Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 9 - (T - U - V - Y - Z). Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc

Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 9 - (T - U - V - Y - Z) - Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc


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des lices, c'est-à-dire de la route militaire pratiquée entre les deux enceintes.

      La figure 14 donne le plan du premier étage. Le chemin de ronde de la courtine est en A, et la tour n'interrompt pas la circulation.

      La porte B met le chemin de ronde en communication avec le rez-de-chaussée par l'escalier D, avec le premier étage de plain-pied, et avec les défenses supérieures par l'escalier C. Les meurtrières, nombreuses, sont chevauchées pour éviter les points morts.

      La figure 15 présente le plan de ces défenses supérieures, les hourds étant supposés placés en E. Le crénelage est largement ouvert en G pour permettre les approvisionnements et pour que l'ouvrage ne puisse se défendre contre l'enceinte intérieure, qui, du reste, possède un commandement très considérable. En temps de paix, l'espace circulaire H était seul couvert par un comble à demeure. Les combles des hourds posés en temps de guerre couvraient le chemin de ronde K et les galeries de bois L; un large auvent protégeait l'ouverture G. La coupe faite sur la ligne ab de ce plan est présentée dans la figure 16.

      En M, est tracé le profil d'ensemble de cet ouvrage, avec le fossé, la crête de la contrescarpe et le sol extérieur formant le glacis. On voit comme les meurtrières sont disposées pour couvrir de projectiles rasants ce glacis, et de projectiles plongeants la crête et le pied de la contrescarpe. Quant à la défense rapprochée, il y est pourvu par les mâchicoulis des hourds, ainsi qu'on le voit en P. La figure 17 donne le tracé géométral de cette tour du côté intérieur, les hourds n'étant posés que du côté R.

      Si l'assaillant parvenait à s'emparer de cet ouvrage, il se trouvait à 20 mètres du pied de l'enceinte intérieure, dont les tours plus rapprochées, mais moins saillantes sur les courtines, présentent un front avec courts flanquements très-multipliés. Du haut de cette enceinte intérieure, dont le relief est de 15 mètres au-dessus du chemin de ronde S, il n'était pas difficile de mettre le feu aux couvertures des tours de l'enceinte extérieure au moyen de projectiles incendiaires, et d'en rendre ainsi l'occupation impossible, d'autant que ces tours ne se défendent pas sur le chemin militaire des lices.

      Avec les armes de jet et les moyens d'attaque de l'époque, on ne pouvait adopter une meilleure combinaison défensive. Ces tours pleines dans la hauteur du talus qui enveloppe la roche naturelle ne pouvaient être ruinées par la sape. Bien percées de meurtrières, elles envoyaient des projectiles divergeants de plein fouet à 60 mètres de leur circonférence. Pour les aborder, il fallait donc entreprendre une suite d'ouvrages qui demandaient du temps et beaucoup de monde; tandis que pour les défendre, il suffisait d'un poste peu nombreux. Un ouvrage de cette étendue pouvait longtemps défier les attaques avec un capitaine et vingt hommes 84. Si l'attaque était très-rapprochée, les meurtrières inférieures devenaient inutiles, et alors les vingt hommes répandus sur les galeries des hourds couvraient les assaillants d'une pluie de projectiles. Nous avons dit ailleurs (voyez ARCHITECTURE MILITAIRE) que les assiégeants dirigeaient plutôt leurs attaques méthodiques contre les courtines que contre les tours, parce que la courtine possédait moins de moyens défensifs que les tours, et qu'il était plus difficile à l'assiégé de les retrancher. Mais, il va sans dire que, pour emporter une courtine, il fallait d'abord détruire ou masquer les flanquements que donnaient les tours voisines.

      Tant que les tours enfilaient la courtine, on ne pouvait guère avancer les chats et les beffrois contre cette courtine. Ainsi, quoiqu'il ne fût pas conforme à la tactique d'envoyer une colonne d'assaut contre une tour--et les beffrois n'étaient qu'un moyen de jeter une colonne d'assaut sur la courtine,--il fallait toujours que l'assaillant rendît nulles les défenses des tours sur les flancs, avant de rien entreprendre contre la courtine.

