Les aventures complètes d'Arsène Lupin. Морис Леблан

Les aventures complètes d'Arsène Lupin - Морис Леблан


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Donc, c’est Jean Daval qui conduit les trois cambrioleurs jusqu’à ce salon. Tandis qu’il s’y trouve avec celui qu’ils appellent leur chef, un bruit se fait entendre dans le boudoir. Daval ouvre la porte. Reconnaissant M. de Gesvres, il se précipite vers lui, armé du couteau. M. de Gesvres réussit à lui arracher ce couteau, l’en frappe, et tombe lui-même frappé d’un coup de poing par cet individu que les deux jeunes filles devaient apercevoir quelques minutes après.

      De nouveau, M. Filleul et l’inspecteur se regardèrent. Ganimard hocha la tête d’un air déconcerté. Le juge reprit :

      – Monsieur le comte, dois-je croire que cette version est exacte ?…

      M. de Gesvres ne répondit pas.

      – Voyons, Monsieur le comte, votre silence nous permettrait de supposer…

      Très nettement, M. de Gesvres prononça :

      – Cette version est exacte en tous points.

      Le juge sursauta.

      – Alors je ne comprends pas que vous ayez induit la justice en erreur. Pourquoi dissimuler un acte que vous aviez le droit de commettre, étant en légitime défense ?

      – Depuis vingt ans, dit M. de Gesvres, Daval travaillait à mes côtés. J’avais confiance en lui. Il m’a rendu des services inestimables. S’il m’a trahi, à la suite de je ne sais quelles tentations, je ne voulais pas du moins, en souvenir du passé, que sa trahison fût connue.

      – Vous ne vouliez pas, soit, mais vous deviez…

      – Je ne suis pas de votre avis, Monsieur le juge d’instruction. Du moment qu’aucun innocent n’était accusé de ce crime, mon droit absolu était de ne pas accuser celui qui fut à la fois le coupable et la victime. Il est mort. J’estime que la mort est un châtiment suffisant.

      – Mais maintenant, Monsieur le comte, maintenant que la vérité est connue, vous pouvez parler.

      – Oui. Voici deux brouillons de lettres écrites par lui à ses complices. Je les ai pris dans son portefeuille, quelques minutes après sa mort.

      – Et le mobile du vol ?

      – Allez à Dieppe, au 18 de la rue de la Barre. Là demeure une certaine Mme Verdier. C’est pour cette femme qu’il a connue il y a deux ans, pour subvenir à ses besoins d’argent, que Daval a volé.

      Ainsi tout s’éclairait. Le drame sortait de l’ombre et peu à peu apparaissait sous un véritable jour.

      – Continuons, dit M. Filleul, après que le comte se fut retiré.

      – Ma foi, dit Beautrelet gaiement, je suis à peu près au bout de mon rouleau.

      – Mais le fugitif, le blessé ?

      – Là-dessus, Monsieur le juge d’instruction, vous en savez autant que moi… Vous avez suivi son passage dans l’herbe du cloître… vous savez…

      – Oui, je sais… mais, depuis, ils l’ont enlevé, et ce que je voudrais, ce sont des indications sur cette auberge…

      Isidore Beautrelet éclata de rire.

      – L’auberge ! L’auberge n’existe pas ! C’est un truc pour dépister la justice, un truc ingénieux puisqu’il a réussi.

      – Cependant, le docteur Delattre affirme…

      – Eh ! Justement, s’écria Beautrelet, d’un ton de conviction. C’est parce que le docteur Delattre affirme qu’il ne faut pas le croire. Comment ! Le docteur Delattre n’a voulu donner sur toute son aventure que les détails les plus vagues ! Il n’a voulu rien dire qui pût compromettre la sûreté de son client… Et voilà tout à coup qu’il attire l’attention sur une auberge ! Mais soyez certain que, s’il a prononcé ce mot d’auberge, c’est qu’il lui fut imposé. Soyez certain que toute l’histoire qu’il nous a servie lui fut dictée sous peine de représailles terribles. Le docteur a une femme et une fille. Et il les aime trop pour désobéir à des gens dont il a éprouvé la formidable puissance. Et c’est pourquoi il a fourni à vos efforts la plus précise des indications.

