Les aventures complètes d'Arsène Lupin. Морис Леблан

Les aventures complètes d'Arsène Lupin - Морис Леблан


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jeune homme un cri de terreur, c’était la tête, la tête que venait d’écraser le bloc de pierre, la tête informe, masse hideuse où plus rien ne pouvait se distinguer… et quand leurs yeux se furent accoutumés à l’obscurité, ils virent que toute cette chair grouillait abominablement…

      En quatre enjambées, Beautrelet remonta l’échelle et s’enfuit au grand jour, à l’air libre. M. Filleul le retrouva de nouveau couché à plat ventre, les mains collées au visage. Il lui dit :

      – Tous mes compliments, Beautrelet. Outre la découverte de la cachette, il est deux points où j’ai pu contrôler l’exactitude de vos assertions. Tout d’abord, l’homme sur qui Mlle de Saint-Véran a tiré était bien Arsène Lupin comme vous l’avez dit dès le début. De même, c’était bien sous le nom d’Étienne de Vaudreix qu’il vivait à Paris. Le linge est marqué aux initiales E.V. Il me semble, n’est-ce pas ? que la preuve suffit…

      Isidore ne bougeait pas.

      – M. le comte est parti chercher le docteur Jouet qui fera les constatations d’usage. Pour moi, la mort date de huit jours au moins. L’état de décomposition du cadavre… Mais vous n’avez pas l’air d’écouter ?

      – Si, si.

      – Ce que je dis est appuyé sur des raisons péremptoires. Ainsi, par exemple…

      M. Filleul continua sa démonstration, sans obtenir d’ailleurs des marques plus manifestes d’attention. Mais le retour de M. de Gesvres interrompit son monologue.

      Le comte revenait avec deux lettres. L’une lui annonçait l’arrivée d’Herlock Sholmès pour le lendemain.

      – À merveille, s’écria M. Filleul, tout allègre. L’inspecteur Ganimard arrive également. Ce sera délicieux.

      – Cette autre lettre est pour vous, Monsieur le juge d’instruction, dit le comte.

      – De mieux en mieux, reprit M. Filleul, après avoir lu… Ces messieurs, décidément, n’auront pas grand-chose à faire. Beautrelet, on me prévient de Dieppe que des pêcheurs de bouquet ont trouvé ce matin, sur les rochers, le cadavre d’une jeune femme.

      Beautrelet sursauta :

      – Que dites-vous ? le cadavre…

      – D’une jeune femme… un cadavre affreusement mutilé, précise-t-on, et dont il ne serait pas possible d’établir l’identité, s’il ne restait au bras droit une petite gourmette d’or, très fine, qui s’est incrustée dans la peau tuméfiée. Or, Mlle de Saint-Véran portait au bras droit une gourmette d’or. Il s’agit donc évidemment de votre malheureuse nièce, Monsieur le comte, que la mer aura entraînée jusque-là. Qu’en pensez-vous, Beautrelet ?

      – Rien.., rien… ou plutôt si… tout s’enchaîne, comme vous voyez, il ne manque plus rien à mon argumentation. Tous les faits, un à un, même les plus contradictoires, même les plus déconcertants viennent à l’appui de l’hypothèse que j’ai imaginée dès le premier moment.

      – Je ne comprends pas bien.

      – Vous ne tarderez pas à comprendre. Rappelez-vous que je vous ai promis la vérité entière.

      – Mais il me semble…

      – Un peu de patience. Jusqu’ici vous n’avez pas eu à vous plaindre de moi. Il fait beau temps. Promenez-vous, déjeunez au château, fumez votre pipe. Moi, je serai de retour vers quatre ou cinq heures. Quant à mon lycée, ma foi, tant pis, je prendrai le train de minuit.

      Ils étaient arrivés aux communs, derrière le château. Beautrelet sauta à bicyclette et s’éloigna.

      À Dieppe, il s’arrêta aux bureaux du journal La Vigie où il se fit montrer les numéros de la dernière quinzaine. Puis il partit pour le bourg d’Envermeu, situé à dix kilomètres. À Envermeu, il s’entretint avec le maire, avec le curé, avec le garde champêtre. Trois heures sonnèrent à l’église du bourg. Son enquête était finie.

