Amitié amoureuse. Lecomte du Noüy Hermine Oudinot

Amitié amoureuse - Lecomte du Noüy Hermine Oudinot


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Lecomte du Noüy

      Amitié amoureuse

      PRÉFACE FRAGMENTÉE DE STENDHAL

      Quoiqu'il traite de l'amour, ce petit volume n'est point un roman, et surtout n'est pas amusant comme un roman. C'est tout uniment une description exacte et scientifique d'une sorte de folie très rare en France. L'empire des convenances, qui s'accroît tous les jours, plus encore par l'effet de la crainte du ridicule qu'à cause de la pureté de nos mœurs, a fait du mot qui sert de titre à cet ouvrage une parole qu'on évite de prononcer toute seule, et qui peut même sembler choquante.

      Le livre qui suit explique simplement, raisonnablement, mathématiquement, pour ainsi dire, les divers sentiments qui se succèdent les uns aux autres, et dont l'ensemble s'appelle la passion de l'amour…

      Que pourrai-je dire aux gens qui nient les faits que je raconte? Les prier de ne pas m'écouter.......

      Malgré beaucoup de soins pour être clair et lucide, je ne puis faire des miracles; je ne puis pas donner des oreilles aux sourds ni des yeux aux aveugles. Ainsi les gens d'argent et à grosse joie, qui ont gagné cent mille francs dans l'année qui a précédé le moment où ils ouvrent ce livre, doivent bien vite le fermer…

      Je récuse ce jeune homme studieux qui, dans la même année où l'industriel gagnait cent mille francs, s'est donné la connaissance du grec moderne, ce dont il est si fier, que déjà il aspire à l'arabe. Je prie de ne pas ouvrir ce livre tout homme qui n'a pas été malheureux pour des causes imaginaires étrangères à la vanité, et qu'il aurait grande honte de voir divulguer dans les salons....

      Qu'est-ce donc que connaître l'amour par les romans? Que serait-ce après l'avoir vu décrit dans des centaines de volumes à réputation, mais ne l'avoir jamais senti, que chercher dans celui-ci l'explication de cette folie? Je répondrai comme un écho: «C'est folie.»

      Pauvre jeune femme désabusée, voulez-vous jouir encore de ce qui vous occupa tant il y a quelques années, dont vous n'osâtes parler à personne, et qui faillit vous perdre d'honneur? C'est pour vous que j'ai refait ce livre et cherché à le rendre clair. Après l'avoir lu, n'en parlez jamais qu'avec une petite phrase de mépris, et jetez-le dans votre bibliothèque de citronnier, derrière les autres livres; j'y laisserais même quelques pages non coupées…

      Ce qu'on appelle un succès étant hors de la question, l'auteur s'amuse à publier ses pensées exactement telles qu'elles lui étaient venues. C'est ainsi qu'en agissaient jadis ces philosophes de la Grèce, dont la sagesse pratique le ravit en admiration…

      Toute cette préface n'est faite que pour crier que ce livre-ci a le malheur de ne pouvoir être compris que par des gens qui se sont trouvé le loisir de faire des folies. Beaucoup de personnes se tiendront pour offensées, et j'espère qu'elles n'iront pas plus loin.

(Extrait de: De l'amour.)

      LIVRE PREMIER

      Les femmes préfèrent les émotions à la raison… elles sont toujours et partout avides d'émotions…

      La dissemblance entre la naissance de l'amour chez les deux sexes doit provenir de la nature de l'espérance, qui n'est pas la même. L'un attaque et l'autre défend…

      L'amour tel qu'il est dans la haute société, c'est l'amour des combats, c'est l'amour du jeu.

STENDHAL.

      I

      Philippe de Luzy à Denise Trémors

12 novembre 18…

      Madame,

      Voulez-vous me permettre de me présenter chez vous demain vers cinq heures, et de vous apporter moi-même le petit volume de vers que vous désirez? Le souvenir très agréable de la conversation que nous avons eue à cette soirée où je m'ennuyais – où nous nous ennuyions tant – me pousse à vous faire cette demande; j'ose espérer que vous ne la trouverez pas importune. J'obéis, en vous écrivant, à une impression d'affinité qui m'a donné, l'autre soir, tandis que je vous parlais, le sentiment que nous étions depuis longtemps amis. Je sais qu'il faut se défier des indications de l'instinct, qui sont en général obscures et incertaines; peut-être mon imagination fait-elle seule les frais de tout ceci et avez-vous complètement oublié et la soirée, et le livre, et son propriétaire. Dans ce cas, madame, soyez assez bonne pour ne pas me le faire trop vivement sentir, car j'en souffrirais déjà.

