Le Trône des Dragons. Морган Райс
tenait fermement Aurelle, bien déterminé à ne pas la lâcher. Il la hissa à bord pour qu'elle ne tombe pas à l'eau, mais également pour se prouver qu'elle était bien là, saine et sauve.
"J'ai cru te perdre."
"Tu m'as sauvé la vie. Je … je ne sais pas quoi dire …"
"Je sais." Il l'embrassa tendrement. "Je t'aime."
"Je … je t'aime aussi."
Aurelle avait parlé sans réfléchir, la Maison des Soupirs lui avait appris que ces quelques mots n'étaient qu'un moyen de parvenir à ses fins, une façon supplémentaire de maîtriser ses sentiments. Pour celles dont le rôle consistait à offrir leur corps, ces mots insufflaient un peu de douceur à la chose, permettaient de gagner plus d'argent. Pour elle, ces mots étaient une arme aussi tranchante qu'un couteau.
Elle aurait pu poignarder le Prince Greave à ce moment-là. Il était tout près, les marins le croiraient blessé par la créature, conséquence logique de cet enfer.
Ou pas. Ils s'apercevraient peut-être de son geste et la tueraient. Ils croiraient peut-être que la blessure avait été provoquée par la créature, elle serait alors la seule femme à bord parmi tous ces marins, sans aucun moyen de rentrer, soumise à leur bon vouloir.
Non, un bateau n'était pas le meilleur endroit pour tuer le prince, même si son patron lui aurait probablement demandé de le tuer sur le champ, quels que soient les risques. Aurelle songea au Duc Viris, à ce qu'il lui faisait faire. Il se souciait d'elle comme une guigne. Le temps passé avec elle à la Maison des Soupirs en était la preuve.
Aurelle se voulait pragmatique, mais il y avait autre chose. Greave était un homme doux, gentil et attentionné, complétement différent de ceux qu'Aurelle rencontrait habituellement. Il avait sauté pour la sauver sans réfléchir, s'était élancé au-devant du danger, alors qu'il aurait simplement pu s'accrocher à la ligne de vie et attendre que les marins chassent le darkmaw. Le Duc Viris ne se serait jamais comporté de la sorte.
Sa mission demeurait inchangée : Aurelle devait empêcher Greave de trouver le moyen d'aider sa sœur. Elle devait le distraire, exercer son pouvoir, le tuer si nécessaire. Aurelle redoutait d'en arriver à cette extrémité, elle ne savait pas quoi faire. Elle ne pouvait pas tuer Greave, se refusait à lui faire du mal.
Elle réalisa que ne pouvoir aider sa sœur lui brisait le cœur. Pouvait-elle le tuer ? Devait-elle le tuer ? Son bon sens lui disait oui ; le Duc Viris n'était pas seulement son patron, mais l'instigateur de toute cette affaire. Aurelle savait ce qu'être à la merci d'hommes puissants signifiait ; elle ne souhaitait pas provoquer l'ire de l'un des puissants de ce monde.
Et pourtant … elle ne pouvait se détacher de Greave, restait constamment dans les bras de cet homme étrange et séduisant qui parcourait le royaume pour sauver sa sœur, qui chérissait plus les livres que la violence.
"Je t'aime," répéta-t-elle, cette arme à double tranche pourrait facilement se retourner contre elle.
Ils toucheraient bientôt terre, et alors … alors il lui faudrait choisir.
CHAPITRE SIX
Le Prince Vars chevauchait en tête, il essayait de rester bien droit en selle, de garder sa prestance royale. Il avait toujours été doué pour. Il n'était pas aussi musclé que Rodry, n'avait pas la beauté presque féminine de Greave, mais il était encore jeune, beau et noble, avec son armure et ses magnifiques atours.
Il se savait observé par les gardes qui l'accompagnaient, dans l'attente de ses ordres. Il songea à l'auberge dans laquelle ils avaient passé la nuit, s'étaient enivrés de bière, empiffrés de viande et étourdis de femmes. Vars avait largement profité des trois, la tentation de remettre le couvert était grande.
"Votre Altesse," questionna le sergent. "Ne devions-nous pas rattraper la Princesse pour la procession des noces ?"
