Amitié amoureuse. Lecomte du Noüy Hermine Oudinot

Amitié amoureuse - Lecomte du Noüy Hermine Oudinot


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cette résolution, car alors je me serais abstenue d'y ailler sans vous en prévenir. C'est – comment dire, pour ne dire ni trop, ni trop peu? – C'est par prudence, peut-être aussi par pudeur: vous m'avez effarouchée avec votre «curieux instinct des êtres primitifs».

      Je vous accepte volontiers comme le chiffonnier galant de mon esprit, puisque vous semblez prendre intérêt à ce que votre baguette ne revienne jamais à vide des lambeaux qu'il vous plaît de crocheter en mon cerveau de Parisienne; mais considérez que ceci est la seule joie qu'il me soit permis de vous donner.

      V

      Philippe à Denise

5 décembre.

      «Vous êtes si paresseux et si nonchalant!» M'avez-vous, sans reproche, madame, assez souvent répété cette phrase! Hier encore, un peu traîtreusement, au moment où je ne pouvais me défendre. J'ai cependant de quoi répondre et vous n'échapperez pas à mes raisons. Comment, vous, mon sage et cher philosophe, pouvez-vous attacher tant d'importance à ce que nous jetions constamment notre activité brouillonne et inquiète au travers des événements? N'avez-vous pas remarqué déjà comme les choses s'arrangeaient merveilleusement d'elles-mêmes, comme les plus embrouillées se dénouaient facilement, pourvu que personne n'y mît la main, et avec quelle fatalité tranquille arrivaient celles qui paraissaient les plus impossibles? Voyez-vous:

      … les paresseux

      Ont été, de tout temps, des gens aimés des dieux.

      Ce sont des sages. Nous pouvons si peu que ce que nous avons de mieux à faire est de rester tranquilles. A quoi bon vouloir prendre toujours une attitude de marionnette en révolte! Vous représentez-vous, à Guignol, le gendarme ne voulant pas se laisser rosser par le compère, sous prétexte que le contraire serait plus conforme à la morale publique, aux lois, et aussi à la réalité? Ce serait insensé. Le tout est de ne pas avoir le rôle du gendarme.

      En vérité, j'ai toujours trouvé ridicule et maladroit de vouloir intervenir dans la curieuse pièce dont l'auteur est là-haut. J'en ai toujours honnêtement répété le texte sans chercher même, comme les acteurs de revue, à y introduire un calembour de ma façon, et je m'en suis bien trouvé. En voulez-vous un exemple? Vous rappelez-vous certaine lettre que vous m'avez écrite en réponse à la demande – combinaison de marionnette – que je vous avais faite de venir à une réception chez madame Ravelles? Qu'ai-je fait ce soir-là? Je me souviens: j'étais très déconfit; me suis-je révolté? ai-je imaginé des plans? Je suis sorti simplement et j'ai marché au hasard, enveloppé de mes sombres réflexions.

      Ces sombres réflexions, dont vous étiez la cause, m'ont amené jusque chez vous. J'ai sonné, on m'a ouvert, et quelques instants après je me suis trouvé dans votre salon, aussi surpris d'y être que vous surprise de m'y voir. Notre étonnement à tous deux était si comique et si complet que nous n'avons pu nous empêcher de rire. Vous m'avez pardonné et il en est résulté qu'au lieu de vous apercevoir dans une soirée ennuyeuse, comme j'en avais eu sottement le projet, je vous ai eue à moi tout seul dans un tête-à-tête délicieux; que nous avons tant et tant causé et si intimement que, bon gré mal gré, contre les convenances, contre vos scrupules, notre amitié a été définitivement fondée.

      Je pense que cet exemple vous donnera à réfléchir. Maintenant, madame mon amie, si vous en savez davantage, dites-le-moi. Je ne demande pas mieux, selon l'expression du favori de vos poètes, que de me laisser conduire «par un ange aux yeux bleus».

      En attendant, je baise respectueusement le bout de ses ailes.

      VI

      Denise à Philippe

6 décembre.

      Voyez-vous cela? monsieur mon ami qui se félicite bel et bien de la chose la plus incorrecte que nous ayons faite! Mais, cher Marionnet, si j'avais été la femme sage par excellence, j'aurais dû ne pas vous recevoir ce soir néfaste dont vous parlez. Seulement, voilà! Je m'attendais si peu à votre visite… Je n'avais rien prévu… Encore tout cela n'est-il pas bien raisonnable, et certaines finales de vos lettres et certains de vos regards m'inquiètent-ils toujours un peu.

