Les aventures complètes d'Arsène Lupin. Морис Леблан

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qui, possédant une arme aussi terrible, la livrait de la sorte, généreusement, sans condition ? Il lui eût été si simple de garder les lettres et d’en user à sa guise ! Non, il avait promis. Il tenait sa parole.

      Et l’Empereur songeait à toutes les choses étonnantes que cet homme avait accomplies.

      Il lui dit :

      – Les journaux ont donné la nouvelle de votre mort…

      – Oui, Sire. En réalité, je suis mort. Et la justice de mon pays, heureuse de se débarrasser de moi, a fait enterrer les restes calcinés et méconnaissables de mon cadavre.

      – Alors, vous êtes libre ?

      – Comme je l’ai toujours été.

      – Plus rien ne vous attache à rien ?

      – Plus rien.

      – En ce cas…

      L’Empereur hésita, puis, nettement :

      – En ce cas, entrez à mon service. Je vous offre le commandement de ma police personnelle. Vous serez le maître absolu. Vous aurez tous pouvoirs, même sur l’autre police.

      – Non, Sire.

      – Pourquoi ?

      – Je suis Français.

      Il y eut un silence. La réponse déplaisait à l’Empereur. Il dit :

      – Cependant, puisqu’aucun lien ne vous attache plus…

      – Celui-là ne peut pas se dénouer, Sire.

      Et il ajouta en riant :

      – Je suis mort comme homme, mais vivant comme Français. Je m’étonne que Votre Majesté ne comprenne pas.

      L’Empereur fit quelques pas de droite et de gauche. Et il reprit :

      – Je voudrais pourtant m’acquitter. J’ai su que les négociations pour le grand-duché de Veldenz étaient rompues.

      – Oui, Sire. Pierre Leduc était un imposteur. Il est mort.

      – Que puis-je faire pour vous ? Vous m’avez rendu ces lettres… Vous m’avez sauvé la vie… Que puis-je faire ?

      – Rien, Sire.

      – Vous tenez à ce que je reste votre débiteur ?

      – Oui, Sire.

      L’Empereur regarda une dernière fois cet homme étrange qui se posait devant lui en égal. Puis il inclina légèrement la tête et, sans un mot de plus, s’éloigna.

      – Eh ! La Majesté, je t’en ai bouché un coin, dit Lupin en le suivant des yeux.

      Et, philosophiquement :

      – Certes, la revanche est mince, et j’aurais mieux aimé reprendre l’Alsace-Lorraine… Mais, tout de même…

      Il s’interrompit et frappa du pied.

      – Sacré Lupin ! Tu seras donc toujours le même, jusqu’à la minute suprême de ton existence, odieux et cynique ! De la gravité, bon sang ! L’heure est venue, ou jamais, d’être grave !

      Il escalada le sentier qui conduisait à la chapelle et s’arrêta devant l’endroit d’où le roc s’était détaché.

      Il se mit à rire.

      – L’ouvrage était bien fait, et les officiers de Sa Majesté n’y ont vu que du feu. Mais comment auraient-ils pu deviner que c’est moi-même qui ai travaillé ce roc, que, à la dernière seconde, j’ai donné le coup de pioche définitif, et que ledit roc a roulé suivant le chemin que j’avais tracé entre lui et un Empereur dont je tenais à sauver la vie ?

      Il soupira :

      – Ah ! Lupin, que tu es compliqué ! Tout cela parce que tu avais juré que cette Majesté te donnerait la main ! Te voilà bien avancé « La main d’un Empereur n’a pas plus de cinq doigts », comme eût dit Victor Hugo.

      Il entra dans la chapelle et ouvrit, avec une clef spéciale, la porte basse d’une petite sacristie.

      Sur un tas de paille gisait un homme, les mains et les jambes liées, un bâillon à la bouche.

      – Eh bien ! L’ermite, dit Lupin, ça n’a pas été trop long, n’est-ce pas ? Vingt-quatre heures au plus… Mais ce que j’ai bien travaillé pour ton compte ! Figure-toi que tu viens de sauver la vie de l’Empereur… Oui, mon vieux. Tu es l’homme qui a sauvé la vie de l’Empereur. C’est la fortune. On va te construire une cathédrale et t’élever une statue jusqu’au jour où l’on te maudira… Ça peut faire tant de mal, les individus de cette sorte ! Surtout celui-là à qui l’orgueil finira par tourner la tête. Tiens, l’ermite, prends tes habits.

      Abasourdi, presque mort de faim, l’ermite se releva en titubant.

      Lupin se rhabilla vivement et lui dit :

      – Adieu, digne vieillard. Excuse-moi pour tous ces petits tracas. Et prie pour moi. Je vais en avoir besoin. L’éternité m’ouvre ses portes toutes grandes. Adieu !

      Il resta quelques secondes sur le seuil de la chapelle. C’était l’instant solennel où l’on hésite, malgré tout, devant le terrible dénouement. Mais sa résolution était irrévocable et, sans plus réfléchir, il s’élança, redescendit la pente en courant, traversa la plate-forme du Saut-de-Tibère et enjamba la balustrade.

      – Lupin, je te donne trois minutes pour cabotiner. À quoi bon ? diras-tu, il n’y a personne… Et toi, tu n’es donc pas là ? Ne peux-tu jouer ta dernière comédie pour toi-même ? Bigre, le spectacle en vaut la peine… Arsène Lupin, pièce héroï-comique en quatre-vingts tableaux… La toile se lève sur le tableau de la mort… et le rôle est tenu par Lupin en personne… Bravo, Lupin !… Touchez mon cœur, mesdames et messieurs… soixante-dix pulsations à la minute… Et le sourire aux lèvres ! Bravo ! Lupin ! Ah ! Le drôle, en a-t-il du panache ! Eh ! Bien, saute marquis… Tu es prêt ? C’est l’aventure suprême, mon bonhomme. Pas de regrets ? Des regrets ? Et pourquoi, mon Dieu ! Ma vie fut magnifique. Ah ! Dolorès ! Si tu n’étais pas venue, monstre abominable ! Et toi, Malreich, pourquoi n’as-tu pas parlé ?… Et toi, Pierre Leduc… Me voici !… Mes trois morts, je vais vous rejoindre… Oh ! Ma Geneviève, ma chère Geneviève… Ah ! ça, mais est-ce fini, vieux cabot ?… Voilà ! Voilà ! J’accours…

      Il passa l’autre jambe, regarda au fond du gouffre la mer immobile et sombre, et relevant la tête :

      – Adieu, nature immortelle et bénie ! Moriturus te salutat ! Adieu, tout ce qui est beau ! Adieu, splendeur des choses ! Adieu, la vie !

      Il jeta des baisers à l’espace, au ciel, au soleil… Et, croisant les bras, il sauta.

      – 2 –

      Sidi-bel-Abbes. La caserne de la Légion étrangère. Près de la salle des rapports, une petite pièce basse où un adjudant fume et lit son journal.

      À côté de lui, près de la fenêtre ouverte sur la cour, deux grands diables de sous-offs jargonnent un français rauque, mêlé d’expressions germaniques.

      La porte s’ouvrit. Quelqu’un entra. C’était un homme mince, de taille moyenne, élégamment vêtu.

      L’adjudant se leva, de mauvaise humeur contre l’intrus, et grogna :

      – Ah ! ça, que fiche donc le planton de garde ? Et vous, monsieur, que voulezvous ?

      – Du service.

      Cela fut dit nettement, impérieusement.

      Les deux sous-offs eurent un rire niais. L’homme les regarda de travers.

      – En deux mots, vous


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