Les aventures complètes d'Arsène Lupin. Морис Леблан

Les aventures complètes d'Arsène Lupin - Морис Леблан


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Oui… mais déguisé autrement…

      – Il vous a vue ?

      – Non. Il a vu votre mère. Mme Valméras l’a surpris comme il s’en allait.

      – Eh bien ?

      – Il lui a dit qu’il cherchait Louis Valméras, qu’il était votre ami.

      – Alors ?

      – Alors Madame a répondu que son fils était en voyage… pour des années…

      – Et il est parti ?…

      – Non. Il a fait des signes par la fenêtre qui donne sur la plaine… comme s’il appelait quelqu’un.

      Lupin semblait hésiter. Un grand cri déchira l’air. Raymonde gémit :

      – C’est ta mère… je reconnais…

      Il se jeta sur elle, et l’entraînant dans un état de passion farouche :

      – Viens… fuyons… toi d’abord…

      Mais tout de suite il s’arrêta, éperdu, bouleversé.

      – Non, je ne peux pas… c’est abominable… Pardonne-moi… Raymonde… la pauvre femme là-bas… Reste ici… Beautrelet, ne la quitte pas.

      Il s’élança le long du talus qui environne la ferme, tourna, et le suivit, en courant, jusqu’auprès de la barrière qui s’ouvre sur la plaine… Raymonde, que Beautrelet n’avait pu retenir, arriva presque en même temps que lui, et Beautrelet, dissimulé derrière les arbres, aperçut, dans l’allée déserte qui menait de la ferme à la barrière, trois hommes, dont l’un, le plus grand, marchait en tête, et dont deux autres tenaient sous les bras une femme qui essayait de résister et qui poussait des gémissements de douleur.

      Le jour commençait à baisser. Cependant Beautrelet reconnut Herlock Sholmès. La femme était âgée. Des cheveux blancs encadraient son visage livide. Ils approchaient tous les quatre. Ils atteignaient la barrière. Sholmès ouvrit un battant. Alors Lupin s’avança et se planta devant lui.

      Le choc parut d’autant plus effroyable qu’il fut silencieux, presque solennel. Longtemps les deux ennemis se mesurèrent du regard. Une haine égale convulsait leurs visages, ils ne bougeaient pas.

      Lupin prononça avec un calme terrifiant :

      – Ordonne à tes hommes de laisser cette femme.

      – Non !

      On eût pu croire que l’un et l’autre ils redoutaient d’engager la lutte suprême et que l’un et l’autre ils ramassaient toutes leurs forces. Et plus de paroles inutiles cette fois, plus de provocations railleuses. Le silence, un silence de mort.

      Folle d’angoisse, Raymonde attendait l’issue du duel. Beautrelet lui avait saisi le bras et la maintenait immobile. Au bout d’un instant, Lupin répéta :

      – Ordonne à tes hommes de laisser cette femme.

      – Non !

      Lupin prononça :

      – Écoute, Sholmès…

      Mais il s’interrompit, comprenant la stupidité des mots. En face de ce colosse d’orgueil et de volonté qui s’appelait Sholmès, que signifiaient les menaces ?

      Décidé à tout, brusquement il porta la main à la poche de son veston. L’Anglais le prévint, et, bondissant vers sa prisonnière, il lui colla le canon de son revolver à deux pouces de la tempe.

      – Pas un geste, Lupin, ou je tire.

      En même temps ses deux acolytes sortirent leurs armes et les braquèrent sur Lupin… Celui-ci se raidit, dompta la rage qui le soulevait, et, froidement, les deux mains dans ses poches, la poitrine offerte à l’ennemi, il recommença :

      – Sholmès, pour la troisième fois, laisse cette femme tranquille.

      L’Anglais ricana :

      – On n’a pas le droit d’y toucher, peut-être ! Allons, allons, assez de blagues ! Tu ne t’appelles pas plus Valméras que tu ne t’appelles Lupin, c’est un nom que tu as volé, comme tu avais volé le nom de Charmerace. Et celle que tu fais passer pour ta mère, c’est Victoire, ta vieille complice, celle qui t’a élevé…

      Sholmès eut un tort. Emporté par son désir de vengeance, il regarda Raymonde, que ces révélations frappaient d’horreur. Lupin profita de l’imprudence. D’un mouvement rapide, il fit feu.

      – Damnation ! hurla Sholmès, dont le bras, transpercé, retomba le long de son corps.

      Et apostrophant ses hommes :

      – Tirez donc, vous autres ! Tirez donc !

      Mais Lupin avait sauté sur eux, et il ne s’était pas écoulé deux secondes que celui de droite roulait à terre, la poitrine démolie, tandis que l’autre, la mâchoire fracassée, s’écroulait contre la barrière.

      – Débrouille-toi, Victoire… attache-les… Et maintenant, à nous deux, l’Anglais…

      Il se baissa en jurant :

      – Ah ! canaille…

      Sholmès avait ramassé son arme de la main gauche et le visait.

      Une détonation… un cri de détresse… Raymonde s’était précipitée entre les deux hommes, face à l’Anglais. Elle chancela, porta la main à sa gorge, se redressa, tournoya, et s’abattit aux pieds de Lupin.

      – Raymonde !… Raymonde !

      Il se jeta sur elle et la pressa contre lui.

      – Morte, fit-il.

      Il y eut un moment de stupeur. Sholmès semblait confondu de son acte. Victoire balbutiait :

      – Mon petit… Mon petit…

      Beautrelet s’avança vers la jeune femme et se pencha pour l’examiner. Lupin répétait : « Morte… morte… » d’un ton réfléchi, comme s’il ne comprenait pas encore.

      Mais sa figure se creusa, transformée soudain, ravagée de douleur. Et il fut alors secoué d’une sorte de folie, fit des gestes irraisonnés, se tordit les poings, trépigna comme un enfant qui souffre trop.

      – Misérable ! cria-t-il tout à coup, dans un accès de haine.

      Et d’un choc formidable, renversant Sholmès, il le saisit à la gorge et lui enfonça ses doigts crispés dans la chair. L’Anglais râla, sans même se débattre.

      – Mon petit, mon petit, supplia Victoire…

      Beautrelet accourut. Mais Lupin déjà avait lâché prise, et, près de son ennemi étendu à terre, il sanglotait.

      Spectacle pitoyable ! Beautrelet ne devait jamais en oublier l’horreur tragique, lui qui savait tout l’amour de Lupin pour Raymonde, et tout ce que le grand aventurier avait immolé de lui-même pour animer d’un sourire le visage de sa bien-aimée.

      La nuit commençait à recouvrir d’un linceul d’ombre le champ de bataille. Les trois Anglais ficelés et bâillonnés gisaient dans l’herbe haute. Des chansons bercèrent le vaste silence de la plaine. C’était les gens de la Neuvillette qui revenaient du travail.

      Lupin se dressa. Il écouta les voix monotones. Puis il considéra la ferme heureuse où il avait espéré vivre paisiblement auprès de Raymonde. Puis il la regarda, elle, la pauvre amoureuse, que l’amour avait tuée, et qui dormait, toute blanche, de l’éternel sommeil.

      Les paysans approchaient cependant. Alors Lupin se pencha, saisit la morte dans ses bras puissants, la souleva d’un coup, et, ployé en deux, l’étendit sur son dos.

      – Allons-nous-en, Victoire.

      – Allons-nous-en, mon petit.

      –


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