      Par devoir, par sagesse, il m'eût fallu garer mon esprit de la séduction du vôtre. Que sert de multiplier ses affections, n'est-ce pas se préparer des deuils? Votre dernière lettre me rassure pourtant, cher ami paresseux. A voir l'homme que vous êtes, attendant si patiemment la conclusion des événements et croyant que les petites alouettes vont vous tomber toutes rôties dans le bec, je ne vous crains presque plus. Alouette je suis, mais pas encore rôtie à la belle flambée que votre nonchalance, en se secouant – par quel imprévu et merveilleux effort? – s'est crue forcée d'allumer en mon honneur.

      Ah! ah! monsieur, vous niez le pouvoir de la volonté? j'en suis fort aise. Que serais-je devenue devant l'effort continu d'une volonté?

      Pourtant à y bien réfléchir, l'âme blanche de monsieur mon ami est-elle aussi blanche qu'il veut bien le dire? J'ai vaguement peur de surprises surgissant d'une trop nouvelle amitié… et puis, avec tout cela et sans tout cela, j'ai une malheureuse nature très franche et très loyale qui ne sait pas s'accoutumer à souffrir d'être mal dans une âme. A force de tâcher d'y être bien, n'arriverai-je pas à y être trop?

      Voyez, je vous révèle le point faible, n'en abusez pas! Sérieusement, je vous ai trop vu tous ces temps-ci partout où j'allais et surtout chez moi. Vous avez des manières de vous taire qui me troublent. Cette amitié si vivace, si ardente m'effraie. Il faut l'assagir… je vous en prie, mon ami? Vous l'avez promis. Peut-être allez-vous conclure de cela que je n'ai pas l'âme enthousiaste; j'ai du moins l'âme prudente.

      Adieu.

      VII

      Philippe à Denise

18 décembre.

      L'amusante mine troublée – un peu – que vous aviez en me découvrant à cette fête d'enfants! Je vous ai obéi, madame, j'ai espacé mes visites; mais vous n'exigez pas que je renonce à vous voir dans le monde aussi souvent qu'il me sera possible?

      D'ailleurs, hier, je n'étais pas pour vous chez madame Dalvillers, mais pour votre délicieuse Hélène. Quand on a une fille de six ans aussi exquise, il faut s'attendre à la voir recherchée, admirée, fût-ce des grands garçons. Et puis j'étais là aussi pour votre nièce Suzanne d'Aulnet – ne l'ai-je pas bien prouvé en m'occupant presque exclusivement d'elle? – Elle est jolie, certes; elle a précisément tous les signes de beauté qu'Alexandre Dumas recommande à l'attention des hommes – afin qu'ils n'épousent pas. – Je lui ai fait une cour discrète, elle ne l'a point dédaignée et madame votre belle-sœur en a semblé elle-même touchée. Jusqu'à votre belle-mère qui me faisait les doux yeux… Vous voyez bien, madame, je ne suis pas à craindre. De quoi me punissez-vous? qu'ai-je fait? Soyez clémente, levez, d'un mot, l'interdit, ou je vais commencer à me croire dangereux. Épargnez-moi cette fatuité imbécile.

      VIII

      Denise à Philippe

19 décembre.

      Les hommes sont de grands enfants… Venez donc, puisque aussi bien je ne puis faire un pas sans vous voir surgir sur ma route.

      J'ai, demain, une réception intime: Sully-Prudhomme, Massenet, Paul Hervieu, Marcel Prévost, Abel Hermant et vous. Le dîner est pour huit heures; mais vous avez le droit de venir un peu plus tôt et d'assister au repas de tite-Lène, que vous avez conquise.

      IX

      Denise à Philippe

21 décembre.

      Hier vous avez dit: «Je vous connais parfaitement, absolument.» C'est un peu présomptueux de votre part, cette affirmation. Eh bien, moi aussi je vous connais: vous êtes remarquablement intelligent, mais vous n'êtes pas simple. Vous vous analysez, vous vivez en contemplation devant les mouvements de votre esprit, de votre âme; vos plus menues sensations vous sont chères; elles se décuplent en vous, vous maintiennent dans une perpétuelle recherche de choses délectables, sur vous d'abord


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