      Mais admettant que les hourds des tours eussent été détruits ou brûlés, et que les défenses de celles-ci eussent été réduites aux meurtrières des étages inférieurs, que les beffrois fussent approchés de la courtine; le chemin de ronde de la courtine étant toujours élevé au-dessus du sol intérieur, les assaillants qui se précipitaient du beffroi sur ces chemins de ronde étaient pris en flanc par les défenseurs qui sortaient des tours voisines comme de réduits, au moment de l'assaut. C'est en prévision de cette éventualité que les tours, bien qu'elles interceptent la communication d'un chemin de ronde à l'autre, possèdent des portes donnant directement sur ces chemins de ronde et permettant aux postes des tours de se jeter sur les flancs de la colonne d'assaut.

      Voici (fig. 18) une des tours de l'enceinte extérieure de Carcassonne, bâtie par saint Louis, qui remplit exactement ce programme. C'est la tour sur le front nord, dite de la Porte-Rouge. Cette tour possède deux étages au-dessous du crénelage. Comme le terrain s'élève sensiblement de a en b, les deux chemins de ronde des courtines ne sont pas au même niveau; le chemin de ronde b est à 3 mètres au-dessus du chemin de ronde a. En A, est tracé le plan de la tour au-dessous du terre-plein; en B, au niveau du chemin de ronde d; en C, au niveau du crénelage de la tour qui arase le crénelage de la courtine e. On voit en d la porte qui, s'ouvrant sur le chemin de ronde, communique à un degré qui descend à l'étage inférieur A, et en c la porte qui, s'ouvrant sur le chemin de ronde plus élevé, communique à un second degré qui descend à l'étage B. On arrive du dehors au crénelage de la tour par le degré g. De plus, les deux étages A et B sont en communication entre eux par un escalier intérieur hh', pris dans l'épaisseur du mur de la tour. Ainsi les hommes postés dans les deux étages A et B sont seuls en communication directe avec les deux chemins de ronde. Si l'assiégeant est parvenu à détruire les hourds et le crénelage supérieur, et si croyant avoir rendu l'ouvrage indéfendable, il tente l'assaut de l'une des courtines, il est reçu de flanc par les postes établis dans les étages inférieurs, lesquels, étant facilement blindés, n'ont pu être bouleversés par les projectiles des pierrières ou rendus inhabitables par l'incendie du comble et des hourds. Une coupe longitudinale faite sur les deux chemins de ronde de c en d permet de saisir cette disposition (fig. 19).

      On voit en e' la porte de l'escalier e, et en d' la porte de l'escalier d (du plan). Cette dernière porte est défendue par une échauguette f, à laquelle on arrive par un degré de six marches. En h', commence l'escalier qui met en communication les deux étages A et B. Une couche de terre posée en k empêche le feu, qui pourrait être mis aux hourds et au comble l par les assiégés, de communiquer aux deux planchers qui couvrent ces deux étages A et B.

      La figure 20 donne la coupe de cette tour suivant l'axe perpendiculaire au front. En d'', est la porte donnant sur l'escalier d. Les hourds sont posés en m. En p, est tracé le profil de l'escarpement avec le prolongement des lignes de tir des deux rangs de meurtrières des étages A et B.

      Il n'est pas besoin de dire que les hourds battent le pied o de la tour.

      Une vue perspective (fig. 21), prise du chemin militaire entre ces deux enceintes (point X du plan), fera saisir les dispositions intérieures de cette défense. Les approvisionnements des hourds et chemins de ronde de la tour se font par le créneau c (du plan C), au moyen d'un palan et d'une poulie, ainsi'que le fait voir le tracé perspectif.

      Ici la tour ne commande que l'un des chemins de ronde (voy. la coupe, fig. 19). Lors de sa construction sous saint Louis, elle commandait les deux chemins de ronde; mais sous Philippe le Hardi, lorsqu'on termina les défenses de ia cité


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<p>84</p>

Ce nombre était plus que suffisant, puisque les deux enceintes n'avaient pas à se défendre simultanément, et que les hommes de garde, dans l'enceinte intérieure, pouvaient envoyer des détachements pour défendre l'enceinte extérieure, ou que celle-ci étant tombée au pouvoir de l'ennemi, ses défenseurs se réfugiaient derrière l'enceinte inférieure. D'ailleurs l'assiégeant n'attaquait pas tous les points à la fois. Le périmètre de l'enceinte extérieure est de 1400 mètres en dedans des fossés, donc c'est environ un homme par mètre de développement qu'il fallait compter pour composer la garnison d'une ville fortifiée comme l'était la cité de Carcassonne.