Les aventures complètes d'Arsène Lupin. Морис Леблан

Les aventures complètes d'Arsène Lupin - Морис Леблан


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De belles copies ! approuva Beautrelet…

      Lupin le regarda d’un air stupéfait :

      – Quoi ! Des copies ! Es-tu fou ! Les copies sont à Madrid, mon cher, à Florence, à Venise, à Munich, à Amsterdam.

      – Alors, ça ?

      – Les toiles originales, collectionnées avec patience dans tous les musées d’Europe, où je les ai remplacées honnêtement par d’excellentes copies.

      – Mais, un jour ou l’autre…

      – Un jour ou l’autre, la fraude sera découverte ? Eh bien ! l’on trouvera ma signature sur chacune des toiles – par-derrière –, et l’on saura que c’est moi qui ai doté mon pays de chefs-d’œuvre originaux. Après tout, je n’ai fait que ce qu’a fait Napoléon en Italie… Ah ! tiens, Beautrelet, voici les quatre Rubens de M. de Gesvres…

      Les coups ne discontinuaient pas au creux de l’Aiguille.

      – Ce n’est plus tenable ! dit Lupin. Montons encore.

      Un nouvel escalier. Une nouvelle porte.

      – La salle des tapisseries, annonça Lupin.

      Elles n’étaient pas suspendues, mais roulées, ficelées, étiquetées, et mêlées, d’ailleurs, à des paquets d’étoffes anciennes, que Lupin déplia : brocarts merveilleux, velours admirables, soies souples aux tons fanés, chasubles, tissus d’or et d’argent…

      Ils montèrent encore et Beautrelet vit la salle des horloges et des pendules, la salle des livres (oh ! Les magnifiques reliures, et les volumes précieux introuvables, uniques exemplaires dérobés aux grandes bibliothèques !) la salle des dentelles, la salle des bibelots.

      Et, chaque fois, le cercle de la salle diminuait. Et, chaque fois, maintenant, le bruit des coups s’éloignait. Ganimard perdait du terrain.

      – La dernière, dit Lupin, la salle du Trésor.

      Celle-ci était toute différente. Ronde, aussi, mais très haute, de forme conique, elle occupait le sommet de l’édifice, et sa base devait se trouver à quinze ou vingt mètres de la pointe extrême de l’Aiguille.

      Du côté de la falaise, point de lucarne. Mais, du côté de la mer, comme nul regard indiscret n’était à craindre, deux baies vitrées s’ouvraient, par où la lumière entrait abondamment. Le sol était couvert d’un plancher de bois rare, à dessins concentriques. Contre les murs, des vitrines, quelques tableaux.

      – Les perles de mes collections, dit Lupin. Tout ce que tu as vu jusque-là est à vendre. Des objets s’en vont, d’autres arrivent. C’est le métier. Ici, dans ce sanctuaire, tout est sacré. Rien que du choix, de l’essentiel, le meilleur du meilleur, de l’inappréciable. Regarde ces bijoux, Beautrelet, amulettes chaldéennes, colliers égyptiens, bracelets celtiques, chaînes arabes… Regarde ces statuettes, Beautrelet, cette Vénus grecque, cet Apollon de Corinthe… Regarde ces Tanagras, Beautrelet ! Tous les vrais Tanagras sont ici. Hors de cette vitrine, il n’y en a pas un seul au monde qui soit authentique. Quelle jouissance de se dire cela ! Beautrelet, tu te rappelles les pilleurs d’églises dans le Midi, la bande Thomas et compagnie – des agents à moi, soit dit en passant –, eh bien ! Voici la châsse d’Ambazac, la véritable, Beautrelet ! Tu te rappelles le scandale du Louvre, la tiare reconnue fausse, imaginée, fabriquée par un artiste moderne… Voici la tiare de Saïtapharnès, la véritable, Beautrelet ! Regarde, regarde bien, Beautrelet ! Voici la merveille des merveilles, l’œuvre suprême, la pensée d’un dieu, voici la Joconde de Vinci, la véritable. À genoux, Beautrelet, toute la femme est devant toi !

      Un long silence entre eux. En bas, les coups se rapprochaient. Deux ou trois portes, pas davantage, les séparaient de Ganimard.

      Au large, on apercevait le dos noir du torpilleur et les barques qui croisaient. Le jeune homme demanda :

      – Et le trésor ?

