LUPIN - Les aventures du gentleman-cambrioleur. Морис Леблан

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de la pièce, entre la table et l’armoire à glace, gisait le corps de son maître, le Baron d’Hautrec.

      – Quoi ! … Est-ce possible ?… bégaya-t-il.

      Il ne savait que faire, et sans bouger, les yeux écarquillés, il contemplait le bouleversement des choses, les chaises tombées, un grand flambeau de cristal cassé en mille morceaux, la pendule qui gisait sur le marbre du foyer, toutes ces traces qui révélaient la lutte affreuse et sauvage. Le manche d’un stylet d’acier étincelait, non loin du cadavre. La lame en dégouttait de sang. Le long du matelas, pendait un mouchoir souillé de marques rouges.

      Charles hurla de terreur : le corps s’était tendu en un suprême effort, puis s’était recroquevillé sur lui-même… deux ou trois secousses, et ce fut tout.

      Il se pencha. Par une fine blessure au cou, du sang giclait, qui mouchetait le tapis de taches noires. Le visage conservait une expression d’épouvante folle.

      – On l’a tué, balbutia-t-il, on l’a tué.

      Et il frissonna à l’idée d’un autre crime probable : la demoiselle de compagnie ne couchait-elle pas dans la chambre voisine ? Et le meurtrier du Baron ne l’avait-il pas tuée elle aussi ?

      Il poussa la porte : la pièce était vide. Il conclut qu’Antoinette avait été enlevée, ou bien qu’elle était partie avant le crime.

      Il regagna la chambre du Baron et, ses yeux ayant rencontré le secrétaire, il remarqua que ce meuble n’avait pas été fracturé.

      Bien plus, il vit sur la table, près du trousseau de clefs et du portefeuille que le Baron y déposait chaque soir, une poignée de louis d’or. Charles saisit le portefeuille et en déplia les poches. L’une d’elles contenait des billets de banque. Il les compta : il y avait treize billets de cent francs.

      Alors ce fut plus fort que lui : instinctivement, mécaniquement, sans même que sa pensée participât au geste de la main, il prit les treize billets, les cacha dans son veston, dégringola l’escalier, tira le verrou, décrocha la chaîne, referma la porte et s’enfuit par le jardin.

      Charles était un honnête homme. Il n’avait pas repoussé la grille que, frappé par le grand air, le visage rafraîchi par la pluie, il s’arrêta. L’acte commis lui apparaissait sous son véritable jour, et il en avait une horreur subite.

      Un fiacre passait. Il héla le cocher.

      – Camarade, file au poste de police et ramène le commissaire… au galop ! Il y a mort d’homme.

      Le cocher fouetta son cheval. Mais quand Charles voulut rentrer, il ne le put pas : lui-même avait fermé la grille, et la grille ne s’ouvrait pas du dehors.

      D’autre part, il était inutile de sonner puisqu’il n’y avait personne dans l’hôtel.

      Il se promena donc le long de ces jardins qui font à l’avenue, du côté de la Muette, une riante bordure d’arbustes verts et bien taillés. Et ce fut seulement après une heure d’attente qu’il put enfin raconter au commissaire les détails du crime et lui remettre entre les mains les treize billets de banque.

      Pendant ce temps, on réquisitionnait un serrurier, lequel, avec beaucoup de peine, réussit à forcer la grille du jardin et la porte du vestibule. Le commissaire monta, et tout de suite, du premier coup d’œil, il dit au domestique :

      – Tiens, vous m’aviez annoncé que la chambre était dans le plus grand désordre.

      Il se retourna. Charles semblait cloué au seuil, hypnotisé : tous les meubles avaient repris leur place habituelle ! Le guéridon se dressait entre les deux fenêtres, les chaises étaient debout et la pendule au milieu de la cheminée. Les débris du candélabre avaient disparu.

      Il articula, béant de stupeur :

      – Le cadavre… M. le Baron…

      – Au fait, s’écria le commissaire, où se trouve la victime ?

      Il s’avança vers le lit. Sous un grand drap qu’il écarta, reposait le général Baron d’Hautrec, ancien ambassadeur de France à Berlin. Sa houppelande de général le recouvrait, ornée de la croix d’honneur.

      Le visage était calme. Les yeux étaient clos.

      Le domestique balbutia :

      – Quelqu’un est venu.

      – Par où ?

      – Je ne sais pas, mais quelqu’un est venu pendant mon absence… tenez, il y avait là, par terre, un poignard très mince, en acier… et puis, sur la table, un mouchoir avec du sang… il n’y a plus rien… on a tout enlevé… on a tout rangé…

      – Mais qui ?

      – L’assassin !

      – Nous avons trouvé toutes les portes fermées.

      – C’est qu’il était resté dans l’hôtel.

      – Il y serait encore puisque vous n’avez pas quitté le trottoir.

      Le domestique réfléchit, et prononça lentement :

      – En effet… en effet… et je ne me suis pas éloigné de la grille… cependant…

      – Voyons, quelle est la dernière personne que vous ayez vue près du Baron ?

      – Mlle Antoinette, la demoiselle de compagnie.

      – Qu’est-elle devenue ?

      – Selon moi, son lit n’étant même pas défait, elle a dû profiter de l’absence de la sœur Auguste pour sortir elle aussi. Cela ne m’étonne qu’à moitié, elle est jolie… jeune…

      – Mais comment serait-elle sortie ?

      – Par la porte.

      – Vous aviez mis le verrou et accroché la chaîne !

      – Bien plus tard. À ce moment elle avait dû quitter l’hôtel.

      – Et le crime aurait eu lieu après son départ ?

      – Naturellement.

      On chercha du haut en bas de la maison, dans les greniers comme dans les caves ; mais l’assassin avait pris la fuite. Comment ? À quel instant ? Était-ce lui ou un complice qui avait jugé à propos de retourner sur la scène du crime et de faire disparaître tout ce qui eût pu le compromettre ? Telles étaient les questions qui se posaient à la justice.

      À sept heures survint le médecin légiste, à huit heures le chef de la Sûreté. Puis ce fut le tour du procureur de la République et du juge d’instruction. Et il y avait aussi, encombrant l’hôtel, des agents, des inspecteurs, des journalistes, le neveu du Baron d’Hautrec et d’autres membres de la famille.

      On fouilla, on étudia la position du cadavre d’après les souvenirs de Charles, on interrogea, dès son arrivée, la sœur Auguste. On ne fit aucune découverte. Tout au plus la sœur Auguste s’étonnait-elle de la disparition d’Antoinette Bréhat. Elle avait engagé la jeune fille douze jours auparavant, sur la foi d’excellents certificats, et se refusait à croire qu’elle eût pu abandonner le malade qui lui était confié, pour courir, seule, la nuit.

      – D’autant plus qu’en ce cas, appuya le juge d’instruction, elle serait déjà rentrée. Nous en revenons donc au même point : qu’est-elle devenue ?

      – Pour moi, dit Charles, elle a été enlevée par l’assassin.

      L’hypothèse était plausible et concordait avec certaines apparences. Le chef de la Sûreté prononça :

      – Enlevée ? Ma foi, cela n’est point invraisemblable.

      – Non seulement invraisemblable, dit une voix, mais en opposition absolue avec les faits, avec les résultats de l’enquête, bref avec l’évidence même.

      La


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