Les aventures complètes d'Arsène Lupin. Морис Леблан
Allô… allô… mais oui, tout est terminé, et je m’apprêtais justement à vous rejoindre, comme il était convenu… où ?… Mais à l’endroit où vous êtes. Ne croyez-vous pas que c’est encore là…
Il hésitait, cherchant ses mots, puis il s’arrêta. Il était clair qu’il tâchait d’interroger la jeune fille sans trop s’avancer lui-même et qu’il ignorait absolument où elle se trouvait. En outre la présence de Ganimard semblait le gêner… Ah ! Si quelque miracle avait pu couper le fil de cet entretien diabolique ! Lupin l’appelait de toutes ses forces, de tous ses nerfs tendus !
Et Sholmès prononça :
– Allô !… Allô !… Vous n’entendez pas ?… Moi non plus… très mal… c’est à peine si je distingue… vous écoutez ? Eh bien, voilà… en réfléchissant… il est préférable que vous rentriez chez vous…
– Quel danger ? Aucun…
– Mais il est en Angleterre ! J’ai reçu une dépêche de Southampton, me confirmant son arrivée.
L’ironie de ces mots ! Sholmès les articula avec un bien-être inexprimable. Et il ajouta :
– Ainsi donc, ne perdez pas de temps, chère amie, je vous rejoins. Il accrocha les récepteurs.
– Monsieur Ganimard, je vous demanderai trois de vos hommes.
– C’est pour la Dame blonde, n’est-ce pas ?
– Oui.
– Vous savez qui c’est, où elle est ?
– Oui.
– Bigre ! Jolie capture. Avec Lupin… la journée est complète. Folenfant, emmenez deux hommes, et accompagnez Monsieur.
L’Anglais s’éloigna, suivi des trois agents.
C’était fini. La Dame blonde, elle aussi, allait tomber au pouvoir de Sholmès. Grâce à son admirable obstination, grâce à la complicité d’événements heureux, la bataille s’achevait pour lui en victoire, pour Lupin, en un désastre irréparable.
– Monsieur Sholmès !
L’Anglais s’arrêta.
– Monsieur Lupin ?
Lupin semblait profondément ébranlé par ce dernier coup. Des rides creusaient son front. Il était las et sombre. Il se redressa pourtant en un sursaut d’énergie. Et malgré tout, allègre, dégagé, il s’écria :
– Vous conviendrez que le sort s’acharne après moi. Tout à l’heure, il m’empêche de m’évader par cette cheminée et me livre à vous. Cette fois, il se sert du téléphone pour vous faire cadeau de la Dame blonde. Je m’incline devant ses ordres.
– Ce qui signifie ?
– Ce qui signifie que je suis prêt à rouvrir les négociations.
Sholmès prit à part l’inspecteur et sollicita, d’un ton d’ailleurs qui n’admettait point de réplique, l’autorisation d’échanger quelques paroles avec Lupin. Puis il revint vers celui-ci. Colloque suprême ! Il s’engagea sur un ton sec et nerveux.
– Que voulezvous ?
– La liberté de Mlle Destange.
– Vous savez le prix ?
– Oui.
– Et vous acceptez ?
– J’accepte toutes vos conditions.
– Ah ! fit l’Anglais, étonné… mais… vous avez refusé… pour vous…
– Il s’agissait de moi, Monsieur Sholmès. Maintenant il s’agit d’une femme… et d’une femme que j’aime. En France, voyez-vous, nous avons des idées très particulières sur ces choses-là. Et ce n’est pas parce que l’on s’appelle Lupin que l’on agit différemment… au contraire !
Il dit cela très calmement. Sholmès eut une imperceptible inclinaison de la tête et murmura :
– Alors le diamant bleu ?
– Prenez ma canne, là, au coin de la cheminée. Serrez d’une main la pomme, et, de l’autre, tournez la virole de fer qui termine l’extrémité opposée du bâton.
Sholmès prit la canne et tourna la virole, et, tout en tournant, il s’aperçut que la pomme se dévissait. À l’intérieur de cette pomme se trouvait une boule de mastic. Dans cette boule un diamant.
Il l’examina. C’était le diamant bleu.
– Mlle Destange est libre, Monsieur Lupin.
– Libre dans l’avenir comme dans le présent ? Elle n’a rien à craindre de vous ?
– Ni de personne.
– Quoi qu’il arrive ?
– Quoi qu’il arrive. Je ne sais plus son nom ni son adresse.
– Merci. Et au revoir. Car on se reverra, n’est-ce pas, Monsieur Sholmès ?
– Je n’en doute pas.
Il y eut entre l’Anglais et Ganimard une explication assez agitée à laquelle Sholmès coupa court avec une certaine brusquerie.
– Je regrette beaucoup, Monsieur Ganimard, de n’être point de votre avis. Mais je n’ai pas le temps de vous convaincre. Je pars pour l’Angleterre dans une heure.
– Cependant… la Dame blonde ?…
– Je ne connais pas cette personne.
– Il n’y a qu’un instant…
– C’est à prendre ou à laisser. Je vous ai déjà livré Lupin. Voici le diamant bleu… que vous aurez le plaisir de remettre vous-même à la comtesse de Crozon. Il me semble que vous n’avez pas à vous plaindre.
– Mais la Dame blonde ?
– Trouvez-la.
Il enfonça son chapeau sur sa tête et s’en alla rapidement, comme un Monsieur qui n’a pas coutume de s’attarder lorsque ses affaires sont finies.
– Bon voyage, maître, cria Lupin. Et croyez bien que je n’oublierai jamais les relations cordiales que nous avons entretenues. Mes amitiés à M. Wilson.
Il n’obtint aucune réponse et ricana :
– C’est ce qui s’appelle filer à l’anglaise. Ah ! Ce digne insulaire ne possède pas cette fleur de courtoisie par laquelle nous nous distinguons. Pensez un peu, Ganimard, à la sortie qu’un Français eût effectuée en de pareilles circonstances, sous quels raffinements de politesse il eût masqué son triomphe ! … Mais, Dieu me pardonne, Ganimard, que faites-vous ? Allons bon, une perquisition ! Mais il n’y a plus rien, mon pauvre ami, plus un papier. Mes archives sont en lieu sûr.
– Qui sait ! Qui sait !
Lupin se résigna. Tenu par deux inspecteurs, entouré par tous les autres, il assista patiemment aux diverses opérations. Mais au bout de vingt minutes il soupira :
– Vite, Ganimard, vous n’en finissez pas.
– Vous êtes donc bien pressé ?
– Si je suis pressé ! Un rendez-vous urgent !
– Au Dépôt ?
– Non, en ville.
– Bah ! Et à quelle heure ?
– À deux heures.
– Il en est trois.
– Justement, je serai en retard, et il n’est rien que je déteste comme d’être en retard.
– Me donnez-vous cinq minutes ?
– Pas une de plus.