La Pire Espèce. Chiara Zaccardi

La Pire Espèce - Chiara Zaccardi


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Matthew est fort, mais Will est son complice et elle, elle est remplacée par Rich, le nouvel ami avec qui ils peuvent parler de choses d’“ hommes ”.

      Tout ça pour dire que, ce qu’elle craignait le plus, malgré ses efforts et le soutien de sa grandmère, est tout de même arrivé : elle s’est retrouvée seule.

      C’est arrivé progressivement et non par sa faute. Elle, elle est restée la même. Les autres, non.

      Elle a essayé de regarder autour d’elle et de rencontrer d’autres personnes avec qui sortir et s’amuser, mais à ce stade du semestre les groupes s’étaient déjà formés et elle en a été exclue car elle a perdu trop de temps à courir après ces deux ingrats. En plus, elle a découvert qu’elle a très peur des gens. Sa pathologie consiste en une timidité paranoïaque mélangée à une très faible estime de soi, qui l’empêche de s’approcher de quelqu’un sans rougir ou s’embarrasser.

      À quinze ans, elle s’est retrouvée mal dans sa peau, sans amis, cataloguée comme loseuse et peu attrayante. Bien sûr, en théorie, elle savait quelles sont les règles pour l’être : les bons vêtements, le maquillage, le comportement. Elle lisait sans cesse les magazines de mode pour ados, mais elle n’arrivait jamais à appliquer les conseils qui étaient écrits. Les coiffures proposées ? Ça ne lui allait pas à elle. Les cosmétiques et les dernières tendances mode ? Trop chers. Les scénarios attrape-copain ? Absurdes et irréalisables.

      Finalement, elle a arrêté de lire, convaincue que ce monde-là n’était pas fait pour elle. Elle aurait eu besoin des conseils d’une personne en chair et en os, mais la seule disposée à lui en donner était sa grand-mère, pas fiable du tout : pour elle, sa petite-fille est toujours parfaite.

      Pendant quelques temps, sa compagnie lui a convenu, au moins pour se tenir à l’écart de l’école. Jusqu’à ce qu’elle devienne, elle aussi, un problème, alors Juliette a regretté ne pas être confortablement restée à l’école publique.

      Oui, parce que même si les élèves paient, l’enseignement et la progression scolaire à la Kennedy ne sont pas simples. Le père de Matthew a raison lorsqu’il dit qu’elle offre de meilleurs bases et des enseignants plus qualifiés que dans les écoles publiques, mais pour elle, ça signifie seulement avoir de mauvaises notes, passer ses journées à pleurer sur des livres qu’elle ne comprenait pas et assister continuellement à des cours de rattrapages. Certains matins, elle voulait ingurgiter un somnifère puissant et dormir, sans préoccupations ni devoirs en classe, jusqu’au diplôme.

      Maintenant qu’elle est en dernière année, elle croyait s’être désormais habituée aux ennuis quotidiens, et pouvoir vivre avec encore quelques temps, pour pouvoir ensuite débarquer à l’université ou trouver un travail, et tout recommencer.

      Dans la peau d’une nouvelle personne.

      Comme dans les contes de fée.

      À l’inverse, ses espoirs de tranquillité se sont évanouis avec la maladie de son grand-père.

      Ses grands-parents ont un commerce de volaille depuis des générations qu’ils ne souhaitent ni abandonner ni vendre car il représente encore une bonne source de revenu. Quand son grand-père est tombé malade, Juliette a proposé de travailler avec eux pour les aider. Cela lui a paru normal, après tout ce qu’ils ont fait pour elle.

      Les premiers jours où elle a enfilé l’horrible tablier du “ Babbit Chicken ”, elle espérait vraiment pouvoir rencontrer de nouvelles personnes avec qui elle aurait sympathisé. Ou pourquoi pas un petit ami.

      Eh bien, elle a découvert que la chance n’avait pas l’intention de l’effleurer, étant donné qu’il n’y avait que deux types de clientèle qui fréquentaient le magasin : les vieux amis des grands-parents, qui achetaient chez eux depuis quarante ans et qui la traitaient comme une enfant, et les sales gosses qui se limitaient à se moquer d’elle ou qui s’enfuyaient sans payer. Des princes charmants prêts à tomber éperdument amoureux d’elle et à l’emmener dans le château où ils vivraient heureux pour toujours, riches et loin de l’école, elle n’en voyait même pas l’ombre, à part dans ses rêves.

