORAIRE DU CANADA.

      1543-1603

      Roberval part pour l'Amérique après la guerre, et périt avec tous ceux qui l'accompagnent. – M. Villegagnon tente de fonder une colonie dans le Brésil; la désunion des colons cause leur ruine. – Fondation de la Caroline dans la Floride. – Massacre des Français de cette colonie par les Espagnols, en pleine paix; Catherine de Médicis, régente, néglige d'en demander satisfaction. – De Gourgues les venge. – Pendant longtemps on ne pense plus en France aux colonies. – Observations à cet égard. – Les troubles du royaume entravent la colonisation. – Progrès des pêcheries et du commerce des pelleteries. – Le marquis de la Roche veut fonder un établissement en Acadie; il échoue. -40 colons abandonnés dans l'île de Sable, périssent, excepté 12 que le roi envoie chercher au bout de cinq ans. – De la Roche, ruiné par son entreprise, meurt de chagrin. – Obstacles qu'éprouvait alors la colonisation.

      La guerre dura plusieurs années entre François I et l'Empereur Charles-Quint. Comme cela était déjà arrivé, et devait arriver encore, on oublia le Canada dans le tumulte des camps.

      Enfin la paix étant rétablie, Roberval, dont la réputation de bravoure s'était encore accrue, travailla sans perdre de temps à former une nouvelle expédition pour retourner en Amérique. Il s'adjoignit à cet effet son frère, soldat très brave que le roi, bon juge en cette matière, avait surnommé le Gendarme d'Hannibal. Il fit voile en 1549, sous le règne de Henri II, et périt dans le voyage avec tous ses compagnons, sans qu'on ait jamais su comment était arrivé ce malheur, qui fit abandonner entièrement le Canada, et qui aurait eu probablement l'effet de dégoûter pour longtemps la France de ces hasardeuses entreprises, sans l'Amiral de Coligny, qui tourna l'attention vers d'autres climats.

      En 1555, ce chef des Huguenots, un des génies les plus étendus, dit l'abbé Raynal, les plus fermes, les plus actifs qui aient jamais illustré ce puissant empire; grand politique, citoyen jusque dans les horreurs des guerres civiles, proposa à Henri II de former une colonie dans quelque partie du Nouveau-Monde, où ses sujets de la religion réformée pourraient se retirer pour exercer leur culte librement et en paix. Le roi approuva ce dessein. Heureux pour la France s'il eût été érigé en système et suivi fidèlement. Quelles sources de richesses et de puissance il lui eût assurées! et combien il eût fait éviter peut-être de discordes civiles et de désastres! Mais à cette époque de haineuses passions, l'on sacrifiait avec délices les plus chers intérêts du pays aux fureurs du fanatisme et aux appréhensions d'une tyrannie égoïste et soupçonneuse.

      Nicolas Durant de Villegagnon, chevalier de Malte, et vice-amiral de Bretagne, imbu des doctrines nouvelles, s'offrit pour conduire les colons dans le Brésil, contrée que sa température faisait préférer au Canada. Cet établissement échoua néanmoins. Villegagnon étant revenu au catholicisme, la désunion se mit parmi les Français et ils ne purent se maintenir dans le pays.

      Cependant les dissensions religieuses allaient toujours croissantes en France. L'effroyable boucherie des Vaudois (1545) avait rempli les protestans d'une secrète terreur. La guerre civile allait se rallumer. Coligny songea encore plus sérieusement qu'auparavant à trouver un asile pour ses co-religionnaires, sur lesquels on avait recommencé à faire peser les rigueurs d'une sanglante persécution. Il profita d'une espèce de trêve, en 1562, pour intéresser la cour au plan d'établissement qu'il avait projeté pour eux dans la Floride. Charlevoix assure que, selon toutes les apparences, il ne découvrit pas ce dessein au roi; et qu'il ne lui fit envisager son projet que comme une entreprise avantageuse à la France; mais il est difficile de croire qu'il pût en imposer à la cour à cet égard. Charles IX n'ignorait point, et il fut fort aise en effet de voir que Coligny n'employait à cette expédition que des calvinistes, parce que c'était autant d'ennemis dont il purgeait l'Etat. Les catholiques firent bientôt néanmoins changer cette sage et prudente politique.

      L'amiral fut laissé maître de toute l'entreprise. Il donna le commandement de l'expédition à Jean de Ribaut, de Dieppe, bon marin, lequel partit, en 1562, pour la Floride, et jeta les fondemens d'un établissement qu'il nomma Charlesfort, dans une île de Port-Royal (Caroline du sud) au septentrion de la rivière Savannah. Deux ans plus tard, Laudonnière à qui le roi avait fait compter cinquante mille écus, arrivant avec de nouveaux colons, fit abandonner ce poste et élever un autre fort dans un endroit plus avantageux sur la rivière Alatamaha (Géorgie) à deux lieues de la mer.

Cette colonie nommée la Caroline, qui serait devenue un empire florissant si elle eût été suffisamment protégée, 29 a fini par un événement tragique trop célèbre pour le passer sous silence. Trois ans après sa fondation, elle fut attaquée par une flotte espagnole de six vaisseaux commandée par Don Pedro Menendez. Philippe II ayant appris que les Français avaient fondé un établissement dans la Floride, qu'il prétendait appartenir à sa couronne, avait résolu de les en chasser, et cette flotte était envoyée pour exécuter la volonté du farouche monarque. Le fort des Français fut surpris, et tous ceux qui ne purent s'échapper, hommes, femmes et enfans, furent massacrés avec cette cruauté froide qui distingue les Espagnols. Les détails des actes de barbarie commis par eux font frémir d'horreur. Les prisonniers furent fusillés, ou pendus à un arbre, sur lequel on mit par dérision une inscription portant ces mots: «Ceux-ci n'ont pas été traités de la sorte en qualité de Français, mais comme hérétiques et ennemis de Dieu». Presque tous les colons périrent dans cette catastrophe: quelques uns seulement réussirent à se sauver avec leur chef, Laudonnière. Les vainqueurs gardèrent leur conquête, et s'y fortifièrent avec l'intention


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