La San-Felice, Tome 03. Dumas Alexandre

La San-Felice, Tome 03 - Dumas Alexandre


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à mon père. Il est inutile qu'il revienne, Sa Majesté me fait l'honneur de me ramener.

      Et, en prononçant ces paroles, il s'inclina respectueusement du côté du roi.

      – Si ce garçon-là avait de la poudre et une queue, dit Ferdinand, il n'y aurait à Naples ni duc ni marquis pour lui damer le pion… Enfin, on ne peut pas tout avoir.

      Puis, tout haut:

      – Venez, venez monsieur Backer, et je vais vous montrer à coup sûr des animaux que vous ne connaissez pas.

      Backer obéit à l'ordre du roi, marcha près de lui en ayant soin de se tenir un peu en arrière.

      Le roi le conduisit droit à l'enceinte où étaient enfermés les animaux qui, selon lui, devaient être inconnus au jeune banquier.

      – Tiens, dit celui-ci, ce sont des kangourous!

      – Vous les connaissez? s'écria le roi.

      – Oh! sire, dit André, j'en ai tué des centaines.

      – Vous avez tué des centaines de kangourous?

      – Oui, sire.

      – Où cela?

      – Mais en Australie.

      – Vous avez été en Australie?

      – J'en suis revenu il y a trois ans.

      – Et que diable alliez-vous faire en Australie?

      – Mon père, dont je suis le fils unique, est très-bon pour moi; après m'avoir mis, depuis l'âge de douze ans jusqu'à celui de quinze, à l'université d'Iéna, il m'a envoyé de quinze à dix-huit ans terminer mon éducation en Angleterre; enfin, comme je désirais faire un voyage autour du monde, mon père y consentit. Le capitaine Flinders allait partir pour son premier voyage de circumnavigation, j'obtins du gouvernement anglais la permission de partir avec lui. Notre voyage dura trois ans; c'est alors qu'ayant découvert, sur la côte méridionale de la Nouvelle-Hollande, quelques îles inconnues, il leur donna le nom d'îles des Kangourous, à cause de l'énorme quantité de ces animaux qu'il y rencontra. N'ayant rien à faire que de chasser, je m'en donnai à coeur joie, et, chaque jour, j'en envoyais assez à bord pour faire une ration de viande fraîche à chaque homme de l'équipage. Depuis, Flinders a fait un second voyage avec Bass, et il paraît qu'ils viennent de découvrir un détroit qui sépare la terre de Van-Diemen du continent.

      – La terre de Van-Diemen du continent! un détroit! Ah! ah! fit le roi, qui ne savait pas du tout ce que c'était que la terre de Van-Diemen et qui savait à peine ce que c'était qu'un continent, alors vous connaissez ces animaux-là, et moi qui croyais vous montrer quelque chose de nouveau!

      – C'est quelque chose de nouveau, sire, et de très-nouveau même, non-seulement pour Naples, mais encore pour l'Europe, et, au point de vue de la curiosité, je crois que Naples est, avec Londres, la seule ville qui en possède un pareil spécimen.

      – Hamilton ne m'a donc point trompé en me disant que le kangourou est un animal fort rare?

      – Fort rare, il a dit la vérité, sire.

      – Alors, je ne regrette pas mes papyrus.

      – Votre Majesté les a échangés contre des papyrus? s'écria André Backer.

      – Ma foi, oui; on avait retrouvé à Herculanum vingt-cinq ou trente rouleaux de charbon, que l'on s'était empressé de m'apporter comme les choses les plus précieuses de la terre. Hamilton les a vus chez moi; il est amateur de toutes ces antiquailles; il m'avait parlé des kangourous; je lui avais exprimé le désir d'en avoir pour essayer de les acclimater dans mes forêts; il m'a demandé si je voulais donner au musée de Londres autant de rouleaux de papyrus que le jardin zoologique de Londres me donnerait de kangourous. Je lui ai dit: «Faites venir vos kangourous et bien vite!» Avant-hier, il m'a annoncé mes dix-huit kangourous, et je lui ai donné ses dix-huit papyrus.

      – Sir William n'a point fait un mauvais marché, dit en souriant Backer; seulement, sauront-ils là-bas les dérouler et les déchiffrer comme on sait le faire ici?

      – Dérouler quoi?

      – Les papyrus.

      – Cela se déroule donc?