      Et, bien sûr, à la Kennedy, ils l’ont tous su. Moins d’une semaine plus tard, la nouvelle se propage que la loseuse, la pouilleuse Juliette Babbit est devenue marchande de volailles. Elle sait même qui a propagé la nouvelle : Grace Wallace. Elle en est certaine. Un après-midi, la mère de Grace était passée au magasin. C’est elle qui l’avait servie. Et, le lendemain matin, elle était devenue, une fois de plus, la risée de tous.

      Une bande d’élèves de dernière année a même acheté un énorme costume de poule, l’a encerclée dans la cour et a essayé de le lui faire enfiler de force.

      Cette fois-là a été la deuxième bagarre que Matthew a déclenchée pour elle : il avait séché le cours de maths et était descendu dans la cour pour fumer ; puis, il l’avait vue, entourée par des gens. Sans attendre, il les avait fait fuir.

      Peut-être que c’est pour ça qu’il lui plaît encore un peu.

      « Merci » lui avait-elle dit, embarrassée par la scène à laquelle il avait assistée.

      « De rien » Matthew s’était allumé une cigarette et l’avait regardée. « Ces gens sont de vrais nazes. N’aie pas peur d’eux et envoie-les se faire foutre, comme ça ils arrêteront » .

      Peut-être qu’il lui plaît aussi parce qu’il est direct et franc.

      Ses mots lui avaient remonté le morale, mais pas au point d’arriver à se retrouver face à face avec Grace et l’insulter comme elle le mérite. Au fond, elle ne sait même pas si ça l’aurait soulagée. Probablement que si elle l’avait affrontée, ça aurait été pire après, et ils auraient continué à la persécuter indéfiniment.

      C’est pourquoi, elle a laissé tomber. Car c’est vraiment ce qu’elle veut. Laisser tout tomber et se laisser aller.

      C’est trop dur d’aller de l’avant. Le diplôme lui semble un objectif irréalisable et lointain. Elle n’a plus envie d’attendre. Elle veut seulement se débarrasser de ses problèmes et être tranquille.

      Au fond, elle est convaincue du fait que, dans la vie, très peu de personnes réalisent leurs aspirations avant de mourir. Elle, elle ne fait pas partie de ceux-là. C’est clair.

      Elle pourrait changer d’école, ou de ville, mais elle a déjà essayé avec ses parents, et elle s’est sentie plus mal qu’avant. Elle est fatiguée de fuir. Elle est fatiguée de recommencer. On ne peut pas vraiment commencer quelque chose de nouveau si l’on reste la même personne, celle que l’on a toujours été. Elle est fatiguée d’elle-même. Elle est fatiguée de tout. Donc, elle a choisi de rester et de changer. Finalement, on peut dire ça comme ça.

      Un changement vraiment radical.

      Qu’elle a décidé la veille au soir.

      Une soirée infernale.

      Sa grand-mère devait organiser le cocktail pour l’inauguration d’un nouveau bar et elle lui avait demandé de l’aider. Juliette ne savait pas que le bar serait le Goah, et elle ne savait pas ce qu’était le Goah. Elle pensait que c’était un de ces cercles privés habituels pour des gens respectables. Au contraire, ce n’était pas privé, ce n’était pas fermé et ce n’était pas un endroit distingué.

      Elle se présente en tant que serveuse et, avec horreur, elle se retrouve avec la moitié des élèves de l’école. En théorie, ils ne devraient pas être là, car il faut avoir vingt-et-un ans pour pouvoir entrer dans une fête où l’on sert de l’alcool, mais la sécurité laisse à désirer : Juliette remarque qu’il suffit de montrer une fausse carte d’identité pour passer. Malheureusement pour elle.

      Son premier réflexe est de se réfugier dans la cuisine pour s’y cacher, ce qu’elle fait mais cela est de courte durée : sa grand-mère la trouve, la sort de


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