Amitié amoureuse. Lecomte du Noüy Hermine Oudinot

Amitié amoureuse - Lecomte du Noüy Hermine Oudinot


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que je vous demande pourquoi vous êtes si brune, si svelte, si pâle? Savez-vous le pourquoi de vos énergies? Celui de votre beauté physique? Celui mille fois rare et précieux de votre beauté morale? Ah! madame Tanagrette, vous êtes vous, et c'est assez pour moi.

      Vous m'avez dit l'autre soir: «Je voudrais vous trouver une carrière pouvant fournir quelque distraction à votre esprit, une pâture réconfortante à votre âme souffrante.» Folie! ma carrière c'est de n'en pas avoir. Je ne vous demande qu'une chose: ne vous désintéressez pas de moi. Ne vous effarouchez pas de cette grande ambition, ne prenez pas cet air hautain que j'adore, écoutez-moi: Connaissez-vous rien de plus puissant, pour exprimer l'union infinie, que la parole du Dante: ces deux qui vont ensemble. – Quelle dépendance noble on prévoit de l'un et de l'autre. Cette courte phrase éveille à la pensée les affinités mystérieuses unissant étroitement les âmes sans les confondre jamais: «Ces deux qui vont ensemble…» Voulez-vous que nous soyons ceux-là?

      Et puis, madame, n'allez-pas là-dessus faire l'effarouchée et me gronder; tout cela est de votre faute… Pourquoi votre amitié m'est-elle devenue si douce? Les heures passées auprès de vous, si courtes? Le souvenir de tout ce qui est vous, si cher? A force de chercher, je l'ai découvert: votre cœur dirige vos actes, guide vos pensées; il féconde votre esprit, il attire, il enveloppe, il garde à jamais. Toutes vos actions s'échappent de ce cœur, s'imprègnent de lui. Voilà. Mes aperçus philosophiques ne valent-ils pas les vôtres?

      XVII

      Denise à Philippe

18 janvier.

      Voilà!… C'est bientôt dit, monsieur; après tous ces beaux discours, croyez-vous qu'il va m'être facile de rester modeste? Prenez garde, vous m'admirez trop; votre amitié me semble fondée sur l'illusion, c'est une fragile assise. Quels mécomptes vous vous préparez! Vous m'allez découvrir un beau jour… quelle chute! j'en ai la chair de poule, monsieur mon ami.

      Ma nourrice, restée servante auprès de moi devenue grande, me disait, lorsque je me jetais à son cou trop ardemment: «Aimez-moi moins à la fois, Nisette, vous m'aimerez plus longtemps.»

      Les amitiés durables ne naissent pas d'un caprice, songez à cela; voilà seulement quatre mois que vous m'avez découverte; pourtant, il y a deux ou trois ans que nous nous rencontrons dans le monde. Quel engouement subit vous a poussé vers moi? Vous me saluiez indifférent. Il a fallu un soir de morne ennui pour que vous daigniez venir vous asseoir auprès de moi. Notre rencontre a été une chose charmante, mais n'exagérons rien, cher nouvel ami, et mettons, je vous prie, les choses au point.

      Je veux bien être «ces deux qui vont ensemble» s'ils ne vont pas trop loin.

      Voulez-vous que je vous dise? la variété dans l'équilibre, voilà peut-être ce qui vous attire vers moi; mais j'ai un peu peur que ces vitalités, ces langueurs, ces puissances de réplique qui vous charment, ne me viennent de vous, suscitées en moi par le souffle créateur, intellectuel et fort, qui demeure en tout homme même insciemment.

      Si je raisonne juste, quel petit néant je serais!

      XVIII

      Philippe à Denise

19 janvier.

      Vous vous trompez, madame mon amie, c'est vous qui possédez le souffle créateur; vous êtes, de plus, la séduction faite femme.

      J'ai mis un long temps à vous découvrir? C'est mal à vous de me le reprocher. Vous portiez par le monde une certaine hauteur un peu arrogante bien faite pour éloigner un sensitif de mon espèce. Je vous admirais sans oser approcher. Lorsque de temps en temps je m'oublie à savourer mes souvenirs, si loin que je les remonte, je vous retrouve en ma pensée: fine, jolie, flexible, délicate et si pâle… Je vous saluais et je passais, n'ayant pas l'orgueil de croire possible un intérêt de vous venant jusqu'à moi.

