Amitié amoureuse. Lecomte du Noüy Hermine Oudinot

Amitié amoureuse - Lecomte du Noüy Hermine Oudinot


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voyez: non seulement je vous pardonne de m'aimer, mais je suis un peu orgueilleuse que vous m'aimiez. Cela doit me faire pardonner à mon tour ce qu'involontairement je vous fais souffrir. Adieu.

      XLVII

      Philippe à Denise

10 août.

      Denise, Denise, n'ayez pas cette cruauté! quittez Nimerck, venez!.. Avec quelle froide décision vous me rejetez loin de vous, hors de votre vie! C'est à peine si je puis le comprendre et le croire… Je n'étais donc rien pour vous qu'un remplissage de vos heures vides? J'avais cru pourtant… Tenez, je vous le promets; je reprendrai du courage, de la force, à l'avenir; mais mourir ainsi à tous ses sentiments, à tous ses souvenirs, c'est un horrible effort. J'ai un tel nuage de douleur autour de moi que je ne sais plus ce que j'écris.

      XLVIII

      Denise à Philippe

11 août.

      Pauvre cher, je me sens aussi bien malheureuse. Pouvais-je penser que ce doux et maternel enveloppement n'était pas sans péril pour vous? Dans votre amour naissant je n'ai vu qu'un intérêt fraternel. Mon indigence intellectuelle me faisait si petite fille auprès de vous! J'apprenais de vous des choses senties confusément autrefois. O mon doux maître, votre amour me rend l'âme douloureuse; mais je ne peux pas, je ne dois pas revenir. Les lois du monde m'imposent cette sage retraite.

      Mon ami, y aurait-il donc décidément plus d'amour dans l'adultère que dans le mariage? Libre, je sens que je vous épouserais et nous pourrions être heureux.

      Mais je ne suis pas libre; or, je ne vous aime pas assez pour croire aveuglément à l'immuabilité de cet amour offert. Lorsque j'y songe, au lieu de rêver, je ne vois que le côté matériel de cette intrigue; j'y pense froidement et le courage de faillir me manque.

      Vous vous êtes nourri à l'arbre maudit du paradis; il vous a fait connaître la science du bien et du mal et vous m'en instruisez d'une langue éloquente. Je n'ai pas l'esprit de controverse qu'il faudrait pour résister plus longtemps à l'intoxication de ces subtils et enivrants poisons. Croyez-moi, mon ami, toute continuation de nos relations serait un acquiescement tacite à vos volontés d'amour. Ces choses répugnant à mon cœur, je reste.

      Peut-être aussi, tout au fond de mon âme, vous sais-je mauvais gré de m'avoir troublée… Pourquoi m'avoir dit l'enveloppant chant d'amour?.. Pourquoi implorer si fervemment ce que je juge être la honte et l'irréparable flétrissure d'une vie?

      XLIX

      Philippe à Denise

12 août.

      Il y a en vous un instinct qui dort et je n'ai pu l'éveiller. Ce bienfaisant pouvoir m'a manqué. Vous perdre? A cette pensée passent les «cortèges d'heures oubliées» – déjà! – par vous.

      Ne sentiez-vous donc rien, madame, alors que vous électrisiez ma pensée et mon cœur? Voilà le charme par quoi vous m'avez tenu: j'aimais ces sourires de sphinx éclosant sur vos lèvres, ces mots murmurés, votre manière de suspendre une phrase, de la laisser si bizarrement inachevée; toutes ces choses fugitives, si personnelles, avec lesquelles vous exprimiez certains mouvements intérieurs, je les aimais… Où donc étiez-vous alors? Vous sembliez si près de moi!

      Que venez-vous me parler des lois du monde? elles sont générales et lointaines; mon esprit se révolte à les subir depuis que mon cœur aime. Le monde ne me semble plus une sélection, mais une foule indifférente, hypocrite, sans pitié, sans consolation. Pourquoi lui sacrifierais-je ce que, à tort ou à droit, je crois être tout le bonheur, le bonheur intime, ineffable de nos deux vies?

      La nature n'a pas de moralité, je ne suis pas le premier à constater ce fait. La conscience du monde, ses scrupules, ses pudeurs, me paraissent une chose vraiment comique. La vertu de tous n'est qu'une apparence; surgisse le besoin d'amour, le vertige des sens les possède et les voilà, ces pudiques mondains, aveugles sur eux-mêmes avec autant d'intensité qu'ils ont été clairvoyants sur les autres.

