Le chevalier d'Harmental. Dumas Alexandre

Le chevalier d'Harmental - Dumas Alexandre


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chevalier venait, sans hésitation aucune, chercher aventure au Palais-Royal.

      La première personne qu'il aperçut fut le jeune duc de Richelieu, que son nom, ses aventures, son élégance et peut-être ses indiscrétions, commençaient à mettre si fort à la mode. On assurait que deux princesses du sang se disputaient alors son amour, ce qui n'empêchait pas mesdames de Nesle et de Polignac de se battre au pistolet pour lui, et madame de Sabran, madame de Villars, madame de Mouchy et madame de Tencin de se partager son cœur.

      Il venait de rejoindre le marquis de Canillac, un des roués du régent, qu'à cause de l'apparence rigide qu'il affectait, Son Altesse appelait son Mentor. Richelieu commençait à raconter à Canillac une histoire tout haut et avec de grands éclats. Le chevalier connaissait le duc, mais pas assez pour arriver au milieu d'une conversation entamée; ce n'était d'ailleurs pas lui qu'il cherchait. Aussi allait-il passer outre, lorsque le duc l'arrêta par la basque de son habit.

      – Pardieu! dit-il, mon cher chevalier, vous n'êtes pas de trop; je raconte à Canillac une bonne aventure qui peut lui servir, à lui, comme lieutenant nocturne de monsieur le régent, et à vous, comme exposé au même danger que j'ai couru. L'histoire date d'aujourd'hui: c'est un mérite de plus, car je n'ai encore eu le temps de la raconter qu'à vingt personnes, de sorte qu'elle est à peine connue. Répandez-la: vous me ferez plaisir et à monsieur le régent aussi.

      D'Harmental fronça le sourcil, Richelieu prenait mal son temps; en ce moment le chevalier de Ravanne passa poursuivant un masque.

      – Ravanne! cria Richelieu, Ravanne!

      – Je n'ai pas le loisir, répondit le chevalier.

      – Savez-vous où est Lafare?

      – Il a la migraine.

      – Et Fargy?

      – Il s'est donné une entorse.

      Et Ravanne se perdit dans la foule, après avoir échangé avec son adversaire du matin le salut le plus amical.

      – Eh bien! et l'histoire? demanda Canillac.

      – Nous y voici. Imaginez-vous qu'il y a six ou sept mois, à ma sortie de la Bastille, où m'avait envoyé mon duel avec Gacé, trois ou quatre jours peut-être après avoir reparu dans le monde, Rafé me remet un charmant petit billet de madame de Parabère, par lequel je suis invité à passer le soir même chez elle. Vous comprenez, chevalier, ce n'est pas au moment où l'on sort de la Bastille que l'on méprise un rendez-vous donné par la maîtresse de celui qui en tient les clefs. Aussi ne faut-il pas demander si je fus exact. À l'heure dite, j'arrive. Devinez qui je trouve assis à côté d'elle sur un sofa? Je vous le donne en cent!

      – Son mari? dit Canillac.

      – Non, point; Son Altesse Royale elle-même. Je fus d'autant plus étonné qu'on m'avait fait entrer comme si la dame était seule. Néanmoins, comme vous le comprenez bien, chevalier, je ne me laissai point étourdir; je pris un air composé, naïf et modeste, un air comme le tien, Canillac, et je saluai la marquise avec une apparence de si profond respect, que le régent éclata de rire. Comme je ne m'attendais pas à cette explosion, je fus, je l'avoue, un peu déconcerté. Je pris une chaise pour m'asseoir, mais le régent me fit signe de prendre place sur le sofa, de l'autre côté de la marquise: j'obéis.

      – Mon cher duc, me dit-il, nous vous avons écrit pour une affaire fort sérieuse. Voilà cette pauvre marquise qui, toute séparée qu'elle est depuis deux ans de son mari, se trouve enceinte.

      La marquise fit ce qu'elle put pour rougir; mais sentant qu'elle ne pouvait en venir à bout elle se couvrit la figure avec son éventail.

      – Au premier mot qu'elle m'a dit de sa position, continua le régent, j'ai fait venir d'Argenson, et je lui demandai de qui l'enfant pouvait être.