"C'est moi qui donne les ordres, Sergent," lui rappela Vars, l'homme avait raison, c'était agaçant. Faire relâche une soirée ne coûtait rien, tous sauraient qui commandait. Vars savait combien son père serait fâché s'il découvrait son absence, Vars ne voulait pas risquer la colère de son père.
"Très bien. En avant !"
Ils se mirent en route, le soleil s'était levé, la chaleur était agréable, pas étouffante. Ils employèrent la matinée à rejoindre le carrefour choisi par Vars. Ils traversèrent des terres arables, des champs de blé et autres céréales que les paysans étaient censés cultiver. Les routes étaient en terre, avec des murs de pierres sèches de part et d'autre et quelques arbres : pommiers, cèdres, chênes et poiriers. Des moutons paissaient dans les champs, des bêtes stupides, à l'image du vulgus pecum.
Ses hommes étaient heureusement sensés : ils ne lui firent pas remarquer qu'ils étaient déjà passés par là hier parvenus au carrefour où gisait le panneau. Vars s'engagea le premier sur l'autre voie ; l'auberge où Lenore avait passé la nuit devait se trouver à une heure de route.
Elle accueillerait Vars en héros après cette période en solitaire, effrayée par les dangers de la route, comme elle le faisait avec Rodry. Bien sûr, Vars devrait passer quelques jours encore avec elle durant ce voyage, ils arpenteraient le fin fond du royaume pour récolter les présents, ce n'était pas si terrible après tout. Une partie du tribut trouverait peut-être le chemin de ses coffres chemin faisant …
Cette agréable pensée permit à Vars de poursuivre, tandis que ses troupes marchaient au pas sur la route menant à l'auberge. Il l'apercevait de loin, les bâtiments étaient désormais visibles entre les arbres. Vars poussa son cheval. La brillante cohorte arriverait bientôt à bon port, avec Vars à sa tête…
Quelque chose clochait. De la fumée aurait dû s'échapper des fourneaux, de multiples signes de vie. Un calme absolu régnait. Vars voulut faire demi-tour, s'éloigner. Il savait que son père considérerait sa fuite comme un aveu de faiblesse …
Il ralentit suffisamment pour laisser ses hommes arriver à l'auberge avant lui. A l'abri derrière ses hommes, Vars aperçut le carrosse de Lenore, l'espoir renaissait. Puis il vit les cadavres, l'espoir céda la place à une terreur effroyable.
Ils gisaient là où ils étaient morts ou avait été traînés. Vars reconnut les uniformes ensanglantés des gardes qui escortaient Lenore. Des servantes avaient été sauvagement assassinées, moins rapidement cela dit. L'œil entraîné de Vars ne connaissait que trop bien la mort lente.
La peur s'empara de lui. Notamment pour sa demi-sœur, en dépit des racontars, Vars n'était pas un monstre. Il eut surtout peur pour lui, peur de la réaction de son père lorsqu'il apprendrait que Vars avait échoué à protéger Lenore, mais là n'était pas la question.
La question … la question était que Vars était absent au moment des faits.
Il éprouva un certain soulagement dans un premier temps, sa présence ici rimait avec danger inconsidéré, voire, la mort, vue la facilité avec laquelle les gardes de Lenore avaient été massacrés.
Sa pensée suivante fut que tel était son destin, tout le monde l'apprendrait. Ils le considèreraient comme un être méprisable, un moins que rien, tout prince du royaume soit-il.
"Trouvez ma sœur !" ordonna Vars. "Découvrez ce qui s'est passé !"
Il resta assis sur son cheval pendant que ses hommes se déployaient, fouillaient l'auberge dans les moindres recoins. Vars était assis, la main sur le pommeau de son épée, ne sachant que faire si jamais les assaillants sortaient des bâtisses alentour. Attaquer, rester assis, comme pétrifié, prendre la fuite ? Il ne risquait pas d'entrer en premier et aller au-devant du danger.
Vars se haïssait.
"Il y a quelqu'un !" cria le sergent depuis l'écurie. "Elle est en vie !"
Vars mit pied à terre, espérant qu'il s'agisse de Lenore. Si elle était morte …
Il fit irruption dans l'écurie et trouva le sergent, qui aidait une jeune femme