      Et puis, qu'importe tout cela? Ah! Denise, combien nerveusement je vous désire et je vous aime!

      XLX

      Denise à Philippe

13 août.

      Votre insistance commence à froisser mon cœur. Je suis évidemment très arriérée et de celles à qui il faudrait un peu plus d'emballement pour franchir ce terrible pas, imperceptible ligne qui sépare la pureté morale d'une vie, du banal adultère; cette ligne, pourtant, creuse un abîme entre l'honnête femme et vos modernes Manons. Ma force philosophique ne me permet pas de sauter à pieds joints d'un bord à l'autre. Ne m'en veuillez pas d'avoir le vertige; c'est une défaillance physique, je ne saurais la vaincre.

      Je ne veux pas vous dire: vous ne m'aimez pas. Vous discuteriez ce point et j'ai grand'peur de la savante casuistique qui vous ferait conclure: «Donc, je vous aime!»

      Mais puisque vous raisonnez si bien, vous qui aimez, laissez-moi vous exposer mon infime théologie morale, moi que la méprisable raison guide encore.

      Ce qui vous a plu en moi, ce par quoi vous avez été touché, mon ami, c'est – n'allez pas être blessé – non pas mes qualités ni mes défauts, mais la séduction avec laquelle vous m'avez amicalement conquise. J'ai su, avec à propos, vous refléter à vous-même, et, finement, vous faire accepter la louange et l'intérêt qu'un esprit complexe, une nature à facettes comme la vôtre, ne peuvent manquer d'inspirer. J'ai su vous parler de vous et vous faire jouir très doucement des jolies découvertes que je faisais d'un Vous ignoré de la foule. J'ai été l'utile tremplin nécessaire à votre esprit; je vous ai distrait, je vous ai amusé, puis, intéressé; je vous ai donné la délicate sensation d'être compris, amortissant tout angle dans cette amitié, lui donnant un enthousiasme presque passionnel. J'avais pour but de vous sortir de cette langueur où vous vous plaisez; j'espérais vous faire désirer, puis trouver une carrière pouvant fournir pâture intéressante à une âme en souffrance comme l'est la vôtre. Vous avez eu, par moi, un sentiment très vif de bonheur, et ce grand mouvement envahissant subitement votre cœur pourrait bien n'être qu'un peu de reconnaissance.

      Oui, vous êtes bon, généreux, séduisant. Vous donnez à certains jours des joies d'une suavité inénarrable. Votre grande intelligence embrasse et étreint tout. Rarement j'ai entendu parler avec autant de clarté, de profondeur, de délicatesse et de sens sur les choses d'art. Un flot d'idées lumineuses sort parfois de vous en grande tempête; elles fécondent les intelligences. Tous mes amis artistes vous aiment, réclament votre présence, vous écoutent et croient en vous à cause de cette puissance génératrice que vous déversez à pleins bords et qui, tombant sur leurs cerveaux bien préparés et entraînés pour produire, les féconde. Par une ironie du sort, vous seul ne pouvez profiter de ce vous puissant. Par une grâce du ciel, moi seule vous l'ai fait découvrir, et j'avais bien compté sur cela pour réaliser ce mythe exquis: une amitié chère entre un homme et une femme.

      Votre scepticisme, votre dédain des autres femmes, me rendaient si fière de vous avoir ainsi conquis.

      Mais votre cœur hésitant n'a pas vu clair dans tout cela et n'a pas su résister à la délicieuse dépravation d'instinctives pensées qui ne manquent pas de naître sur un terrain amical aussi bien cultivé. Ce commerce incessant de nos esprits et de nos âmes a tout gâté. Vos désirs sont montés vers moi ennoblis par vos délicates manières, et, prenant une fantaisie pour un sentiment, vous avez imprudemment parlé – et si légèrement! – d'amour, cette belle et presque sainte religion humaine.

      Je ne nie pas le goût que vous avez pour moi; petit à petit, dans l'enchantement d'une fréquentation amicale rare, par cela même finement appréciée de nous, vous êtes arrivé à croire m'aimer, et cela avec la plus grande force dont vous êtes capable.

      Par malheur je ne ressens pour vous que de la sympathie, un peu poussée à l'extrême, peut-être? Eh bien oui: «je vous aime amicalement», avec cette graine de coquetterie qui, malheureusement, vous a induit en erreur.

      Croyez-moi, mon ami:


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