      – Si précise qu’on ne peut trouver l’auberge.

      – Si précise que vous ne cessez pas de la chercher, contre toute vraisemblance, et que vos yeux se sont détournés du seul endroit où l’homme puisse être, de cet endroit mystérieux qu’il n’a pas quitté, qu’il n’a pas pu quitter depuis l’instant où, blessé par Mlle de Saint-Véran, il est parvenu à s’y glisser, comme une bête dans sa tanière.

      – Mais où, sacrebleu ?…

      – Dans les ruines de la vieille abbaye.

      – Mais il n’y a plus de ruines ! Quelques pans de mur ! Quelques colonnes !

      – C’est là qu’il s’est terré, Monsieur le juge d’instruction, cria Beautrelet avec force, c’est là qu’il faut borner vos recherches ! c’est là, et pas ailleurs, que vous trouverez Arsène Lupin.

      – Arsène Lupin ! s’exclama M. Filleul en sautant sur ses jambes.

      Il y eut un silence un peu solennel, où se prolongèrent les syllabes du nom fameux. Arsène Lupin, le grand aventurier, le roi des cambrioleurs, était-ce possible que ce fût lui l’adversaire vaincu, et cependant invisible, après lequel on s’acharnait en vain depuis plusieurs jours ? Mais Arsène Lupin pris au piège, arrêté, pour un juge d’instruction, c’était l’avancement immédiat, la fortune, la gloire !

      Ganimard n’avait pas bronché. Isidore lui dit :

      – Vous êtes de mon avis, n’est-ce pas, Monsieur l’inspecteur ?

      – Parbleu !

      – Vous non plus, n’est-ce pas, vous n’avez jamais douté que ce fût lui l’organisateur de cette affaire ?

      – Pas une seconde ! La signature y est. Un coup de Lupin, ça diffère d’un autre coup comme un visage d’un autre visage. Il n’y a qu’à ouvrir les yeux.

      – Vous croyez… vous croyez… répétait M. Filleul.

      – Si je crois ! s’écria le jeune homme. Tenez, rien que ce petit fait : sous quelles initiales ces gens-là correspondent-ils entre eux ? A. L. N., c’est-à-dire la première lettre du nom d’Arsène, la première et la dernière du nom de Lupin.

      – Ah ! fit Ganimard, rien ne vous échappe. Vous êtes un rude type, et le vieux Ganimard met bas les armes.

      Beautrelet rougit de plaisir et serra la main que lui tendait l’inspecteur. Les trois hommes s’étaient rapprochés du balcon, et leur regard s’étendait sur le champ des ruines. M. Filleul murmura :

      – Alors, il serait là.

      – Il est là, dit Beautrelet, d’une voix sourde. Il est là depuis la minute même où il est tombé. Logiquement et pratiquement, il ne pouvait s’échapper sans être aperçu de Mlle de Saint-Véran et des deux domestiques.

      – Quelle preuve en avez-vous ?

      – La preuve, ses complices nous l’ont donnée. Le matin même, l’un d’eux se déguisait en chauffeur, vous conduisait ici…

      – Pour reprendre la casquette, pièce d’identité.

      – Soit, mais aussi, mais surtout, pour visiter les lieux, se rendre compte, et voir par lui-même ce qu’était devenu le patron.

      – Et il s’est rendu compte ?

      – Je le suppose, puisqu’il connaissait la cachette, lui. Et je suppose que l’état désespéré de son chef lui fut révélé, puisque, sous le coup de l’inquiétude, il a commis l’imprudence d’écrire ce mot de menace : « Malheur à la jeune fille si elle a tué le patron. »

      – Mais ses amis ont pu l’enlever


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