Les derniers jours de Pékin. Pierre Loti
maintenant, et dans un espace si restreint! Ils se sentaient comme enserrés chaque jour davantage par la torture chinoise et l’horrible mort.
Les choses essentielles commençaient à manquer. Il fallait économiser sur tout, en particulier sur les balles; d’ailleurs, on devenait des sauvages, – et, quand on capturait des Boxers, des incendiaires, au lieu de les fusiller, on leur fracassait le crâne à bout portant avec un revolver.
Un jour, enfin, leurs oreilles, toujours tendues au bruit des batailles extérieures, perçurent une canonnade continue, sourde et profonde, en dehors de ces grands remparts noirs dont ils apercevaient au loin les créneaux, au-dessus de tout, et qui les enfermaient comme dans un cercle dantesque: on bombardait Pékin!… Ce ne pouvait être que les armées d’Europe, venues à leur secours!
Cependant une dernière épouvante troublait encore leur joie. Est-ce qu’on n’allait pas tenter contre eux un suprême assaut pour les anéantir avant l’entrée des troupes alliées?
En effet, on les attaqua furieusement, et cette journée finale, cette veille de la délivrance coûta encore la vie à un de nos officiers, le capitaine Labrousse, qui alla rejoindre le commandant de nos amis autrichiens dans le glorieux petit cimetière de la légation. Mais ils résistèrent… Et, tout à coup, plus personne autour d’eux, plus une tête de Chinois sur les barricades ennemies; le vide et le silence dans leurs abords dévastés: les Boxers étaient en fuite, et les alliés entraient dans la ville!…
Ce premier soir de mon arrivée à Pékin est triste comme les soirs de la route, mais plus banalement triste, avec plus d’ennui. Les ouvriers viennent de finir les murs de ma chambre; les plâtres frais y répandent leur humidité ruisselante, on y a froid jusqu’aux os, et comme il n’y a rien là dedans, mon serviteur étend par terre mon étroit matelas de la jonque, puis se met en devoir d’organiser une table avec de vieilles caisses. Mes hôtes ont la bonté aussi de me faire monter à la hâte et allumer un poêle à charbon, – et voici que cela achève d’évoquer pour moi un rêve de misère européenne, dans quelque taudis de faubourg… Comment soupçonner que l’on est en Chine, ici, et à Pékin, tout près des enceintes mystérieuses, des palais pleins de merveilles?…
Quant au ministre de France, que j’ai besoin de voir pour lui faire les communications de l’amiral, j’apprends qu’il est allé, n’ayant plus de toit, demander asile à la légation d’Espagne; de plus, qu’il a la fièvre typhoïde – épidémique à cause de l’eau partout empoisonnée – et que personne en ce moment ne peut lui parler. Mon séjour dans ce gîte mouillé menace de se prolonger plus que je ne pensais. Et mélancoliquement, à travers les vitres que des buées ternissent, je regarde, dans une cour pleine de meubles brisés, tomber le crépuscule et la neige…
Qui m’eût dit que demain, par un revirement imprévu de fortune, je dormirais sur les matelas dorés d’un grand lit impérial, au milieu de la Ville interdite, dans la féerie très étrange?…
VIII
Vendredi 19 octobre.
Je m’éveille transi de froid humide, par terre, dans mon logis de pauvre où l’eau ruisselle des murs et où le poêle fume.
Et je m’en vais d’abord m’acquitter d’une commission dont j’ai été chargé par l’amiral pour le commandant en chef de nos troupes de terre, le général Voyron, qui habite une maisonnette du voisinage…
Dans le partage de la mystérieuse «Ville jaune», qui a été fait entre les chefs des troupes alliées, un palais de l’Impératrice est échu à notre général. Il s’y installera pour l’hiver, non loin du palais que doit occuper l’un de nos alliés, le feld-maréchal de Waldersee, et il veut bien m’y offrir l’hospitalité. Lui-même repart aujourd’hui pour Tien-Tsin; donc, pendant une semaine ou deux que durera son voyage, j’habiterai là-bas seul avec son aide de camp, – un de mes anciens camarades, – qui sera chargé de faire accommoder pour les besoins du service militaire cette résidence de conte de fées.
Combien cela me changera de mes murs de plâtre et de mon poêle à charbon!
Toutefois mon exode vers la «Ville jaune» n’aura lieu que demain matin, car mon ami l’aide de camp m’exprime le très gentil désir d’arriver avant moi dans notre palais quelque peu saccagé, et de m’y préparer la place.
Alors, n’ayant plus rien à faire pour le service aujourd’hui, j’accepte l’offre de l’un des membres de la légation de France, d’aller visiter avec lui le temple du Ciel. La neige est d’ailleurs finie; l’âpre vent de Nord qui souffle toujours a chassé les nuages, et le soleil resplendit dans un ciel très pâlement bleu.
D’après le plan de Pékin, c’est à cinq à six kilomètres d’ici, ce temple du Ciel, le plus immense de tous les temples. Et cela se trouve, paraît-il, au centre d’un parc d’arbres séculaires, muni de doubles murs. Avant ces jours de désastre[1], le lieu était impénétrable; les empereurs seuls y venaient une fois l’an s’enfermer pendant une semaine pour un solennel sacrifice, longuement précédé de purifications et de rites préparatoires.
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