Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 2 - (A suite - C). Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc

Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 2 - (A suite - C) - Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc


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les instruments de la Passion. Des voiles glissant sur les tringles qui réunissaient les trois colonnes, de chaque côté, fermaient le sanctuaire. Ces voiles furent conservés jusqu'en 1671. Les colonnes avaient été données par un chanoine d'Amiens, Jehan Leclère, en 1511. Un lustre d'Argent à trois branches était suspendu devant l'autel. Trois grands chandeliers de cuivre étaient en outre placés dans le sanctuaire. Un dais en forme de carré long, couvert d'une étoffe de soie semée de fleurs de lis d'or, était suspendu à la voûte immédiatement au-dessus de la table de l'autel. Aux deux angles postérieurs de l'autel, aux extrémités du retable, étaient plantées, sur le dallage, deux colonnes de cuivre en forme d'arbres chargés de fleurs et de fruits. Les corolles des fleurs portaient des cierges que l'on allumait aux jours de fêtes devant les châsses des saints. Quant à la suspension du saint sacrement, elle avait été refaite pendant les XVIIe et XVIIIe siècles. Il n'est pas fait mention dans les registres capitulaires d'où sont tirés ces renseignements, de la clôture qui, comme à la Sainte-Chapelle de Paris, fermait le rond-point derrière l'autel; mais il y a tout lieu de croire que cette clôture double, voûtée, formait une galerie élevée sur laquelle étaient exposées les châsses qui, à la cathédrale d'Amiens, étaient nombreuses et d'une grande richesse. Derrière le maître autel, au fond du rond-point, s'élevait le petit autel de retro; il était décoré d'un groupe de statues représentant le Christ mis au tombeau, exécuté en 1484.

      Pour clore dignement ce choeur, des tombes d'évêques surmontées d'arcatures à jour, terminées par des pignons et clochetons, étaient disposées entre les piles du rond-point. Ce fut seulement en 1755 que tout le sanctuaire de la cathédrale fut bouleversé pour faire place à des images de plâtre et à des rayons de bois doré, avec grosses cassolettes, draperies chiffonnées, gros anges effarouchés également en plâtre.

      Il ne paraît pas que jusqu'au XVe siècle il fût d'usage dans le nord de la France de placer des statues de saints, et à plus forte raison le Christ ou la sainte Vierge, sur le devant des autels au-dessous de la table 59. En admettant qu'il n'y eût pas là une question de convenance, les nappes des autels anciens descendant fort bas (21) 60, il était inutile de placer sur les faces, des bas-reliefs qui n'eussent point été vus.

      Mais pendant les XVe et XVIe siècles on sculpta souvent des figures de saints sur les devants d'autel, des anges, des scènes de la Passion; on représenta même, sous la table de l'autel, le Christ au sépulcre en ronde-bosse, avec les saintes femmes et les soldats endormis 61. Ce n'est qu'au XVIe siècle que l'autel cesse d'affecter la forme d'une table ou d'un coffre, pour adopter celle d'un tombeau, d'un sarcophage. Jusqu'alors l'autel n'est pas le tombeau du Christ ou d'un martyr: il recouvre le tombeau, c'est la table posée sur le tombeau ou devant lui, et même sur la crypte renfermant le tombeau. Cette idée est dominante, et les exemples que nous avons donnés le prouvent surabondamment. La façon dont sont disposés les corps saints sous l'autel des reliques de l'église de Saint-Denis, derrière les autels de Saint-Firmin, de la Vierge, de Saint-Eustache de la même église, de Valcabrère, de la cathédrale d'Amiens même, indique bien nettement que l'autel n'est pas un tombeau, mais un meuble posé devant ou sur des reliques saintes. Un bas-relief de la porte Sainte-Anne à Notre-Dame de Paris, donne d'une manière naïve la véritable signification de l'autel (22). Là, on voit la crypte exprimée par les arcs sous l'emmarchement; trois petites baies s'ouvrent dans la partie supérieure de cette crypte et indiquent la place de la châsse du saint; puis l'autel adossé s'élève sur la crypte et la châsse, il est garni de ses nappes; seul le ciboire est posé sur la table, et une lampe est suspendue au-dessus de lui 62. Mais à partir du XVIe siècle c'est l'autel lui-même qui devient la représentation du tombeau; il affecte de préférence la forme d'un sarcophage scellé. Les autels pleins, antérieurs au XVIe siècle, tels que ceux de Saint-Germer, de Paray-le-Monial (23) du XIIe siècle, l'autel en verres appliqués de Saint-Denis (fig. 18), celui même de l'église du Foll-Goat (Bretagne) (24) 63 qui date du commencement du XVIe siècle, conservent toujours l'apparence d'un meuble. Cette forme traditionnelle se perd avec les derniers vestiges des arts du moyen âge.

