Les aventures complètes d'Arsène Lupin. Морис Леблан
avec frénésie.
– Que faites-vous là ? Répondez… quoi ?… Est-ce que je vous ai dit de vous fourrer dans les massifs et de m’espionner ?
– Vous espionner, gémit Wilson, mais je ne savais pas que c’était vous.
– Alors quoi ? Que faites vous là ? Vous deviez vous coucher.
– Je me suis couché.
– Il fallait dormir !
– J’ai dormi.
– Il ne fallait pas vous réveiller !
– Votre lettre…
– Ma lettre ?…
– Oui, celle qu’un commissionnaire m’a apportée de votre part à l’hôtel…
– De ma part ? Vous êtes fou ?
– Je vous jure.
– Où est cette lettre ?
Son ami lui tendit une feuille de papier. À la clarté de sa lanterne, il lut avec stupeur :
« Wilson, hors du lit, et filez avenue Henri-Martin. La maison est vide. Entrez, inspectez, dressez un plan exact, et retournez vous coucher. Herlock Sholmès. »
– J’étais en train de mesurer les pièces, dit Wilson, quand j’ai aperçu une ombre dans le jardin. Je n’ai eu qu’une idée…
– C’est de vous emparer de l’ombre… l’idée était excellente… seulement, voyez-vous, dit Sholmès en aidant son compagnon à se relever et en l’entraînant, une autre fois, Wilson, lorsque vous recevrez une lettre de moi, assurez-vous d’abord que mon écriture n’est pas imitée.
– Mais alors, fit Wilson, commençant à entrevoir la vérité, la lettre n’est donc pas de vous ?
– Hélas ! non.
– De qui ?
– D’Arsène Lupin.
– Mais dans quel but l’a-t-il écrite ?
– Ah ! Ça je n’en sais rien, et c’est justement ce qui m’inquiète. Pourquoi diable s’est-il donné la peine de vous déranger ? S’il s’agissait encore de moi, je comprendrais, mais il ne s’agit que de vous. Et je me demande quel intérêt…
– J’ai hâte de retourner à l’hôtel.
– Moi aussi, Wilson.
Ils arrivaient à la grille. Wilson, qui se trouvait en tête, saisit un barreau et tira.
– Tiens, dit-il, vous avez fermé ?
– Mais nullement, j’ai laissé le battant tout contre.
– Cependant…
Herlock tira à son tour, puis, effaré, se précipita sur la serrure. Un juron lui échappa.
– Tonnerre de D… elle est fermée ! Fermée à clef !
Il ébranla la porte de toute sa vigueur, puis comprenant la vanité de ses efforts, laissa tomber ses bras, découragé, et il articula d’une voix saccadée :
– Je m’explique tout maintenant, c’est lui : Il a prévu que je descendrais à Creil, et il m’a tendu ici une jolie petite souricière pour le cas où je viendrais commencer mon enquête le soir même. En outre il a eu la gentillesse de m’envoyer un compagnon de captivité. Tout cela pour me faire perdre un jour, et aussi, sans doute, pour me prouver que je ferais bien mieux de me mêler de mes affaires…
– C’est-à-dire que nous sommes ses prisonniers.
– Vous avez dit le mot. Herlock Sholmès et Wilson sont les prisonniers d’Arsène Lupin. L’aventure s’engage à merveille… mais non, mais non, il n’est pas admissible…
Une main s’abattit sur son épaule, la main de Wilson.
– Là-haut… regardez là-haut… une lumière…
En effet, l’une des fenêtres du premier étage était illuminée.
Ils s’élancèrent tous deux au pas de course, chacun par son escalier, et se retrouvèrent en même temps à l’entrée de la chambre éclairée. Au milieu de la pièce brûlait un bout de bougie. À côté, il y avait un panier, et de ce panier émergeaient le goulot d’une bouteille, les cuisses d’un poulet et la moitié d’un pain.
Sholmès éclata de rire.
– À merveille, on nous offre à souper. C’est le palais des enchantements. Une vraie féerie Allons, Wilson, ne faites pas cette figure d’enterrement. Tout cela est très drôle.
– Êtes-vous sûr que ce soit très drôle ? gémit Wilson, lugubre.
– Si j’en suis sûr, s’écria Sholmès, avec une gaieté un peu trop bruyante pour être naturelle, c’est-à-dire que je n’ai jamais rien vu de plus drôle. C’est du bon comique… quel maître ironiste que cet Arsène Lupin … il vous roule, mais si gracieusement … je ne donnerais pas ma place à ce festin pour tout l’or du monde… Wilson, mon vieil ami, vous me chagrinez. Me serais-je mépris, et n’auriez-vous point cette noblesse de caractère qui aide à supporter l’infortune ! De quoi vous plaignez vous ? À cette heure vous pourriez avoir mon poignard dans la gorge… ou moi le vôtre dans la mienne… car c’était bien ce que vous cherchiez, mauvais ami.
Il parvint, à force d’humour et de sarcasmes, à ranimer ce pauvre Wilson, et à lui faire avaler une cuisse de poulet et un verre de vin. Mais quand la bougie eut expiré, qu’ils durent s’étendre, pour dormir, sur le parquet, et accepter le mur comme oreiller, le côté pénible et ridicule de la situation leur apparut. Et leur sommeil fut triste.
Au matin Wilson s’éveilla, courbaturé et transi de froid. Un léger bruit attira son attention : Herlock Sholmès, à genoux, courbé en deux, observait à la loupe des grains de poussière et relevait des marques de craie blanche, presque effacées, qui formaient des chiffres, lesquels chiffres il inscrivait sur son carnet.
Escorté de Wilson que ce travail intéressait d’une façon particulière, il étudia chaque pièce, et dans deux autres il constata les mêmes signes à la craie. Et il nota également deux cercles sur des panneaux de chêne, une flèche sur un lambris, et quatre chiffres sur quatre degrés d’escalier.
Au bout d’une heure, Wilson lui dit :
– Les chiffres sont exacts, n’est-ce pas ?
– Exacts, j’en sais rien, répondit Herlock, à qui de telles découvertes avaient rendu sa belle humeur, en tout cas ils signifient quelque chose.
– Quelque chose de très clair, dit Wilson, ils représentent le nombre des lames de parquet.
– Ah !
– Oui. Quant aux deux cercles, ils indiquent que les panneaux sonnent faux, comme vous pouvez vous en assurer, et la flèche est dirigée dans le sens de l’ascension du monte-plats.
Herlock Sholmès le regarda, émerveillé.
– Ah çà ! Mais, mon bon ami, comment savez-vous tout cela ? Votre clairvoyance me rend presque honteux.
– Oh ! c’est bien simple, dit Wilson, gonflé de joie, c’est moi qui ai tracé ces marques hier soir, suivant vos instructions… ou plutôt suivant celles de Lupin, puisque la lettre que vous m’avez adressée est de lui.
Peut-être Wilson courut-il, à cette minute, un danger plus terrible que pendant sa lutte dans le massif avec Sholmès. Celui-ci eut une envie féroce de l’étrangler. Se dominant, il esquissa une grimace qui voulait être un sourire et prononça :
– Parfait, parfait, voilà de l’excellente besogne et qui nous avance beaucoup. Votre admirable esprit d’analyse et d’observation s’est-il exercé sur d’autres