      Cette soirée ennuyeuse, je la bénis. Voilà, madame, comme les épreuves communes créent inopinément, entre les âmes, les plus forts liens!

      XIX

      Denise à Philippe

20 janvier.

      Moquez-vous, ironique! Ma nièce a bien raison de vous étiqueter le plus décevant d'entre tous ses flirts. Savez-vous qu'elle est un peu jalouse de vos fréquentes visites avenue Montaigne? Elle est venue me voir tout à l'heure «espérant vous rencontrer»; j'ai souri; la chatte aiguise, sans trop oser pourtant, sur la petite tante, ses fines griffes roses. Elle allait au cercle, patiner avec son père; elle aurait voulu vous trouver là et vous emmener.

      Quel cocasse amalgame elle faisait de son inquisition sur vous, d'une rage contre un pli malencontreux de sa jupe, d'un triomphe de son chapeau, tout cela mêlé de termes techniques empruntés à la solennité de ses débuts sur la glace, au cercle; ce mot prend, dans sa bouche, toute l'importance la plus select!

      D'ailleurs, cette lettre n'est pas pour vous dire cela, mais ceci: Mère me charge de vous inviter à dîner chez elle samedi. Viendrez-vous? Et serez-vous ce soir chez ma belle-sœur? Madame d'Aulnet et Suzon comptent sur vous… moi aussi.

      XX

      Philippe à Denise

21 janvier.

      J'ai eu beau vous dire, hier, que j'acceptais avec enthousiasme l'invitation de votre chère mère, il me faut encore vous l'écrire pour avoir le prétexte de vous conter la joie ressentie de cette rencontre imprévue, au Bois, aujourd'hui.

      Vous veniez vers moi, légère, marchant vite, de ce pas rythmé que j'adore, blottie dans vos fourrures; vous ne me voyiez pas. Votre robe flottante s'est tout à coup collée sur votre corps gracile, par un caprice du vent. J'en ai été ému artistement, ma chère statuette, et plus troublé que par la nudité absolue.

      Voilà l'homme fort que je suis: quelques courbes ont sur mon imagination bien de la puissance et y sèment bien du désarroi. Rien n'est vulgaire qui me vient de vous. Vous êtes le réveil de mes énergies; vous peuplez ma vie de sensations. Et quelle jolie mine éveillée vous avez eue en me reconnaissant! Votre manière d'être timide et résolue m'enchante.

      Non, non, tous les plaisirs ne sont pas au-dessous de ce que l'imagination nous les fait; les miens sont vifs et pénétrants quand, de temps en temps, je m'oublie à savourer mes souvenirs. Et il ne faut ni me gronder, ni m'en vouloir quand, de loin en loin, je m'enhardis à vous envoyer ainsi la «joyeuse envolée des pensées…»

      XXI

      Denise à Philippe

22 janvier.

      «D'amour»… c'est bien ça, pas vrai? Oh! le poltron qui n'ose finir sa citation! Oh! le laid monsieur mon ami, que je surprends en flagrant délit de marivaudage! car vous marivaudez. Marivaux marivaudant sans le savoir, a là son excuse; mais vous, le sachant, n'en avez aucune; c'est une infériorité notoire. Ramagez d'autre sorte si vous voulez continuer de plaire à votre amie.

      Ma belle-mère m'offre sa loge à l'Opéra pour vendredi. Voulez-vous y venir? On y joue Sigurd. Germaine Dalvillers entre; elle accepte deux places pour elle et son mari. Serez-vous mon Mentor? Je vous quitte, elle bavarde, lit par-dessus mon épaule, je ne sais plus ce que je vous dis!

      XXII

      Philippe à Denise

23 janvier.

      Impossible, à mon très grand regret, madame mon amie. Une mission tombe sur ma nonchalance; plaignez-moi. Je dois aller à Bruxelles pour une conférence sur des choses fort techniques. Je vous prie en grâce de ne pas me faire vous les expliquer.

      Soyez bonne, écrivez-moi. Je m'engage à commencer.

      XXIII

      Philippe à Denise

25 janvier.

      Déplorable, madame, ma première impression de voyage! Je n'avais pas eu le temps de dîner, en vous quittant, avant de prendre le train. A Compiègne, première station, je veux voir si je


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