Amitié amoureuse. Lecomte du Noüy Hermine Oudinot

Amitié amoureuse - Lecomte du Noüy Hermine Oudinot


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rire.

      Une idée? Si vous veniez à Nimerck avec nous? Gérald nous quittera là pour aller s'embarquer à Cherbourg.

      Cela distraira un peu ma pauvre maman de son chagrin, d'avoir à s'occuper d'un hôte.

      Je serais ravie de voyager ces quelques heures avec vous; mais ça ne s'arrange pas, hein? Avez-vous remarqué comme rien n'est favorable à nos désirs, à nos joies dans la vie? Quel dommage de passer son temps à dire: quel dommage!

      Adieu; je me fais l'effet d'un Jérémie de poche. Adieu. Vraiment, vous ne pouvez pas partir vendredi?

      Me voilà subissant envers vous une loi d'attraction bien extraordinaire… ne devrais-je pas être un peu fâchée, indiscipliné ami? Adieu, adieu. Ce sentiment peut durer indéfiniment entre nous – je veux dire l'espace d'un matin, ce qui est énorme.

      Adieu, adieu, adieu! cette fois, c'est sérieux. Adieu, monsieur mon ami, pensez, travaillez; ne vous contentez pas de traîner votre nonchalance dans des lieux selects, et d'accrocher des cœurs de femme au bout de vos éperons; ne donnez ni votre âme, ni votre esprit à la foule, cette cohue insupportable, sans cœur, sans bonté, sans distinction et sans joie.

      C'est la grâce que je vous souhaite en vous disant amen et en serrant affectueusement votre main.

      XXXVIII

      Philippe à Denise

2 juillet.

      Madame mon amie,

      Je dis comme vous: quel dommage! J'aurais tant voulu passer ces jours avec vous; j'en avais presque besoin, triste comme je le suis.

      Vous êtes bien heureuse de vous en aller; en vérité, plus je vais et plus je prends en aversion Paris, que j'aimais tant autrefois. Les quelques heures tranquilles et bonnes que j'ai volées à mon mauvais destin, ces dernières années, je les ai passées loin de Paris. Combien sont différentes, plus saines, plus personnelles et plus profondes les émotions qu'on éprouve loin de lui. Dites bien surtout à la mer que je l'adore.

      Je suis accablé d'ennuis de toutes sortes, matériels et moraux, grands et moyens. Je sens monter sur ma pauvre tête un orage épouvantable. Les bonnes gens diront: c'est votre faute. La belle et intelligente consolation! Mon courage et ma résignation sont à bout.

      Dans ces tristes circonstances, votre compagnie, madame, vous si vaillante et si bonne, m'eût été particulièrement précieuse; mais, vous voyez, il faut aussi que j'y renonce. Du moins, j'espère que vous penserez un peu à votre ami et que vous trouverez le temps de lui écrire. Si vous saviez le plaisir que lui donnent vos lettres, vous lui écririez très souvent.

      Je vous prie de présenter mes hommages à madame votre mère et de dire pour moi à votre frère mes souvenirs les meilleurs et les plus affectueux. Il est en effet peu probable que je puisse aller à Nimerck, même vous y rejoindre le 14. Les événements ne me semblent pas s'y prêter. Je n'ai cependant pas encore perdu toute chance, et vous pouvez compter que, si je peux m'échapper un instant, j'irai vous baiser la main.

      A bientôt donc, je l'espère. Excusez la désolation de cette épître, n'en veuillez pas à la familiarité de mon affection qui vous transforme déjà en sœur de charité. Soyez convaincue surtout, madame mon amie, que je vous aime très tendrement; c'est ma manière de vous remercier de la bonté et de l'indulgence que vous avez pour moi.

      XXXVIX

      Denise à Philippe

3 juillet.

      Vous souffrez, vous êtes triste, votre lettre m'a touchée. J'y sens un esprit en détresse, d'une de ces détresses morales qui meurtrissent l'âme. Alors j'ai béni la sotte rage de dents qui m'a retenue à Paris et me permet de vous répondre plus vite.

      Oui, le croiriez-vous? toute ma sagesse s'étant réfugiée dans une dent du même nom, elle se trouve probablement si à l'étroit dans ce logis de nacre, que mon très américain dentiste parle de me l'enlever – pas ma sagesse – ma dent!

