Un billet de loterie (Le numéro 9672). Jules Verne

Un billet de loterie (Le numéro 9672) - Jules Verne


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Est-ce que vous ne connaissez pas un certain monsieur

       Sandgoïst, qui y demeure?…

      — Monsieur Sandgoïst! répéta dame Hansen, dont la figure pâlit à ce nom. Oui… je le connais!

      — Eh bien, quand monsieur Sandgoïst a su que je venais à Dal, il m'a prié de vous donner le bonjour de sa part.

      — Et… rien de plus?…

      — Rien, si ce n'est de vous dire qu'il viendrait probablement vous voir le mois prochain! — Bonne santé et bonsoir, dame Hansen!

      V

      Hulda, en effet, était très frappée de cette persistance de Ole à toujours lui parler dans ses lettres de cette fortune qu'il comptait trouver à son retour. Sur quoi le brave garçon fondait-il cette espérance? Hulda ne pouvait le deviner, et il lui tardait de le savoir. Qu'on excuse cette impatience si naturelle. Était-ce donc une vaine curiosité de sa part? Point. Ce secret la regardait bien un peu. Non qu'elle fût ambitieuse, l'honnête et simple fille, ni que ses visées d'avenir se fussent jamais haussées à ce qu'on appelle la richesse. L'affection de Ole lui suffisait, elle devait lui suffire toujours. Si la fortune venait, on l'accueillerait sans grande joie. Si elle ne venait pas, on s'en passerait sans grand déplaisir.

      C'est précisément ce que se disaient Hulda et Joël, le lendemain du jour où la dernière lettre de Ole était arrivée à Dal. Là-dessus ils pensaient de la même façon — comme sur tout le reste, d'ailleurs.

      Et alors Joël d'ajouter:

      — Non! Cela n'est pas possible, petite soeur! Il faut que tu me caches quelque chose!

      — Moi!… te cacher?…

      — Oui! Que Ole soit parti sans te dire au moins un peu de son secret… ce n'est pas croyable!

      — T'en a-t-il dit un mot, Joël? répondit Hulda.

      — Non, soeur. Mais moi, je ne suis pas toi.

      — Si, tu es moi, frère.

      — Je ne suis pas le fiancé de Ole.

      — Presque, dit la jeune fille, et, si quelque malheur l'atteignait, s'il ne revenait pas de ce voyage, tu serais frappé comme moi, et tes larmes couleraient comme les miennes!

      — Ah! petite soeur, répondit Joël, je te défends bien d'avoir de ces idées! Ole ne pas revenir de ce dernier voyage qu'il fait aux grandes pêches! Est-ce que tu parles sérieusement, Hulda?

      — Non, sans doute, Joël. Et pourtant, je ne sais… Je ne peux me défendre de certains pressentiments… de vilains rêves!…

      — Des rêves, chère Hulda, ne sont que des rêves!

      — Sans doute, mais d'où viennent-ils?

      — De nous-mêmes et non d'en haut. Tu crains, et ce sont tes craintes qui hantent ton sommeil. D'ailleurs, il en est presque toujours ainsi, quand on a vivement désiré une chose et que le moment approche où les désirs vont se réaliser.

      — Je le sais, Joël.

      — Vraiment, je te croyais plus ferme, petite soeur! Oui! plus énergique! Comment, tu viens de recevoir une lettre dans laquelle Ole te dit que le _Viken _sera de retour avant un mois, et tu te mets de pareils soucis dans la tête!…

      — Non… dans le coeur, mon Joël!

      — Et, au fait, reprit Joël, nous sommes déjà au 19 avril. Ole doit revenir du 15 au 20 mai. Il n'est donc pas trop tôt de commencer les préparatifs du mariage.

      — Y penses-tu, Joël?

      — Si j'y pense, Hulda! Je pense même que nous avons peut-être déjà trop tardé! Songes-y donc! Un mariage qui va mettre en joie non seulement Dal, mais les gaards voisins. J'entends que cela soit très beau, et je vais m'occuper d'arranger les choses!

