Les aventures complètes d'Arsène Lupin. Морис Леблан

Les aventures complètes d'Arsène Lupin - Морис Леблан


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plus qu’un acte ordinaire, très naturel, et très simple. Il haussa les épaules, en homme habitué à courir ces sortes de dangers, et il marcha de long en large, silencieux.

      Elle avait lâché l’arme et elle pleurait, la tête entre ses mains, avec des sanglots qui la secouaient tout entière.

      Puis il revint près d’elle et lui dit quelques paroles en frappant encore sur la table.

      Elle fit signe que non, et, comme il insistait, à son tour elle frappa violemment du pied, en criant, et si fort que Lupin entendit :

      – Jamais !… Jamais !…

      Alors, sans un mot de plus, il alla chercher le manteau de fourrure qu’elle avait apporté et le posa sur les épaules de la femme, tandis qu’elle s’enveloppait le visage d’une dentelle.

      Et il la reconduisit.

      Deux minutes plus tard, la grille du jardin se refermait.

      « Dommage que je ne puisse pas courir après cette étrange personne et jaser un peu avec elle sur le Daubrecq. M’est avis qu’à nous deux on ferait de la bonne besogne. »

      En tout cas, il y avait un point à éclaircir. Le député Daubrecq, dont la vie était si réglée, si exemplaire en apparence, ne recevait-il pas certaines visites, la nuit, alors que l’hôtel n’était plus surveillé par la police ?

      Il chargea Victoire de prévenir deux hommes de sa bande pour qu’ils eussent à faire le guet pendant plusieurs jours. Et lui-même, la nuit suivante, se tint éveillé.

      Comme la veille, à quatre heures du matin, il entendit du bruit. Comme la veille, le député introduisit quelqu’un.

      Lupin descendit vivement son échelle et tout de suite, en arrivant au niveau de l’imposte, il aperçut un homme qui se traînait aux pieds de Daubrecq, qui lui embrassait les genoux avec un désespoir frénétique, et qui, lui aussi, pleurait, pleurait convulsivement.

      Plusieurs fois, Daubrecq le repoussa en riant, mais l’homme se cramponnait. On eût dit qu’il était fou, et ce fut dans un véritable accès de folie que, se relevant à moitié, il empoigna le député à la gorge et le renversa sur un fauteuil. Daubrecq se débattit, impuissant d’abord et les veines gonflées. Mais, d’une force peu commune, il ne tarda pas à reprendre le dessus et à réduire son adversaire à l’immobilité.

      Le tenant alors d’une main, de l’autre il le gifla, deux fois, à toute volée.

      L’homme se releva lentement. Il était livide et vacillait sur ses jambes. Il attendit un moment, comme pour reprendre son sang-froid. Et, avec un calme effrayant, il tira de sa poche un revolver qu’il braqua sur Daubrecq.

      Daubrecq ne broncha pas. Il souriait même d’un air de défi, et sans plus s’émouvoir que s’il eût été visé par le pistolet d’un enfant.

      Durant quinze à vingt secondes peut-être, l’homme resta le bras tendu, en face de son ennemi. Puis, toujours avec la même lenteur où se révélait une maîtrise d’autant plus impressionnante qu’elle succédait à une crise d’agitation extrême, il rentra son arme et, dans une autre poche, saisit son portefeuille.

      Daubrecq s’avança.

      Le portefeuille fut déplié. Une liasse de billets de banque apparut.

      Daubrecq s’en empara vivement et les compta.

      C’étaient des billets de mille francs.

      Il y en avait trente.

      L’homme regardait. Il n’eut pas un geste de révolte, pas une protestation. Visiblement, il comprenait l’inutilité des paroles. Daubrecq était de ceux qu’on ne fléchit pas. Pourquoi perdrait-il son temps à le supplier, ou même à se venger de lui par des outrages et des menaces vaines ? Pouvait-il atteindre cet ennemi inaccessible ? La mort même de Daubrecq ne le délivrerait pas de Daubrecq.

      Il prit son chapeau et s’en alla.

