Les aventures complètes d'Arsène Lupin. Морис Леблан

Les aventures complètes d'Arsène Lupin - Морис Леблан


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      – Avant tout, une remarque. Il n’y a sur ce papier, en dehors de points, que des chiffres. Et, dans les trois premières lignes et la cinquième – les seules dont nous ayons à nous occuper, car la quatrième semble d’une nature tout à fait différente – n’y a pas un de ces chiffres qui soit plus élevé que le chiffre 5. Nous avons donc bien des chances pour que chacun de ces chiffres représente une des cinq voyelles, et dans l’ordre alphabétique. Inscrivons le résultat. Il inscrivit sur une feuille à part :

       e . a . a . . e . . e . a .

       . a . . a … e . e . . e . o i . e . . e .

       . o u . . e . o … e . . o . . e

       a i . u i . . e . . e u . e

      Puis il reprit :

      – Comme vous voyez, cela ne donne pas grand-chose. La clef est à la fois très facile – puisqu’on s’est contenté de remplacer les voyelles par des chiffres et les consonnes par des points – et très difficile, sinon impossible, puisqu’on ne s’est pas donné plus de mal pour compliquer le problème.

      – Il est de fait qu’il est suffisamment obscur.

      – Essayons de l’éclaircir. La seconde ligne est divisée en deux parties, et la deuxième partie se présente de telle façon qu’il est tout à fait probable qu’elle forme un mot. Si nous tâchons maintenant de remplacer les points intermédiaires par des consonnes, nous concluons, après tâtonnement, que les seules consonnes qui peuvent logiquement servir d’appui aux voyelles ne peuvent logiquement produire qu’un mot, un seul mot : « demoiselles ».

      – Il s’agirait alors de Mlle de Gesvres et de Mlle de Saint-Véran ?

      – En toute certitude.

      – Et vous ne voyez rien d’autre ?

      – Si. Je note encore une solution de continuité au milieu de la dernière ligne, et si j’effectue le même travail sur le début de la ligne, je vois aussitôt qu’entre les deux diphtongues ai et ui, la seule consonne qui puisse remplacer le point est un g, et que, quand j’ai formé le début de ce mot aigui, il est naturel et indispensable que j’arrive avec les deux points suivants et l’e final au mot aiguille.

      – En effet… le mot aiguille s’impose.

      – Enfin, pour le dernier mot, j’ai trois voyelles et trois consonnes. Je tâtonne encore, j’essaie toutes les lettres les unes après les autres, et, en partant de ce principe que les deux premières lettres sont des consonnes, je constate que quatre mots peuvent s’adapter : les mots fleuve, preuve, pleure et creuse. J’élimine les mots fleuve, preuve et pleure comme n’ayant aucune relation possible avec une aiguille, et je garde le mot creuse.

      – Ce qui fait aiguille creuse. J’admets que votre solution soit juste, mais en quoi nous avance-t-elle ?

      – En rien, fit Beautrelet, d’un ton pensif. En rien, pour le moment… plus tard, nous verrons… J’ai idée, moi, que bien des choses sont incluses dans l’accouplement énigmatique de ces deux mots : aiguille creuse. Ce qui m’occupe, c’est plutôt la matière du document, le papier dont on s’est servi… Fabrique-t-on encore cette sorte de parchemin un peu granité ? Et puis cette couleur d’ivoire… Et ces plis… l’usure de ces quatre plis… et enfin, tenez, ces marques de cire rouge, par-derrière…

      À ce moment, Beautrelet fut interrompu. C’était le greffier Brédoux qui ouvrait la porte et qui annonçait l’arrivée subite du procureur général.

      M. Filleul se leva.

      – M. le procureur général est en bas ?

      – Non, Monsieur le juge d’instruction. M. le procureur général n’a pas quitté sa voiture. Il ne fait que passer et il vous prie de bien vouloir le rejoindre devant la grille. Il n’a qu’un mot à vous dire.

      – Bizarre, murmura M. Filleul. Enfin… nous allons voir. Beautrelet, excusez-moi, je vais et je reviens.

      Il s’en alla. On entendit ses pas qui s’éloignaient. Alors le greffier ferma la porte, tourna la clef et la mit dans sa poche.

      – Eh bien ! quoi s’exclama Beautrelet tout surpris, que faites-vous ? Pourquoi nous enfermer ?

      – Ne serons-nous pas mieux pour causer ? riposta Brédoux.

      Beautrelet bondit vers une autre porte qui donnait dans la pièce voisine. Il avait compris. Le complice, c’était Brédoux, le greffier même du juge d’instruction !

      Brédoux ricana :

      – Ne vous écorchez pas les doigts, mon jeune ami, j’ai aussi la clef de cette porte.

      – Reste la fenêtre, cria Beautrelet.

      – Trop tard, fit Brédoux qui se campa devant la croisée, le revolver au poing.

      Toute retraite était coupée. Il n’y avait plus rien à faire, plus rien qu’à se défendre contre l’ennemi qui se démasquait avec une audace brutale. Isidore, qu’étreignait un sentiment d’angoisse inconnu, se croisa les bras.

      – Bien, marmotta le greffier, et maintenant soyons brefs.

      Il tira sa montre.

      – Ce brave M. Filleul va cheminer jusqu’à la grille. À la grille personne, bien entendu, pas plus de procureur que sur ma main. Alors il s’en reviendra. Cela nous donne environ quatre minutes. Il m’en faut une pour m’échapper par cette fenêtre, filer par la petite porte des ruines et sauter sur la motocyclette qui m’attend. Reste donc trois minutes. Cela suffit.

      C’était un drôle d’être, contrefait, qui tenait en équilibre sur des jambes très longues et très frêles un buste énorme, rond comme un corps d’araignée et muni de bras immenses. Un visage osseux, un petit front bas, indiquaient l’obstination un peu bornée du personnage.

      Beautrelet chancela, les jambes molles. Il dut s’asseoir.

      – Parlez. Que voulezvous ?

      – Le papier. Voici trois jours que je le cherche.

      – Je ne l’ai pas.

      – Tu mens. Quand je suis entré, je t’ai vu le remettre dans ton portefeuille.

      – Après ?

      – Après ? Tu t’engageras à rester bien sage. Tu nous embêtes. Laissenous tranquilles, et occupe-toi de tes affaires. Nous sommes à bout de patience.

      Il s’était avancé, le revolver toujours braqué sur le jeune homme, et il parlait sourdement, en martelant ses syllabes, avec un accent d’une incroyable énergie. L’œil était dur, le sourire cruel. Beautrelet frissonna. C’était la première fois qu’il éprouvait la sensation du danger. Et quel danger ! Il se sentait en face d’un ennemi implacable, d’une force aveugle et irrésistible.

      – Et après ? dit-il, la voix étranglée.

      – Après ? rien… Tu seras libre…

      Un silence. Brédoux reprit :

      – Plus qu’une minute. Il faut te décider. Allons, mon bonhomme, pas de bêtises… Nous sommes les plus forts, toujours et partout… Vite, le papier…

      Isidore ne bronchait pas, livide, terrifié, maître de lui pourtant, et le cerveau lucide, dans la débâcle de ses nerfs. À vingt centimètres de ses yeux, le petit trou noir du revolver s’ouvrait. Le doigt replié pesait visiblement sur la détente. Il suffisait d’un effort encore…

      – Le papier, répéta Brédoux… Sinon…

      – Le voici, dit Beautrelet.

      Il tira de sa poche son portefeuille et le tendit au greffier qui s’en empara.


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