      Je plaisante, mais c'est du bout des lèvres, je vous jure, car je suis tout attendrie sur votre chagrin. Quel malheur que notre amitié soit si jeune! Je vous dirais: «Je sais peut-être pourquoi vous souffrez», et nous pourrions parler de vos ennuis, sans que cette terrible susceptibilité qu'ont tous les hommes à conter leurs maux, se révolte, sans que cela puisse vous paraître une indiscrétion de la part de votre trop nouvelle amie.

      Non, ce n'est pas votre faute. Pouvons-nous ne pas subir, par instants, pour l'argent, ce vent de folie qui nous pousse tout à coup si fort à l'abîme? Toute résistance nous devient impossible et il faudrait résister, pourtant: pouvons-nous être des sages et ne subir aucun entraînement?

      J'ai beaucoup souffert déjà dans ma courte vie, c'est pourquoi je comprends toutes les souffrances. Mon père avait coutume de dire: «On a fait de l'argent un roi; aussi j'éprouve une certaine satisfaction à le détrôner.» Et il le détrônait si bien que nous avons connu des années aux jours noirs, si tristes, qu'on se demande parfois comment on survit à ces choses.

      Hélène n'aura pas ces douleurs-là; mon pauvre père mort, des héritages nous sont venus; l'avenir de ma fille est assuré; heureusement, car elle me paraît être dans les mêmes idées que son grand-père.

      Il y a quelques jours, je lui demande ce qu'elle a fait d'une assez grande quantité de sous neufs que chacun se plaisait à lui donner.

      – Mes sous d'or? oh! mère, ils étaient devenus tout noirs et si laids! je les ai jetés par la fenêtre.

      Je n'ai pas eu le courage de lui expliquer la faute qu'elle avait commise, tant m'a paru propre et rare, et peu bourgeois, ce mépris des gros sous. Et puis elle n'a pas encore huit ans; il sera temps plus tard.

      Allez, mon ami, les pires souffrances sont celles du cœur. J'ai souffert cruellement dans le mien qu'on a pris plaisir à tenailler, à mettre en lambeaux. Mon mal, peu à peu, s'est fait plus sourd, moins cuisant; il demeure, pourtant.

      Vous voyez, vous pouvez crier misère vers moi: je saurai comprendre vos plaintes, sinon vous guérir. Hélas! si vaillante soit mon amitié vous êtes un homme, je suis une femme. Ces seuls mots ne mettent-ils pas entre nous cette sotte barrière mondaine qui anéantit tous les élans spontanés et généreux des cœurs? Aussi j'ai été bien touchée de votre: «Je vous aime tendrement.» Soyez-en persuadé, je sens toute la droiture, toute l'exquise franchise de votre phrase, et je suis très heureuse d'être aimée par vous de cette façon.

      Je crois avoir trouvé le vrai nom du sentiment qui nous lie, en l'appelant un sentiment sans nom. Tel, l'innommé, je l'aime parce qu'il nous unit.

      Adieu, mon pauvre ami, soyez courageux, soyez fort, soyez confiant dans les inspirations dictées par votre esprit, ne craignez pas d'attaquer de front vos ennuis. Surtout, ayez foi: tous ceux que j'aime et qui m'aiment réussissent.

      Adieu. Commencez par rire de cette folie superstitieuse, et puis envoyez-moi un battement de votre cœur, je vous le rendrai.

DENISE.

      P. – S.– Avec ce retard pour ma dent qu'on soigne, je reste encore deux jours à Paris. Pourquoi ne viendriez-vous pas avec nous à Nimerck? Allons, décidez-vous?

      XL

      Philippe à Denise

4 juillet.

      Votre lettre m'a fait grand bien, vous êtes droite et bonne. Vraiment, je n'ose m'absenter en ce moment. Plus tard les événements me seront plus favorables. Pardonnez-moi ma défection bien involontaire, madame.

      XLI

      Denise à Philippe

5 juillet.

      Monsieur mon ami est bien le plus terrible hésitant que je connaisse. Venez donc puisque, à quelques jours près, vous avez l'espoir de venir. Cela vous remontera. Vous tirerez profit de cette paix que nous donnent les choses ambiantes: Dira-t-on jamais ce que causent de bien au cerveau fatigué le parfum d'un champ de luzerne et l'enivrement des yeux se reposant sur tant


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