      – Ah ! petit, c’est cela, surtout, qui t’intéresse ! Tous ces chefs-d’œuvre de l’art humain, n’est-ce pas ? Ca ne vaut pas, pour ta curiosité, la contemplation du trésor… Et toute la foule sera comme toi ! Allons, sois satisfait !

      Il frappa violemment du pied, fit ainsi basculer un des disques qui composaient le parquet, et, le soulevant comme le couvercle d’une boîte, il découvrit une sorte de cuve, toute ronde, creusée à même le roc. Elle était vide. Un peu plus loin, il exécuta la même manœuvre. Une autre cuve apparut. Vide également. Trois fois encore, il recommença. Les trois autres cuves étaient vides.

      – Hein ! ricana Lupin, quelle déception ! Sous Louis XI, sous Henri IV, sous Richelieu, les cinq cuves devaient être pleines. Mais, pense donc à Louis XIV, à la folie de Versailles, aux guerres, aux grands désastres du règne ! Et pense à Louis XV, le roi prodigue, à la Pompadour, à la du Barry ! Ce qu’on a dû puiser alors ! Avec quels ongles crochus on a dû gratter la pierre ! Tu vois, plus rien…

      Il s’arrêta :

      – Si, Beautrelet, quelque chose encore, la sixième cachette ! Intangible, celle-là… Nul d’entre eux n’osa jamais y toucher. C’était la ressource suprême… disons le mot, la poire pour la soif. Regarde, Beautrelet.

      Il se baissa et souleva le couvercle. Un coffret de fer emplissait la cuve. Lupin sortit de sa poche une clef à gorge et à rainures compliquées, et il ouvrit.

      Ce fut un éblouissement. Toutes les pierres précieuses étincelaient, toutes les couleurs flamboyaient, l’azur des saphirs, le feu des rubis, le vert des émeraudes, le soleil des topazes.

      – Regarde, regarde, petit Beautrelet. Ils ont dévoré toute la monnaie d’or, toute la monnaie d’argent, tous les écus, et tous les ducats, et tous les doublons, mais le coffre des pierres précieuses est intact ! Regarde les montures. Il y en a de toutes les époques, de tous les siècles, de tous les pays. Les dots des reines sont là. Chacune apporta sa part, Marguerite d’Écosse et Charlotte de Savoie, Marie d’Angleterre et Catherine de Médicis et toutes les archiduchesses d’Autriche, Éléonore, Élisabeth, Marie-Thérèse, Marie-Antoinette… Regarde ces perles, Beautrelet ! Et ces diamants ! L’énormité de ces diamants ! Aucun d’eux qui ne soit digne d’une impératrice ! Le Régent de France n’est pas plus beau !

      Il se releva et tendit la main en signe de serment :

      – Beautrelet, tu diras à l’univers que Lupin n’a pas pris une seule des pierres qui se trouvaient dans le coffre royal, pas une seule, je le jure sur l’honneur ! Je n’en avais pas le droit. C’était la fortune de la France…

      En bas, Ganimard se hâtait. À la répercussion des coups, il était facile de juger que l’on attaquait l’avant-dernière porte, celle qui donnait accès à la salle des bibelots.

      – Laissons le coffre ouvert, dit Lupin, toutes les cuves aussi, tous ces petits sépulcres vides…

      Il fit le tour de la pièce, examina certaines vitrines, contempla certains tableaux et, se promenant d’un air pensif :

      – Comme c’est triste de quitter tout cela ! Quel déchirement ! Mes plus belles heures, je les ai passées ici, seul en face de ces objets que j’aimais… Et mes yeux ne les verront plus, et mes mains ne les toucheront plus.

      Il y avait sur son visage contracté une telle expression de lassitude que Beautrelet en éprouva une pitié confuse. La douleur, chez cet homme, devait prendre des proportions plus grandes que chez un autre, de même que la joie, de même que l’orgueil ou l’humiliation.

      Près de la fenêtre, maintenant, le doigt tendu vers l’horizon, il disait :

      – Ce qui est plus triste encore, c’est cela, tout cela qu’il me faut abandonner. Est-ce beau ? La mer immense… le ciel… À droite et à gauche les falaises d’Étretat, avec leurs trois portes, la porte d’Amont, la porte d’Aval, la Manneporte… autant d’arcs de triomphe pour le maître… Et le maître c’était


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