Le Chevalier de Maison-Rouge. Alexandre Dumas

Le Chevalier de Maison-Rouge - Alexandre  Dumas


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en souriant, à une femme que vous avez sauvée du plus grand danger qu’elle ait jamais couru, et qui vous sera reconnaissante toute sa vie.

      – Je ne vous en demande pas tant, madame; soyez moins reconnaissante, et pendant cette seconde, dites-moi votre nom.

      – Impossible.

      – Vous l’eussiez dit cependant au premier sectionnaire venu, si l’on vous eût conduite au poste.

      – Non, jamais, s’écria l’inconnue.

      – Mais alors, vous alliez en prison.

      – J’étais décidée à tout.

      – Mais la prison dans ce moment-ci…

      – C’est l’échafaud, je le sais.

      – Et vous eussiez préféré l’échafaud?

      – À la trahison… Dire mon nom, c’était trahir!

      – Je vous le disais bien, que vous me faisiez jouer un singulier rôle pour un républicain!

      – Vous jouez le rôle d’un homme généreux. Vous trouvez une pauvre femme qu’on insulte, vous ne la méprisez pas quoiqu’elle soit du peuple, et, comme elle peut être insultée de nouveau, pour la sauver du naufrage, vous la reconduisez jusqu’au misérable quartier qu’elle habite; voilà tout.

      – Oui, vous avez raison; voilà pour les apparences; voilà ce que j’aurais pu croire si je ne vous avais pas vue, si vous ne m’aviez pas parlé; mais votre beauté, mais votre langage sont d’une femme de distinction; or, c’est justement cette distinction, en opposition avec votre costume et avec ce misérable quartier, qui me prouve que votre sortie à cette heure cache quelque mystère; vous vous taisez… allons, n’en parlons plus. Sommes-nous encore loin de chez vous, madame?

      En ce moment ils entraient dans la rue des Fossés-Saint-Victor.

      – Vous voyez ce petit bâtiment noir, dit l’inconnue à Maurice en étendant la main vers une maison située au delà des murs du Jardin des Plantes. Quand nous serons là, vous me quitterez.

      – Fort bien, madame. Ordonnez, je suis là pour vous obéir.

      – Vous vous fâchez?

      – Moi? Pas le moins du monde; d’ailleurs, que vous importe?

      – Il m’importe beaucoup, car j’ai encore une grâce à vous demander.

      – Laquelle?

      – C’est un adieu bien affectueux et bien franc… un adieu d’ami!

      – Un adieu d’ami! Oh! vous me faites trop d’honneur, madame. Un singulier ami que celui qui ne sait pas le nom de son amie, et à qui cette amie cache sa demeure, de peur sans doute d’avoir l’ennui de le revoir.

      La jeune femme baissa la tête et ne répondit pas.

      – Au reste, madame, continua Maurice, si j’ai surpris quelque secret, il ne faut pas m’en vouloir; je n’y tâchais pas.

      – Me voici arrivée, monsieur, dit l’inconnue.

      On était en face de la vieille rue Saint-Jacques, bordée de hautes maisons noires, percée d’allées obscures, de ruelles occupées par des usines et des tanneries, car à deux pas coule la petite rivière de Bièvre.

      – Ici? dit Maurice. Comment! c’est ici que vous demeurez?

      – Oui.

      – Impossible!

      – C’est cependant ainsi. Adieu, adieu donc, mon brave chevalier; adieu, mon généreux protecteur!

      – Adieu, madame, répondit Maurice avec une légère ironie; mais dites-moi, pour me tranquilliser, que vous ne courez plus aucun danger.

      – Aucun.

      – En ce cas, je me retire.

      Et Maurice fit un froid salut en se reculant de deux pas en arrière.

      L’inconnue demeura un instant immobile à la même place.

      – Je ne voudrais cependant pas prendre congé de vous ainsi, dit-elle. Voyons, monsieur Maurice, votre main.

      Maurice se rapprocha de l’inconnue et lui tendit la main.

      Il sentit alors que la jeune femme lui glissait une bague au doigt.

      – Oh! oh! citoyenne, que faites-vous donc là? Vous ne vous apercevez pas que vous perdez une de vos bagues?

      – Oh! monsieur, dit-elle, ce que vous faites là est bien mal.

      – Il me manquait ce vice, n’est-ce pas, madame, d’être ingrat?

      – Voyons, je vous en supplie, monsieur… mon ami. Ne me quittez pas ainsi. Voyons, que demandez-vous? Que vous faut-il?

      – Pour être payé, n’est-ce pas? dit le jeune homme avec amertume.

      – Non, dit l’inconnue avec une expression enchanteresse, mais pour me pardonner le secret que je suis forcée de garder envers vous.

      Maurice, en voyant luire dans l’obscurité ces beaux yeux presque humides de larmes, en sentant frémir cette main tiède entre les siennes, en entendant cette voix qui était presque descendue à l’accent de la prière, passa tout à coup de la colère au sentiment exalté.

      – Ce qu’il me faut? s’écria-t-il. Il faut que je vous revoie.

      – Impossible.

      – Ne fût-ce qu’une seule fois, une heure, une minute, une seconde.

      – Impossible, je vous dis.

      – Comment! demanda Maurice, c’est sérieusement que vous me dites que je ne vous reverrai jamais?

      – Jamais! répondit l’inconnue comme un douloureux écho.

      – Oh! madame, dit Maurice, décidément vous vous jouez de moi.

      Et il releva sa noble tête en secouant ses longs cheveux à la manière d’un homme qui veut échapper à un pouvoir qui l’étreint malgré lui.

      L’inconnue le regardait avec une expression indéfinissable. On voyait qu’elle n’avait pas entièrement échappé au sentiment qu’elle inspirait.

      – Écoutez, dit-elle après un moment de silence qui n’avait été interrompu que par un soupir qu’avait inutilement cherché à étouffer Maurice. Écoutez! me jurez-vous sur l’honneur de tenir vos yeux fermés du moment où je vous le dirai jusqu’à celui où vous aurez compté soixante secondes? Mais là… sur l’honneur.

      – Et, si je le jure, que m’arrivera-t-il?

      – Il arrivera que je vous prouverai ma reconnaissance, comme je vous promets de ne la prouver jamais à personne, fît-on pour moi plus que vous n’avez fait vous-même; ce qui, au reste, serait difficile.

      – Mais enfin puis-je savoir?…

      – Non, fiez-vous à moi, vous verrez…

      – En vérité, madame, je ne sais si vous êtes un ange ou un démon.

      – Jurez-vous?

      – Eh bien, oui, je le jure!

      – Quelque chose qui arrive, vous ne rouvrirez pas les yeux?… Quelque chose qui arrive, comprenez-vous bien, vous sentissiez-vous frappé d’un coup de poignard?

      – Vous m’étourdissez, ma parole d’honneur, avec cette exigence.

      – Eh! jurez donc, monsieur; vous ne risquez pas grand’chose, ce me semble.

      – Eh bien! je jure, quelque chose qui m’arrive, dit Maurice en fermant les yeux.

      Il s’arrêta.

      – Laissez-moi vous voir encore une fois, une seule fois, dit-il, je vous en supplie.

      La jeune femme rabattit son capuchon avec un sourire qui


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