      C'est que ce n'est pas une petite affaire, une cérémonie de ce genre dans les campagnes de la Norvège en général et du Telemark en particulier. Non! cela ne va pas sans quelque bruit.

      Il s'ensuit donc que, le jour même, Joël eut à ce sujet un entretien avec sa mère. C'était peu d'instants après que dame Hansen avait été si vivement impressionnée par la rencontre de cet homme qui venait de lui annoncer la prochaine visite de M. Sandgoïst, de Drammen. Elle était allée s'asseoir dans le fauteuil de la grande salle, et, là, tout absorbée, faisait machinalement tourner son rouet.

      Joëlle vit bien, sa mère était encore plus tourmentée que d'habitude; mais comme elle répondait invariablement «qu'elle n'avait rien», lorsqu'on l'interrogeait à cet égard, son fils ne voulut lui parler que du mariage de Hulda.

      — Ma mère, dit-il, vous le savez, nous avons appris par la dernière lettre de Ole qu'il sera vraisemblablement de retour au Telemark dans quelques semaines.

      — C'est à souhaiter, répondit dame Hansen, et puisse-t-il n'éprouver aucun retard!

      — Voyez-vous quelque inconvénient à ce que nous fixions au 25 mai la date du mariage?

      — Aucun, si Hulda y consent.

      — Son consentement est tout donné déjà. Et maintenant, je vous demanderai, ma mère, si votre intention n'est pas de faire bien les choses à cette occasion.

      — Qu'entends-tu par «faire bien les choses»? répondit dame

       Hansen, sans lever les yeux de son rouet.

      — J'entends, avec votre agrément, cela va de soi, ma mère, que la cérémonie se rapporte avec notre situation dans le bailliage. Nous devons y convier nos connaissances, et, si la maison ne peut suffire à nos hôtes, il n'est pas un voisin qui ne s'empressera de les héberger.

      — Quels seraient ces hôtes, Joël?

      — Mais je pense qu'il faudra inviter tous nos amis de Moel, de Tiness, de Bamble, et je m'en charge. J'imagine aussi que la présence de MM. Help frères, les armateurs de Bergen, ne pourra que faire honneur à la famille, et, avec votre agrément, je le répète, je leur offrirai de venir passer une journée à Dal. Ce sont de braves gens qui aiment beaucoup Ole, et je suis sûr qu'ils accepteront.

      — Est-il donc si nécessaire, répondit dame Hansen, de traiter ce mariage avec tant d'importance?

      — Je le pense, ma mère, et cela me paraît bon, ne fût-ce que dans l'intérêt de l'auberge de Dal, qui ne s'est pas dépréciée, que je sache, depuis la mort de notre père?

      — Non… Joël… non!

      — N'est-ce pas notre devoir de la maintenir au moins dans l'état où il l'a laissée? Donc, il me paraît utile de donner quelque retentissement au mariage de ma soeur.

      — Soit, Joël.

      — D'autre part, n'est-il pas temps que Hulda commence ses préparatifs, afin qu'aucun retard ne puisse venir d'elle? Que répondez-vous, ma mère, à ma proposition?

      — Que Hulda et toi, vous fassiez ce qu'il faut!… répondit dame

       Hansen.

      Peut-être trouvera-t-on que Joël se pressait un peu, qu'il eût été plus raisonnable d'attendre le retour de Ole, pour fixer la date du mariage et surtout en commencer les préparatifs. Mais, comme il le disait, ce qui serait fait ne serait plus à faire. Et puis, cela distrairait Hulda de s'occuper des mille détails que comporte une cérémonie de ce genre. Il importait de ne pas laisser à ses pressentiments, que rien ne justifiait d'ailleurs, le temps de prendre le dessus.

      Et d'abord il fallait songer à la fille d'honneur. Mais qu'on ne s'inquiète pas! Le choix était déjà fait. C'était une aimable demoiselle de Bamble, l'intime amie de Hulda. Son père, le fermier Helmboë, dirigeait un des gaards les plus importants de la province. Ce brave homme n'était pas


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