Walter Benjamin: Gesamtausgabe - Sämtliche Werke. Walter Benjamin
se sentaient le plus à l’aise dans leur vocation de poète prirent le plus grand essor: Lamartine, Victor Hugo se trouvaient comme investis d’une dignité toute nouvelle. C’étaient en quelque sorte les prêtres laïques de la bourgeoisie. D’autres – Béranger, Pierre Dupont – se contentaient de solliciter le concours de la mélodie facile pour assurer leur popularité. D’autres encore, dont Barbier, firent leur la cause du quatrième état. D’autres enfin, Théophile Gautier, Leconte de l’Isle, se réfugièrent dans l’art pour l’art.
Baudelaire n’a su s’engager dans aucune de ces voies. C’est ce qui a été si bien dit par Valéry dans cette fameuse Situation de Baudelaire où on lit: »Le problème de Baudelaire devait se poser ainsi: être un grand poète, mais n’être ni Lamartine, ni Hugo, ni Musset. Je ne dis pas que ce propos fut conscient, mais il était nécessairement en Baudelaire, – et même essentiellement Baudelaire. Il était sa raison d’état.« On peut dire que Baudelaire, en face de ce problème, prit le parti de le porter devant le public. Son existence oisive, dépourvue d’identité sociale, il prit la résolution de l’afficher; il se fit une enseigne de son isolement social: il devint flâneur. Ici comme pour toutes les attitudes essentielles de Baudelaire, il paraît impossible et vain de départir ce qu’elles comportaient de gratuit et de nécessaire, de choisi et de subi, d’artifice et de naturel. En l’espèce, cet enchevêtrement tient à ce que Baudelaire éleva l’oisiveté au rang d’une méthode de travail, de sa méthode à lui. On sait qu’en bien des périodes de sa vie il ne connut pour ainsi dire pas de table de travail. C’est en flânant qu’il fit, et surtout qu’il remania interminablement ses vers.
Le long du vieux faubourg, où pendent aux masures
Les persiennes, abri des secrètes luxures,
Quand le soleil cruel frappe à traits redoublés
Sur la ville et les champs, sur les toits et les blés,
Je vais m’exercer seul à ma fantasque escrime,
Flairant dans tous les coins les hasards de la rime,
Trébuchant sur les mots comme sur les pavés,
Heurtant parfois des vers depuis longtemps rêvés.
C’est le flâneur Baudelaire qui fit l’expérience des foules dont nous avons parlé. Nous y revenons pour mettre en valeur un autre de ces coups de sonde qu’il portait dans les profondeurs de la vie collective. Une des premières réactions que fit naître la formation des foules au sein des grandes villes, fut la vogue de ce qu’on nommait les »physiologies«. C’étaient là de petits livrets à quelques sous dont l’auteur s’amusait à classer des types d’après leur physionomie et à saisir au vol aussi bien le caractère que les occupations et le rang social d’un passant quelconque. L’œuvre de Balzac donne mille échantillons de cette manie. Voilà, dira-t-on, une perspicacité bien illusoire. Illusoire, en effet. Mais il y a un cauchemar qui lui correspond et celui-ci, de son côté, apparaît comme beaucoup plus substantiel. Ce cauchemar serait de voir les traits distinctifs qui au premier abord semblent garantir l’unicité, l’individualité stricte d’un personnage révéler à leur tour les éléments constitutifs d’un type nouveau qui établirait, lui, une subdivision nouvelle. Ainsi se manifesterait, au cœur de la flânerie, une phantasmagorie angoissante. Baudelaire l’a développée vigoureusement dans Les sept vieillards.
Tout à coup, un vieillard dont les guenilles jaunes
Imitaient la couleur de ce ciel pluvieux,
Et dont l’aspect aurait fait pleuvoir les aumônes,
Sans la méchanceté qui luisait dans ses yeux,
M’apparut.