      Je vous prie d'agréer mes respectueux hommages.

      II

      Denise Trémors à Philippe de Luzy

12 novembre, cinq heures.

      Je serai heureuse, monsieur, de vous recevoir demain. J'ai encore trop vivace dans l'esprit le souvenir de cette soirée ennuyeuse où, grâce à vous, je me suis si peu ennuyée, pour chercher s'il y a correction ou incorrection à le faire.

      Et puis, c'est si charmant de se laisser de temps en temps gouverner par son bon plaisir… et j'en aurai un extrême à renouveler, au coin de mon feu, la causerie si attrayante de l'autre soir.

      III

      Philippe à Denise

14 novembre.

      Eh bien, madame, je ne m'étais pas trompé; la sympathie me guidait mystérieusement, mais sûrement, vers vous. J'étais hier, je vous l'avoue, un peu troublé en entrant dans votre salon. Je me demandais – ces sortes d'expériences sont si dangereuses – si je n'allais pas voir s'évanouir tout à coup le rêve gracieux qui m'y avait amené. Quelle peine pour moi si la petite fleur née dans mon imagination était morte, subitement transplantée dans la réalité. J'en aurais beaucoup souffert; mais j'ai été vite rassuré, et j'en suis si heureux que je ne puis résister au plaisir de vous le dire.

      Comme vous avez été bonne et jolie, et confiante et spirituelle; comme je vous sais gré de consentir à être très simplement une femme, au lieu de chercher à être, suivant la mode, un ennuyeux mannequin occupé à disserter psychologiquement sur l'amour. Je vous remercie d'être gaie, et je suis amoureux de l'air très grave que vous aviez en versant l'eau bouillante sur le thé.

      J'ai passé, grâce à vous, madame, deux heures exquises. Je vous en devais des remerciements, et si je vous les fais d'une manière un peu légère ce n'est pas, croyez-le bien, que je n'aie été touché des marques plus sérieuses d'estime et de confiance que vous m'avez données. Mais c'est là un terrain en quelque sorte sacré, où ma jeune amitié n'ose encore s'aventurer. Je m'arrête respectueusement et vous prie de me croire, madame, très à vous.

PHILIPPE DE LUZY.

      P. – S.– Savez-vous que madame Ravelles est presque jolie, presque intelligente, et qu'au risque d'étonner tout le monde j'ai presque envie de l'embrasser? Elle vient de me dire qu'elle a l'intention, à partir de samedi prochain, de réunir ses amis toutes les semaines. En sorte que, vous voyant le mardi chez votre belle-sœur, madame d'Aulnet, et le samedi chez madame Ravelles, si vous me permettez de vous faire une petite visite dans l'intervalle, je me ferai une existence à peu près supportable. Puis, elle a ajouté en me regardant: «Surtout ne manquez pas samedi prochain; madame Trémors viendra et elle chantera.» Pourquoi a-t-elle insisté? Aurait-elle déjà deviné, avec ce curieux instinct des êtres primitifs, que je vous aime? Cependant je ne l'ai dit à personne, pas même à vous.

      IV

      Denise à Philippe

15 novembre.

      Monsieur, monsieur, j'ai grand'peur que vous ne vous égariez… et je me hâte de vous crier, en joueuse bien honnête: Casse-cou!

      Je suis très heureuse de l'amicale inclination que nous nous sommes mutuellement découverte; nos esprits se sont touchés et il y a entre eux adhérence. Mais peut-être vais-je vous paraître bien bourgeoise: trois mots m'effraient dans votre lettre; vous savez quels, n'est-ce pas?

      Il ne faut pas que certaines de mes franchises vous semblent liberté d'allure; l'amitié entre un homme et une femme me paraissant la chose la plus charmante à cultiver, peut-être,


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