Excelsior: Roman parisien. Léonce de Larmandie

Excelsior: Roman parisien - Léonce de Larmandie


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d'Escal.—Je la préfère à l'abstention digne. Je poursuis... d'un fait crânement accompli par un homme jeune et vaillant.

      Monsieur de Saint-Benest.—C'est précisément là qu'est le mal!

      Monsieur de Prunières.—Il vaudrait mieux qu'il fût vieux et prudent.

      Monsieur de Saint-Benest.—Le candidat nous a manqué de respect.

      Le vicomte d'Escal.—Il ne vous connaît pas.

      Le chevalier de Sainte-Gauburge.—C'est une circonstance aggravante.

      Monsieur de Saint-Benest.—Et puis, enfin, qui est-il? Qu'est cela, Mérigue? Sommes-nous certains qu'il soit né, seulement?

      Le vicomte d'Escal.—Aussi vrai que vous êtes morts, vous autres.

      Le Président.—Ne faisons pas d'esprit, cher vicomte, ce n'est pas dans les habitudes de nos réunions.

      Le vicomte d'Escal.—Veuillez m'excuser, Monsieur le Président, une fois n'est pas coutume.

      Le Président.—Je constate, Messieurs, qu'à l'exception de l'honorable vicomte préopinant, nous sommes tous unanimes à déplorer cette malencontreuse candidature, mais enfin, coûte que coûte, il faut prendre une décision.

      Monsieur de Saint-Benest.—Une décision, y pensez-vous? déjà!

      Le Président.—Hélas! oui, malheureusement.

      Monsieur de Prunières.—Quelle fâcheuse aventure!

      Le chevalier de Sainte-Gauburge.—Oh! que c'est grave, oh! que c'est grave!

      Le Président.—Je vous propose, en premier lieu, de voter un blâme à M. Jacques de Mérigue, pour avoir posé sa candidature en dehors de notre assentiment. Le vicomte d'Escal est lui-même de cet avis. Que ceux qui sont d'un sentiment contraire veuillent bien lever la main. Personne ne lève la main. Le comité royaliste inflige un blâme à M. Jacques de Mérigue.

      Le vicomte d'Escal.—Soutiendrez-vous, oui ou non, sa candidature?

      Le Président.—La question est double. D'abord nous ne pouvons pas lui donner un centime.

      Le chevalier de Sainte-Gauburge.—Pour ça, jamais! Il ne manquerait plus que ça.

      Monsieur de Prunières.—D'abord, il n'y a que 35 francs dans la caisse.

      Monsieur de Saint-Benest.—Pardon! c'est moi qui suis trésorier, il y a tout juste un louis.

      Le vicomte d'Escal.—Versé entre nos mains par le tapissier royaliste de la rue Vanneau.

      Le Président.—Là n'est pas la question. Je ne crois même pas utile de mettre en discussion une subvention pécuniaire que nous ne pouvons ni ne voulons accorder.

      Monsieur de Saint-Benest.—Ça lui apprendra à ne pas nous consulter.

      Le Président.—Maintenant, Messieurs, il faut boire le vin qui est tiré. Je vous demande de bien vouloir vous résigner à donner votre appui au candidat. Je crois que vous y consentirez tous et j'ai l'honneur de prier notre cher secrétaire, le chevalier de Sainte-Gauburge, de vouloir bien insérer au procès-verbal que: 1º Le comité vote un blâme à M. Jacques de Mérigue (à l'unanimité!); 2° Le comité ne fournit à M. Jacques de Mérigue aucune subvention pécuniaire (à l'unanimité!); 3° Le comité appuie la candidature de M. de Mérigue (à l'unanimité!) Mes chers collègues, la séance est levée.