      Il revint en chantant d’allégresse. Ses jambes pesaient tour à tour d’un rythme égal et fort sur les deux pédales, sa poitrine s’ouvrait largement à l’air vif qui soufflait de la mer. Et parfois il s’oubliait à jeter au ciel des clameurs de triomphe en songeant au but qu’il poursuivait et à ses efforts heureux.

      Ambrumésy apparut. Il se laissa aller à toute vitesse sur la pente qui précède le château. Les arbres qui bordent le chemin, en quadruple rangée séculaire, semblaient accourir à sa rencontre et s’évanouir aussitôt derrière lui. Et, tout à coup, il poussa un cri. Dans une vision soudaine, il avait vu une corde se tendre d’un arbre à l’autre, en travers de la route.

      La machine heurtée s’arrêta net. Il fut projeté en avant, avec une violence inouïe, et il eut l’impression qu’un hasard seul, un miraculeux hasard, lui faisait éviter un tas de cailloux, où logiquement sa tête aurait dû se briser.

      Il resta quelques secondes étourdi. Puis, tout contusionné, les genoux écorchés, il examina les lieux. Un petit bois s’étendait à droite, par où, sans aucun doute, l’agresseur s’était enfui. Beautrelet détacha la corde. À l’arbre de gauche autour duquel elle était attachée, un petit papier était fixé par une ficelle. Il le déplia et lut :

       Troisième et dernier avertissement.

      Il rentra au château, posa quelques questions aux domestiques, et rejoignit le juge d’instruction dans une pièce du rez-de-chaussée, tout au bout de l’aile droite, où M. Filleul avait l’habitude de se tenir au cours de ses opérations. M. Filleul écrivait, son greffier assis en face de lui. Sur un signe, le greffier sortit, et le juge s’écria :

      – Mais qu’avez-vous donc, monsieur Beautrelet ? Vos mains sont en sang.

      – Ce n’est rien, ce n’est rien, dit le jeune homme… une simple chute provoquée par cette corde qu’on a tendue devant ma bicyclette. Je vous prierai seulement de remarquer que ladite corde provient du château. Il n’y a pas plus de vingt minutes qu’elle servait à sécher du linge auprès de la buanderie.

      – Est-ce possible ?

      – Monsieur, c’est ici même que je suis surveillé, par quelqu’un qui se trouve au cœur de la place, qui me voit, qui m’entend, et qui, minute par minute, assiste à mes actes et connaît mes intentions.

      – Vous croyez ?

      – J’en suis sûr. C’est à vous de le découvrir et vous n’y aurez pas de peine. Mais, pour moi, je veux finir et vous donner les explications promises. J’ai marché plus vite que nos adversaires ne s’y attendaient, et je suis persuadé que, de leur côté, ils vont agir avec vigueur. Le cercle se resserre autour de moi. Le péril approche, j’en ai le pressentiment.

      – Voyons, voyons, Beautrelet…

      – Bah ! on verra bien. Pour l’instant, dépêchons-nous. Et d’abord, une question sur un point que je veux écarter tout de suite. Vous n’avez parlé à personne de ce document que le brigadier Quevillon a ramassé et qu’il vous a remis en ma présence ?

      – Ma foi non, à personne. Mais est-ce que vous y attachez une valeur quelconque ?…

      – Une grande valeur. C’est une idée que j’ai, une idée du reste, je l’avoue, qui ne repose sur aucune preuve… car, jusqu’ici, je n’ai guère réussi à déchiffrer ce document. Aussi, je vous en parle… pour n’y plus revenir.

      Beautrelet appuya sa main sur celle de M. Filleul, et à voix basse :

      – Taisez-vous… on nous écoute… dehors…

      Le sable craqua. Beautrelet courut vers la fenêtre et se pencha.

      – Il n’y a plus personne… mais la platebande est foulée… on relèvera facilement les empreintes.

      Il ferma la fenêtre


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