      À onze heures du matin, en rentrant du marché, Victoire remit à Lupin un mot que lui envoyaient ses complices.

      Il lut :

      « L’homme qui est venu cette nuit chez Daubrecq est le député Langeroux, président de la gauche indépendante. Peu de fortune. Famille nombreuse. »

      « Allons, se dit Lupin, Daubrecq n’est autre chose qu’un maître chanteur, mais, saperlotte les moyens d’action qu’il emploie sont rudement efficaces ! »

      Les événements donnèrent une nouvelle force à la supposition de Lupin. Trois jours après, il vint un autre visiteur qui remit à Daubrecq une somme importante. Et il en vint un autre le surlendemain, qui laissa un collier de perles.

      Le premier se nommait Dechaumont, sénateur, ancien ministre. Le second était le marquis d’Aibufex, député bonapartiste, ancien chef du bureau politique du prince Napoléon.

      Pour ces deux-là, la scène fut à peu près semblable à l’entretien du député Langeroux, scène violente et tragique qui se termina par la victoire de Daubrecq.

      « Et ainsi de suite, pensa Lupin, quand il eut ces renseignements. J’ai assisté à quatre visites. Je n’en saurai pas davantage s’il y en a dix, vingt ou trente… Il me suffit de connaître, par mes amis en faction, le nom des visiteurs. Irai-je les voir ?… Pour quoi faire ? Ils n’ont aucune raison pour se confier à moi. D’autre part, dois-je m’attarder ici à des investigations qui n’avancent pas, et que Victoire peut tout aussi bien continuer seule ? »

      Il était fort embarrassé. Les nouvelles de l’instruction dirigée contre Gilbert et Vaucheray devenaient de plus en plus mauvaises, les jours s’écoulaient, et il n’était pas une heure sans se demander, et avec quelle angoisse, si tous ses efforts n’aboutiraient pas, en admettant qu’il réussît, à des résultats dérisoires et absolument étrangers au but qu’il poursuivait. Car enfin, une fois démêlées les manœuvres clandestines de Daubrecq, aurait-il pour cela les moyens de secourir Gilbert et Vaucheray ?

      Ce jour-là, un incident mit fin à son indécision. Après le déjeuner, Victoire entendit, par bribes, une conversation téléphonique de Daubrecq.

      De ce que rapporta Victoire, Lupin conclut que le député avait rendez-vous à huit heures et demie avec une dame, et qu’il devait la conduire dans un théâtre.

      – Je prendrai une baignoire, comme il y a six semaines, avait dit Daubrecq.

      Et il avait ajouté, en riant :

      – J’espère que, pendant ce temps-là, je ne serai pas cambriolé.

      Pour Lupin, les choses ne firent pas de doute. Daubrecq allait employer sa soirée de la même façon qu’il l’avait employée six semaines auparavant, tandis que l’on cambriolait sa villa d’Enghien. Connaître la personne qu’il devait retrouver, savoir peut-être aussi comment Gilbert et Vaucheray avaient appris que l’absence de Daubrecq durerait de huit heures du soir à une heure du matin, c’était d’une importance capitale.

      Pendant l’après-midi, avec l’assistance de Victoire, et sachant par elle que Daubrecq rentrait dîner plus tôt que de coutume, Lupin sortit de l’hôtel.

      Il passa chez lui, rue Chateaubriand, manda par téléphone trois de ses amis, endossa un frac, et se fit, comme il disait, sa tête de prince russe, à cheveux blonds et à favoris coupés ras.

      Les complices arrivèrent en automobile.

      À ce moment, Achille, le domestique, lui apporta un télégramme adressé à M. Michel Beaumont, rue Chateaubriand. Ce télégramme était ainsi conçu :

      « Ne venez pas au théâtre ce soir. Votre intervention risque de tout perdre. »

      Sur la cheminée, près de lui, il y avait un vase de fleurs. Lupin le saisit et le brisa en morceaux.

      « C’est entendu, c’est entendu, grinça-t-il.


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