       Table des matières

       Table des matières

      Mérigue était le lion du jour. Toute la presse s'occupait de cet audacieux Éliacin qui, rompant avec les habitudes gâteuses de la phraséologie politique, parlait un langage clair, net, incisif, catégorique. Le Rappel le qualifia de petite vipère réactionnaire couvée trop longtemps dans le sein d'une administration républicaine. Il reçut dans son grenier une visite d'un reporter du Figaro qui se plut à louer la simplicité spartiate du vaillant champion de la légitimité. D'innombrables cartes de congratulation affluaient à son casier. On ne parlait que de lui dans les salons bien pensants et beaucoup de jeunes femmes témoignaient le désir de voir en chair et en os le jeune athlète dont le nom retentissait si fort à leurs oreilles. Deux princes, trois ou quatre ducs, une demi-douzaine de marquis, des régiments de comtes et des troupeaux de barons voulurent faire l'ascension des cent vingt marches. Ils restaient tous bouche béante devant le dénûment du candidat et se demandaient comment il était possible que tant de valeur et de hardiesse fussent le partage d'un personnage aussi déshérité du sort. Jacques, qui croyait «marcher vivant dans son rêve étoilé», recevait toutes les félicitations et tous les compliments d'une façon à la fois gauche et hautaine qui était pleine d'une étrange saveur. Il s'était empressé, naturellement, d'aller occuper son poste de répétiteur au collège ecclésiastique de la rue de Monceau, où le révérend Père Coupessay l'avait accueilli comme une grande dame. Ce religieux opportuniste eut même l'admirable toupet de lui dire qu'il lui semblait bien l'avoir déjà vu quelque part. Tous les jeunes gens de famille avaient réclamé, comme une précieuse faveur, les leçons de ce conquérant si remarquable à la fois par sa mine fière, sa désinvolture et son caractère bon enfant. Son premier élève avait été Théodore de Vannes, le propre frère de la Vénus de Sainte-Radegonde, sorte de gros garçon, jovial et brutal, élevé à la diable, notablement intelligent et doué par-dessus tout d'une excentricité voisine de l'aliénation. Théodore avait, dès le premier jour, voué à son maître d'occasion une admiration désordonnée et une sorte d'amitié violente et sans mesure. Jacques trouvait bien toutes les démonstrations de l'adolescent un peu encombrantes, mais le vague espoir d'arriver à la soeur par le frère le déterminait à supporter toutes les effusions obsédantes du collégien. Il le fit causer avec un certain art et apprit une foule de choses intéressantes, au sujet de sa chimère. Il eut la confirmation des fiançailles de Blanche avec le duc de Largeay. Théodore ajouta que cette union était le résultat d'une pure convenance de famille et que sa soeur trouvait le duc fade et ennuyeux. Il était absolument du même avis et regrettait vivement que Blanche n'épousât pas un homme intelligent et digne d'elle. On la surnommait partout la quatrième Grâce et elle allait unir ses destinées à celles d'un boudin sans savoir et sans esprit, dont tout le mérite consistait à perpétuellement rire, aux fins d'exhiber un râtelier perfectionné payé six mille francs chez Préterre. Du reste, ajoutait Théodore, ce mariage n'était certes pas fait encore et pourrait bien ne jamais se réaliser. On juge si ces déclarations étaient approuvées et appuyées par Mérigue, qui arrivait à se dire intérieurement: décidément, ce gaillard-là est très fort! il n'a pas les préjugés de ses pareils: il est utilisable. L'affection qu'il me témoigne, jointe à cette largeur d'idées, peut mettre bien des atouts dans mon jeu.

      Un jour, le candidat royaliste reçut la lettre suivante:

      «Monsieur,

      «Je fais une collecte à domicile pour les pauvres du quartier spécialement secourus par M. l'abbé de la Gloire-Dieu. Tout le bien qu'on dit de vous me fait un devoir de compter sur votre générosité. J'aurai le plaisir de me présenter moi-même chez vous et je ne doute pas de l'accueil que vous voudrez bien faire à mes sollicitations en faveur des malheureux.

      «Recevez, Monsieur, l'assurance de mes sentiments très distingués.

      «Comtesse de Vannes,

      «Hôtel Soubise, 85, rue Saint-Dominique.»

      Pardieu!


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