Les aventures complètes d'Arsène Lupin. Морис Леблан

Les aventures complètes d'Arsène Lupin - Морис Леблан


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qu’un des convives jetait les yeux sur la page offerte, c’étaient des exclamations.

      – Lisez ! lisez ! criait-on du côté opposé.

      À la table d’honneur on se leva. Le père Beautrelet alla prendre le journal et le tendit à son fils.

      – Lisez ! lisez ! cria-t-on plus fort.

      Et d’autres proféraient :

      – Écoutez donc ! Il va lire… écoutez !

      Beautrelet, debout, face au public, cherchait des yeux, dans le journal du soir que son père lui avait donné, l’article qui suscitait un tel vacarme, et soudain, ayant aperçu un titre souligné au crayon bleu, il leva la main pour réclamer le silence, et il lut d’une voix que l’émotion altérait de plus en plus ces révélations stupéfiantes qui réduisaient à néant tous ses efforts, bouleversaient ses idées sur l’Aiguille creuse et marquaient la vanité de sa lutte contre Arsène Lupin :

      Lettre ouverte de M. Massiban, de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.

       Monsieur le Directeur,

       Le 17 mars 1679 – je dis bien 1679, c’est-à-dire sous Louis XIV – un tout petit livre fut publié à Paris avec ce titre :

      LE MYSTÈRE DE L’AIGUILLE CREUSE

      TOUTE LA VÉRITÉ DÉNONCÉE POUR LA PREMIÈRE FOIS.

      CENT EXEMPLAIRES IMPRIMÉS PAR MOI-MÊME ET POUR L’INSTRUCTION DE LA COUR

      À neuf heures du matin, ce jour du 17 mars, l’auteur, un très jeune homme, bien vêtu, dont on ignore le nom, se mit à déposer ce livre chez les principaux personnages de la Cour. À dix heures, alors qu’il avait accompli quatre de ces démarches, il était arrêté par un capitaine des gardes, lequel l’amenait dans le cabinet du roi et repartait aussitôt à la recherche des quatre exemplaires distribués. Quand les cent exemplaires furent réunis, comptés, feuilletés avec soin et vérifiés, le roi les jeta lui-même au feu, sauf un qu’il conserva par-devers lui. Puis il chargea le capitaine des gardes de conduire l’auteur du livre à M. de Saint-Mars, lequel Saint-Mars enferma son prisonnier d’abord à Pignerol, puis dans la forteresse de l’île Sainte-Marguerite. Cet homme n’était autre évidemment que le fameux homme au Masque de fer.

       Jamais la vérité n’eût été connue, ou du moins une partie de la vérité, si le capitaine des gardes qui avait assisté à l’entrevue, profitant d’un moment où le roi s’était détourné, n’avait eu la tentation de retirer de la cheminée, avant que le feu ne l’atteignît, un autre des exemplaires. Six mois après, ce capitaine fut ramassé sur la grand-route de Gaillon à Mantes. Ses assassins l’avaient dépouillé de tous ses vêtements, oubliant toutefois dans sa poche droite un bijou que l’on y découvrit par la suite, un diamant de la plus belle eau, d’une valeur considérable.

      Dans ses papiers, on retrouva une note manuscrite. Il n’y parlait point du livre arraché aux flammes, mais il donnait un résumé des premiers chapitres. Il s’agissait d’un secret qui fut connu des rois d’Angleterre, perdu par eux au moment où la couronne du pauvre fou Henri VI passa sur la tête du duc d’York, dévoilé au roi de France Charles VII par Jeanne d’Arc, et qui, devenu secret d’État, fut transmis de souverain en souverain par une lettre chaque fois recachetée, que l’on trouvait au lit de mort du défunt avec cette mention : Pour le roy de France. Ce secret concernait l’existence et déterminait l’emplacement d’un trésor formidable, possédé par les rois, et qui s’accroissait de siècle en siècle.

       Mais cent quatorze ans plus tard, Louis XVI, prisonnier au Temple, prit à part l’un des officiers qui étaient chargés de surveiller la famille royale et lui dit :

       – Monsieur, vous n’aviez pas, sous mon aïeul, le grand roi, un ancêtre qui servait comme capitaine des gardes ?

       – Oui, sire.

       – Eh bien, seriez-vous homme… seriez-vous homme… ?

       Il hésita. L’officier acheva la phrase.

       – À ne pas vous trahir ? Oh ! sire…

       – Alors, écoutez-moi.

       Le roi tira de sa poche un petit livre dont il arracha l’une des dernières pages. Mais, se ravisant :

      – Non, il vaut mieux que je copie…

       Il prit une grande feuille de papier qu’il déchira de façon à ne garder qu’un petit espace rectangulaire sur lequel il copia cinq lignes de points, de lignes et de chiffres que portait la page imprimée. Puis ayant brûlé celle-ci, il plia en quatre la feuille manuscrite, la cacheta de cire rouge et la donna.

      – Monsieur, après ma mort, vous remettrez cela à la reine, et vous lui direz : « De la part du roi, Madame… pour votre Majesté et pour son fils… » Si elle ne comprend pas…

       – Si elle ne comprend pas ?…

       – Vous ajouterez : Il s’agit du secret de l’Aiguille. La reine comprendra.

       Ayant parlé, il jeta le livre parmi les braises qui rougissaient dans l’âtre.

       Le 21 janvier, il montait sur l’échafaud.

       Il fallut deux mois à l’officier, par suite du transfert de la reine à la Conciergerie, pour accomplir la mission dont il était chargé. Enfin, à force d’intrigues sournoises, il réussit un jour à se trouver en présence de Marie-Antoinette. Il lui dit de manière qu’elle pût tout juste entendre :

       – De la part du feu roi, Madame, pour Votre Majesté et son fils.

       Et il lui offrit la lettre cachetée.

       Elle s’assura que les gardiens ne pouvaient la voir, brisa les cachets, sembla surprise à la vue de ces lignes indéchiffrables, puis, tout de suite, parut comprendre. Elle sourit amèrement, et l’officier perçut ces mots :

       – Pourquoi si tard ?

       Elle hésita. Où cacher ce document dangereux ? Enfin, elle ouvrit son livre d’heures et, dans une sorte de poche secrète pratiquée entre le cuir de reliure et le parchemin qui le recouvrait, elle glissa la feuille de papier.

       – Pourquoi si tard ?… avait-elle dit.

       Il est probable, en effet, que ce document, s’il avait pu lui apporter le salut, arrivait trop tard, car, au mois d’octobre suivant, la reine Marie-Antoinette, à son tour, montait sur l’échafaud.

       Or, cet officier, en feuilletant les papiers de sa famille, trouva la note manuscrite de son arrière-grand-père, le capitaine des gardes de Louis XIV. À partir de ce moment, il n’eut plus qu’une idée, c’est de consacrer ses loisirs à élucider cet étrange problème. Il lut tous les auteurs latins, parcourut toutes les chroniques de France et celles des pays voisins, s’introduisit dans les monastères, déchiffra les livres de comptes, les cartulaires, les traités, et il put ainsi retrouver certaines citations éparses à travers les âges.

       Au livre III des Commentaires de César sur la guerre des Gaules, il est raconté qu’après la défaite de Viridovix par G. Titulius Sabinus, le chef des Calètes fut mené devant César et que, pour sa rançon, il dévoila le secret de l’Aiguille…

      Le traité de Saint-Clair-sur-Epte, entre Charles le Simple et Roll, chef des barbares du Nord, fait suivre le nom de Roll de tous ses titres, parmi lesquels nous lisons maître du secret de l’Aiguille.

       La chronique


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