       AUVENT, s. m. (Avant-vent). C'est le nom que l'on donne à un ouvrage charpente que l'on dresse d'une manière permanente ou provisoire devant une porte, devant une boutique, ou une salle s'ouvrant au rez-de-chaussée, pour abriter les personnes qui entrent ou qui sortent. Pendant le moyen âge on donnait aussi à l'auvent le nom d'ague. L'auvent se distingue du porche en ce que ce dernier est porté sur des piliers en plus ou moins grand nombre, tandis que l'auvent est comme suspendu à la muraille au-dessus de la porte ou claire-voie qu'il est destiné à abriter. La plupart des maisons élevées pendant les XIIe, XIIIe et XIVe siècles avaient leurs entrées et leurs boutiques surmontées d'auvents attachés à des corbeaux saillants que l'on rencontre encore en grand nombre aujourd'hui. Dans ce cas, l'auvent avait la forme d'un appentis, c'est-à-dire qu'il était à pente simple renvoyant les eaux pluviales dans le milieu de la rue. Les boutiques des marchands étaient généralement ouvertes, et les acheteurs se tenaient dans la rue devant l'étalage; force était donc de leur donner un abri, aussi bien qu'aux marchandises, au moyen d'un toit saillant ne pouvant gêner la circulation (voy. BOUTIQUE). Ces auvents étaient d'ailleurs fort simples, composés de potences accrochées aux corbeaux dont nous venons de parler (1).

      Beaucoup d'édifices publics avaient leurs portes munies d'auvents. Les entrées des hôpitaux, des maisons d'asiles, des couvents, étaient abritées par des auvents pour permettre aux pauvres d'attendre à couvert les secours qu'ils venaient réclamer. On rencontre très-peu de ces ouvrages de charpente conservés aujourd'hui; leur fragilité, les saillies gênantes qu'ils formaient sur la voie publique, ont dû les faire supprimer. C'est surtout dans les manuscrits, les anciennes gravures, que l'on trouve des auvents figurés en grand nombre devant les portes des édifices publics ou privés. Nous en voyons un encore attenant à la porte principale de l'Hôtel-Dieu de Beaune, qui date du XVe siècle; nous le donnons ici (2) 64. Il y en avait un devant le portail de l'ancien Hôtel-Dieu de Paris, que l'on voit représenté dans d'anciennes gravures du parvis Notre-Dame.

      Ces auvents étaient couverts presque toujours en matières légères, telles que l'ardoise, les bardeaux, ou en plomb orné et doré. Il est à présumer que ceux des boutiques accrochés à des corbeaux de pierre n'étaient même souvent composés que de toiles mobiles maintenues par des traverses et des perches inclinées, ainsi que cela se pratique encore aujourd'hui devant les magasins pour préserver les marchandises du soleil.

       AVANT-BEC, s. m. On désigne ainsi les renforts saillants élevés en aval des piles des ponts et formant en plan un angle plus ou moins aigu pour rompre le courant ou garantir les piles contre l'effort des glaces (voy. PONT).

       AXE, s. m. En architecture, c'est le nom que l'on donne à la ligne qui coupe un édifice en deux parties égales. C'est aussi la ligne qui passe verticalement par le centre d'un pilier, d'une colonne, qui en élévation, divise une travée, un membre symétrique d'architecture en deux portions semblables. Dans la plupart des plans des églises du moyen âge du XIe au XIVe siècle, on observe que l'axe de la nef et celui du choeur forment une ligne brisée au transept. On a voulu voir dans cette inclinaison de l'axe du choeur (ordinairement vers le nord) une intention de rappeler l'inclinaison de la tête du Christ mourant sur la croix. Mais aucune preuve certaine ne vient appuyer cette conjecture, qui n'a rien de contraire d'ailleurs aux idées du moyen âge,


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<p>59</p>

Nous disons: dans le nord, parce qu'il existe dans la cathédrale de Marseille un autel du XIIe siècle dont le devant est décoré d'une figure de la sainte Vierge, et de deux figures d'évêques en bas-relief; mais Marseille ne faisait point alors partie de la France. On voit encore dans l'église d'Avenas un autel sur la face duquel sont sculptés le Christ, les quatre évangélistes et les douze apôtres. Cet autel est fidèlement reproduit dans l'Architecture du Ve au XVIIe siècle, de M. Gailhabaud. Nous ne prétendons pas d'ailleurs affirmer qu'il n'y ait point eu en France de devants d'autels ornés de figures de saints ou de personnages divins; car les exemples d'autels anciens sont trop rares pour que l'on puisse rien affirmer à cet égard.

<p>60</p>

L'autel que nous donnons ici est copié sur un des bas-reliefs du portail de la Vierge dorée de la cathédrale d'Amiens. Ce bas-relief appartient à la seconde moitié du XIIIe siècle.

<p>61</p>

On voit un autel de ce genre dans le musée du Grand-Jardin à Dresde; cet autel appartient aux dernières années du XVe siècle.

<p>62</p>

Cette sculpture appartient au second linteau de la porte Sainte-Anne; c'est une adjonction faite, au XIIIe siècle, à ce linteau, qui date du XIIe.

<p>63</p>

L'autel de l'église du Foll-Goat est en pierre noire de Kersantun; les petites niches sont remplies par des figures d'anges tenant alternativement des phylactères et des écussons.

<p>64</p>

Voy. l'Architecture civile et domestique de MM. Verdier et Cattois, In-4°; chez Victor Didron.