      – Oh! monsieur, épargnez-moi, dit la marquise.

      – Allons, mon petit corbeau, reprit le régent, cela va être fini. Un peu de patience. Savez-vous ce que d'Argenson me répondit, mon cher duc?

      – Non, dis-je, assez embarrassé de ma personne.

      – Il me répondit que c'était de moi ou de vous.

      – C'est une atroce calomnie! m'écriai-je.

      – Ne vous enferrez pas, duc, la marquise a tout avoué.

      – Alors, repris-je, si la marquise a tout avoué, je ne vois pas ce qui me reste à vous dire.

      – Aussi, continua le régent, je ne vous demande pas pour que vous me donniez des renseignements plus détaillés, mais afin que, comme complices du même crime, nous nous tirions d'affaire l'un par l'autre.

      – Et qu'avez-vous à craindre, monseigneur? demandai-je. Quant à moi, je sais que, protégé par le nom de Votre Altesse, je puis tout braver.

      – Ce que nous avons à craindre, mon cher? les criailleries de Parabère, qui voudra que je le fasse duc.

      – Eh bien! mais si nous le faisions père? répondis-je.

      – Justement s'écria le régent, voilà notre affaire, et vous avez eu la même idée que la marquise.

      – Pardieu, madame, répondis-je, c'est bien de l'honneur pour moi.

      – Mais la difficulté, objecta madame de Parabère, c'est qu'il y a plus de deux ans que je n'ai même parlé au marquis, et que, comme il se pique de jalousie, de sévérité, que sais-je! il a fait serment que si jamais je me trouvais dans la position où je me trouve, un bon procès le vengerait de moi.

      – Vous comprenez, Richelieu, cela devient inquiétant, ajouta le régent.

      – Peste! je crois bien, monseigneur!

      – J'ai bien quelques moyens coercitifs entre les mains, mais ces moyens ne vont pas jusqu'à forcer un mari de recevoir sa femme chez lui.

      – Eh bien! repris-je, si on le faisait venir chez sa femme?

      – Voilà la difficulté.

      – Attendez donc, madame la marquise; sans indiscrétion est-ce que monsieur de Parabère a toujours un faible pour le vin de Chambertin et de Romance?

      – J'en ai peur, dit la marquise.

      – Alors, monseigneur, nous sommes sauvés! J'invite monsieur le marquis à souper dans ma petite maison, avec une douzaine de mauvais sujets et de femmes charmantes! vous y envoyez Dubois…

      – Comment! Dubois? demanda le régent.

      – Sans doute; il faut bien quelqu'un qui nous conserve sa tête. Comme Dubois ne peut pas boire, et pour cause, il se chargera de faire boire le marquis; et quand tout le monde sera sous la table, il le démêlera au milieu de nous tous, il en fera ce qu'il voudra. Le reste regarde la marquise.

      – Quand je vous le disais, marquise, reprit le régent en frappant dans ses mains, que Richelieu était de bon conseil! Tenez, duc, continua-t-il, vous devriez renoncer à rôder autour de certains palais, laisser la vieille tranquillement mourir à Saint-Cyr, le boiteux rimer ses vers à Sceaux, et vous rallier franchement à nous. Je vous donnerais dans mon cabinet la place de cette vieille caboche de d'Uxelles, et les choses n'en iraient peut être pas plus mal…

      – Oui-da! répondis-je, je le crois bien, mais la chose est impossible: j'ai d'autres visées.

      – Mauvaise tête! murmura le régent.

      – Et monsieur de Parabère? demanda le chevalier d'Harmental, curieux de connaître la fin de l'histoire.

      – Monsieur de Parabère! eh bien! mais tout se passa comme la chose avait été arrêtée. Il s'endormit chez moi, et se réveilla chez sa femme. Vous comprenez qu'il a fait grand bruit, mais il n'y avait plus moyen de crier au scandale et d'intenter un procès. Sa voiture avait passé la nuit à la porte, et tous les domestiques l'avaient vu entrer et sortir, de sorte que nous attendîmes tranquillement, quoique avec une certaine impatience, de savoir à qui l'enfant ressemblerait, de monsieur de Parabère, du régent ou de moi.

      Enfin,


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