Troïlus et Cressida. William Shakespeare

Troïlus et Cressida - William Shakespeare


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      CRESSIDA.—Mais comment cet homme, qui me fait sourire, peut-il exciter le courroux d'Hector?

      ALEXANDRE.—On dit qu'il a lutté hier avec Hector dans le combat et qu'il l'a terrassé. Furieux et honteux depuis cet affront, Hector n'en a ni mangé ni dormi.

      (Entre Pandare.)

      CRESSIDA.—Qui vient à nous?

      ALEXANDRE.—Madame, c'est votre oncle Pandare.

      CRESSIDA.—Hector est un brave guerrier.

      ALEXANDRE.—Autant qu'homme au monde, madame.

      PANDARE.—Que dites-vous là? que dites-vous là?

      CRESSIDA.—Bonjour, mon oncle Pandare.

      Ilion était le palais de Troie.

      CRESSIDA.—Depuis ce matin, mon oncle.

      PANDARE.—De quoi parliez-vous quand je suis arrivé?—Hector était-il armé et sorti avant que vous vinssiez à Ilion? Hélène n'était pas levée? n'est-ce pas?

      CRESSIDA.—Hector était parti; mais Hélène n'était pas encore levée.

      PANDARE.—Oui, Hector a été bien matinal.

      CRESSIDA.—C'était de lui que nous causions, et de sa colère.

      PANDARE.—Est-ce qu'il était en colère?

      CRESSIDA.—Il le dit, lui.

      PANDARE.—Oui, cela est vrai. J'en sais aussi la cause; il en couchera par terre aujourd'hui, je peux le leur promettre; et il y a aussi Troïlus qui ne le suivra pas de loin: qu'ils prennent garde à Troïlus; je peux leur dire cela aussi.

      CRESSIDA.—Quoi! est-ce qu'il est en colère aussi?

      PANDARE.—Qui, Troïlus? Troïlus est le plus brave des deux.

      CRESSIDA.—O Jupiter, il n'y a pas de comparaison.

      PANDARE.—Comment! pas de comparaison entre Troïlus et Hector? Reconnaîtriez-vous un homme si vous le voyiez?

      CRESSIDA.—Oui, si je l'avais jamais vu auparavant et si je le connaissais.

      PANDARE.—Eh bien! je dis que Troïlus est Troïlus.

      CRESSIDA.—Oh! vous dites comme moi; car je suis sûre qu'il n'est pas Hector.

      PANDARE.—Non; et Hector n'est pas Troïlus, à quelques égards.

      CRESSIDA.—Cela est exactement vrai de tous deux: il est lui-même, et pas un autre.

      PANDARE.—Lui-même? Hélas! le pauvre Troïlus! je voudrais bien qu'il le fût.

      CRESSIDA.—Il l'est aussi.

      PANDARE.—S'il l'est, je veux aller nu-pieds jusqu'à l'Inde.

      CRESSIDA.—Il n'est pas Hector.

      PANDARE.—Lui-même? Oh! non, il n'est pas lui-même.—Plût au ciel qu'il fût lui-même! Allons, les dieux sont au-dessus de nous; le temps amène les biens ou finit les maux. Allons, Troïlus, allons... je voudrais que mon coeur fût dans son sein!—Non, Hector ne vaut pas mieux que Troïlus.

      CRESSIDA.—Pardonnez-moi.

      PANDARE.—Il est plus âgé.

      CRESSIDA.—Pardonnez-moi, pardonnez-moi.

      PANDARE.—L'autre n'est pas encore parvenu à son âge; vous m'en direz des nouvelles quand il y sera venu: Hector n'aura jamais son esprit de toute l'année.

      CRESSIDA.—Il n'en aura pas besoin s'il a le sien.

      PANDARE.—Ni ses qualités.

      CRESSIDA.—N'importe.

      PANDARE.—Ni sa beauté.

      CRESSIDA.—Elle ne lui siérait pas; la sienne lui va mieux.

      PANDARE.—Vous n'avez pas de jugement, ma nièce: Hélène elle-même jurait l'autre jour que Troïlus, pour un teint brun (car son teint est brun, il faut que je l'avoue), et pas brun, pourtant...

      CRESSIDA.—Non; mais brun.

      PANDARE.—D'honneur, pour dire la vérité, il est brun et pas brun.

      CRESSIDA.—Oui, pour dire la vérité, cela est vrai et n'est pas vrai.

      PANDARE.—Enfin elle vantait son teint au-dessus de celui de Pâris.

      CRESSIDA.—Mais Pâris a assez de couleurs.

      PANDARE.—Oui, il en a assez.

      CRESSIDA.—Eh bien! en ce cas, Troïlus en aurait trop. Si elle l'a mis au-dessus de Pâris, son teint est plus vif que le sien; si Pâris a assez de couleurs et Troïlus davantage, c'est un éloge trop fort pour un beau teint. J'aimerais autant que la langue dorée d'Hélène eût vanté Troïlus pour un nez de cuivre.

      PANDARE.—Je vous jure que je crois qu'Hélène l'aime plus qu'elle n'aime Pâris.

      CRESSIDA.—C'est donc une joyeuse Grecque?

      PANDARE.—Oui, je suis sûr qu'elle l'aime. Elle alla l'aborder l'autre jour dans l'embrasure de la fenêtre.—Et vous savez, qu'il n'a pas plus de trois ou quatre poils au menton.

      CRESSIDA.—Oh! oui, l'arithmétique d'un garçon de cabaret peut trouver le total de tout ce qu'il en possède.

      PANDARE.—Il est bien jeune, et cependant, à trois livres près, il enlève autant que son frère Hector.

      Lifter, voleur. Illistus, en langue gothique, voulait dire voleur; équivoque sur le mot.

      PANDARE.—Mais pour vous prouver qu'Hélène est amoureuse de lui, elle l'aborda, et elle lui passa sa main blanche sous la fente du menton.

      CRESSIDA.—Que Junon ait pitié de nous! comment! a-t-il le menton fendu?

      PANDARE.—Hé! vous savez bien qu'il a une fossette: je ne crois pas qu'il y ait un homme, dans toute la Phrygie, à qui le sourire aille mieux.

      CRESSIDA.—Oh! il a un fier sourire.

      PANDARE.—N'est-ce pas?

      CRESSIDA.—Oh! oui; c'est comme un nuage en automne.

      PANDARE.—Allons, poursuivez.—Mais pour prouver qu'Hélène aime Troïlus...

      CRESSIDA.—Troïlus acceptera la preuve, si vous voulez en venir là.

      PANDARE.—Troïlus? Il n'en fait pas plus de cas que je ne fais d'un oeuf de serpent.

      CRESSIDA.—Si vous aimiez un oeuf de serpent autant que vous aimez une tête vide, vous mangeriez les petits dans la coque.

      PANDARE.—Je ne peux m'empêcher de rire, quand je songe comme elle lui chatouillait le menton.—Il est vrai qu'elle a une main d'une blancheur divine, il faut en faire l'aveu.

      CRESSIDA.—Sans qu'il soit besoin de vous donner la question pour cela.

      PANDARE.—Et elle voulait à toute


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