      – Sans doute, sire, et c'est ainsi que l'on a retrouvé plusieurs manuscrits précieux que l'on croyait perdus; peut-être retrouvera-t-on un jour le Panégyrique de Virginius par Tacite, son discours contre le proconsul Marcus-Priscus et ses Poésies qui nous manquent; peut-être même sont-ils parmi ces papyrus dont vous ignoriez la valeur, sire, et que vous avez donnés à sir William.

      – Diable! diable! diable! fit le roi; et vous dites que ce serait une perte, monsieur Backer?

      – Irréparable, sire!

      – Irréparable! Pourvu, maintenant que j'ai fait un pareil sacrifice pour eux, pourvu que mes kangourous se reproduisent! Qu'en pensez-vous, monsieur Backer?

      – J'en doute fort, sire.

      – Diable! Il est vrai que, pour son musée polynésien, qui est fort curieux, comme vous allez voir, je ne lui ai donné que de vieux vases de terre cassés. Venez voir le musée polynésien de sir William Hamilton; venez.

      Le roi se dirigea vers le château, Backer le suivit.

      Le musée de sir William Hamilton n'étonna pas plus André Backer que ne l'avaient étonné ses kangourous; lui-même, dans son voyage avec Flinders, avait relâché aux îles Sandwich, et, grâce au vocabulaire polynésien recueilli par lui, pendant son séjour dans l'archipel d'Hawaii, il put non-seulement désigner au roi l'usage de chaque arme, le but de chaque instrument, mais encore lui dire les noms par lesquels ces armes et ces instruments étaient désignés dans le pays.

      Backer s'informa quels étaient les vieux pots de terre cassés que le roi avait donnés en échange de ces curiosités de marchand de bric-à-bric, et le roi lui montra cinq ou six magnifiques vases grecs trouvés dans les fouilles de Sant'Agata-dei-Goti, nobles et précieux débris d'une civilisation disparue et qui eussent enrichi les plus riches musées. Quelques-uns étaient brisés, en effet; mais on sait avec quelle facilité et quel art ces chefs-d'oeuvre de forme et de peinture se raccommodent, et combien les traces mêmes qu'a laissées sur eux la main pesante du temps les rendent plus précieux, puisqu'elles prouvent leur antiquité et leur passage aventureux à travers les siècles.

      Backer poussa un soupir d'artiste; il eût donné cent mille francs de ces vieux pots brisés, comme les appelait Ferdinand, et n'eût pas donné dix ducats des casse-têtes, des arcs et des flèches recueillis dans le royaume de Sa Majesté Kamehameha Ier, qui, tout sauvage qu'il était, n'eût point fait pis en pareille circonstance que son confrère européen Ferdinand IV.

      Le roi, passablement désappointé de voir le peu d'admiration que son hôte avait manifesté pour les kangourous australiens et le musée sandwichois, espérait prendre sa revanche devant ses statues et ses tableaux. Là, le jeune banquier laissa éclater son admiration, mais non son étonnement. Pendant ses fréquents voyages à Rome, il avait, grand amateur qu'il était de beaux-arts, visité le musée Farnèse, de sorte que ce fut lui qui fit les honneurs au roi de son splendide héritage; il lui dit les noms probables des deux auteurs du taureau Farnèse, Appollonius et Taureseus, et, sans pouvoir affirmer ces noms, il affirma au moins que le groupe, dont il fit remarquer au roi les parties modernes, était de l'école d'Agesandre de Rhodes, auteur de Laocoon. Il lui raconta l'histoire de Dircé, personnage principal de ce groupe, histoire dont le roi n'avait pas la première idée; il l'aida à déchiffrer les trois mots grecs qui se trouvent gravés au pied de l'Hercule colossal, connu, lui aussi, sous le nom d'Hercule Farnèse: [grec] GAIKON ATAINAIOS EPIESE, et lui expliqua que cela voulait dire en italien Glicone Ateniense faceva, c'est-à-dire: Glicon, d'Athènes, a fait cette statue; il lui apprit qu'un des chefs-d'oeuvre de ce musée était une Espérance qu'un sculpteur moderne a restaurée en Flore, et qui, de là, est connue à tous sous le nom de Flore Farnèse. Parmi les tableaux, il lui signala comme des chefs-d'oeuvre du Titien la Danaé recevant la pluie d'or, et le magnifique portrait de Philippe II, ce roi


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