…………
…………
Son pareil le suivait: barbe, œil, dos, bâton, loques,
Nul trait ne distinguait, du même enfer venu,
Ce jumeau centenaire, et ces spectres baroques
Marchaient du même pas vers un but inconnu.
A quel complot infâme étais-je donc en butte,
Ou quel méchant hasard ainsi m’humiliait?
Car je comptai sept fois, de minute en minute,
Ce sinistre vieillard qui se multipliait!
L’individu qui est ainsi présenté dans sa multiplication comme toujours identique, suggère l’angoisse qu’éprouve le citadin à ne plus pouvoir, malgré la mise en œuvre des singularités les plus excentriques, rompre le cercle magique du type. Cercle magique qui déjà est suggéré par Poe dans sa description de la foule. Les êtres dont il la voit composée, apparaissent comme assujettis à des automatismes. C’est, du reste, la conscience de cet automatisme strictement réglé, de ce caractère rigoureusement typique qui, lentement acquise, solidement établie, va leur permettre, au bout d’un siècle de se targuer d’une inhumanité et d’une cruauté inédites. Il paraît que, par échappées, Baudelaire ait saisi certains traits de cette inhumanité à venir. On lit dans les Fusées: »Le monde va finir … Je demande à tout homme qui pense de me montrer ce qui subsiste de la vie … Ce n’est pas particulièrement par des institutions politiques que se manifestera la ruine universelle … Ce sera par l’avilissement des cœurs. Ai-je besoin de dire que le peu qui restera de politique se débattra péniblement dans les étreintes de l’animalité générale, et que les gouvernants seront forcés, pour se maintenir et pour créer un fantôme d’ordre, de recourir à des moyens qui feraient frissonner notre humanité actuelle, pourtant si endurcie? … Ces temps sont peut-être bien proches; qui sait même s’ils ne sont pas venus, et si l’épaississement de notre nature n’est pas le seul obstacle qui nous empêche d’apprécier le milieu dans lequel nous respirons?«
Nous ne sommes déjà pas si mal placés pour convenir de la justesse de ces phrases. Il y a bien des chances qu’elles gagneront en sinistre. Peut-être la condition de la clairvoyance dont elles font preuve, était-elle beaucoup moins un don quelconque d’observateur que l’irrémédiable détresse du solitaire au sein des foules. Est-il trop audacieux de prétendre que ce sont ces mêmes foules qui, de nos jours, sont pétries par les mains des dictateurs? Quant à la faculté d’entrevoir dans ces foules asservies des noyaux de résistance – noyaux que formèrent les masses révolutionnaires de quarante-huit et les communards – elle n’était pas dévolue à Baudelaire. Le désespoir fut la rançon de cette sensibilité qui, la première abordant la grande ville, la première en fut saisie d’un frisson que nous, en face de menaces multiples, par trop précises, ne savons même plus sentir.
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AUFSÄTZE, ESSAYS, VORTRÄGE
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Frühe Arbeiten zur Bildungs- und Kulturkritik
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Das Dornröschen
1911
Wir leben im Zeitalter des Sozialismus, der Frauenbewegung, des Verkehrs, des Individualismus. Gehen wir nicht dem Zeitalter der Jugend entgegen?
Jedenfalls leben wir in einer Zeit, wo man keine Zeitschrift aufschlagen kann, ohne daß einem das Wort »Schule« in die Augen fällt, in einer Zeit, wo die Worte Koedukation, Landerziehungsheim, Kind und Kunst durch die Luft schwirren. Die Jugend aber ist das Dornröschen, das schläft und den Prinzen nicht ahnt, der naht, es zu befreien. Und daß die Jugend erwache, daß sie teilnehme an dem Kampfe, der um sie geführt wird, dazu will ja unsere Zeitschrift nach Kräften beitragen. Sie will der Jugend zeigen, welchen Wert und Ausdruck sie erhalten hat im Jugendleben der Großen: eines Schiller, eines Goethe, eines Nietzsche. Sie will ihr Wege weisen, das Gemeinschaftsgefühl,