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parement bleu céleste. Blond, d'ailleurs, et les femmes prétendent que le bleu est le fard des blonds. Ma grand-mère ne s'étonnait donc pas que M. de Ferjol eût tourné la tête à Mlle d'Olonde ; et, de fait, il la lui avait tournée, et si bien, qu'un jour elle s'était fait enlever par lui, cette fille qu'on disait si fière ! Dans ce temps-là, il y avait encore des enlèvements dans le monde, avec la poésie de la chaise de poste et la dignité du danger et des coups de pistolet aux portières. À présent, les amoureux ne s'enlèvent plus. Ils s'en vont prosaïquement ensemble, dans un confortable wagon de chemin de fer, et ils reviennent, après « le petit badinage consommé », comme dit Beaumarchais, aussi bêtement qu'ils étaient partis, et quelquefois beaucoup plus… C'est ainsi que nos plates mœurs modernes ont supprimé les plus belles et les plus charmantes folies de l'amour ! Après l'éclat d'un enlèvement qui fit un épouvantable scandale dans la société réglée, morale, religieuse, même un peu janséniste, et qui n'a pas, du reste, beaucoup changé depuis ce temps-là, les tuteurs de Mlle d'Olonde, laquelle était orpheline, n'hésitèrent plus. Ils consentirent à son mariage avec le baron de Ferjol, qui l'emmena dans les Cévennes, son pays natal.
Malheureusement, le baron mourut jeune. Il laissa sa femme au fond de cet entonnoir de montagnes qu'il avait agrandi de sa présence et de son amour, et dont les parois, se resserrant autour d'elle, jetèrent sur son cœur en deuil comme un voile noir de plus. Elle resta pourtant courageusement dans cet abîme. Elle n'essaya point de remonter la pente escarpée de ces étouffantes montagnes pour retrouver un peu de ciel sur la tête, quand elle n'en avait plus dans le cœur.
Malheureuse, elle se tapit dans son gouffre, comme dans la douleur de son veuvage. Un moment, elle pensa, il est vrai, à retourner en Normandie, mais l'idée de son enlèvement et du mépris qu'elle y retrouverait peut-être, l'en empêcha. Elle ne voulut pas revenir se blesser aux vitres qu'elle avait cassées. Son âme altière avait horreur du mépris. Positive comme sa race, elle se préoccupait assez peu de la poésie des choses extérieures. Quand cette poésie lui manquait, elle n'en souffrait pas. Ce n'était point une âme rêveuse, inclinée aux nostalgies. C'était, au contraire, une âme robuste et raisonnable, quoique ardente…
Ardente ! Son mariage ne l'avait que trop prouvé.
Mais son ardeur était concentrée, et lorsque, après la mort de son mari, elle fut devenue pieuse, de cette piété que les confesseurs appellent « intérieure », elle tourna tout à coup au sévère. La triste bourgade où elle était internée lui paraissait aussi bonne pour y vivre que pour y mourir. Ombrée par les montagnes qui la surplombent, cette bourgade encadrait très bien sa personne. À portrait sombre, cadre sombre. La baronne de Ferjol, âgée : d'un peu plus de quarante ans, était une grande brune maigre dont la maigreur semblait éclairée en dessous d'un feu secret, brûlant comme sous la cendre, dans la moelle de ses os…
Belle, – les femmes disaient qu'elle l'avait été autrefois -, mais agréable, non ! – ajoutaient-elles avec le plaisir que leur causent, d'ordinaire, ces atténuations.
Sa beauté, qui n'avait été désagréable, du reste, aux autres femmes, que parce qu'elle avait été écrasante, elle l'avait enterrée avec l'homme qu'elle avait éperdument aimé ; et, lui disparu, cette coquette pour lui seul n'y pensa jamais plus ! Il avait été l'unique miroir dans lequel elle se fût admirée… Et quand elle eut perdu cet homme – pour elle, l'univers ! – elle reporta l'ardeur de ses sentiments sur sa fille. Seulement, comme par l'effet d'une pudeur farouche qu'ont parfois ces natures ardentes, elle n'avait pas toujours montré à son mari les sentiments par trop violents et par trop… turbulents qu'il lui inspirait, elle ne les montra pas davantage à cette enfant qu'elle aimait encore plus parce qu'elle était la fille de son mari que parce qu'elle était la sienne, à elle – plus épouse que mère jusque dans sa maternité ! Mme de Ferjol avait, sans l'affecter et même sans le savoir, avec sa fille comme avec le monde, une espèce de majesté rigide dont sa fille et le monde subissaient également l'empire. Quand on la regardait, on s'expliquait très bien cet ascendant sans sympathie. Pour qu'elle fût sympathique, il y avait en Mme de Ferjol quelque chose de trop impérieux, de trop despotique, de trop romain, jusque dans son buste de matrone, dans la fière arcure de son profil, et dans cette masse de cheveux noirs largement empâtés de blanc sur des tempes qu'ils rendaient plus austères et presque cruelles, et qui semblaient, ces impitoyables blancheurs, avoir eu des griffes pour s'accrocher et rester là obstinément sur ses résistantes épaisseurs d'ébène.
Tout cela était à faire crier les âmes communes, qui voudraient que tout fût commun comme elles, mais les peintres et les poètes auraient, eux, raffolé de cette hâve tête de veuve qui leur eût rappelé tout au moins la mère de Spartacus ou de Coriolan et, bêtise amère de la Destinée ! la femme de cette tête énergique et désolée qui faisait l'effet d'avoir été créée pour dompter les plus fiers rebelles et commander à des héros au nom de leurs pères, n'avait à conduire et à diriger dans la vie qu'une pauvre fille innocente.
Rien de plus innocent, en effet, et de plus fillette.
Lasthénie de Ferjol (Lasthénie ! un nom des romances de ce temps-là ; car tous nos noms viennent des romances chantées sur nos berceaux !), Lasthénie de Ferjol sortait à peine de l'enfance. Elle avait vécu, sans la quitter un seul jour, dans cette petite bourgade du Forez, comme une violette au pied de ces montagnes dont les flancs d'un vert glauque ruissellent de mille petits filets d'eaux plaintives. Elle était le muguet de cette ombre humide ; car le muguet aime l'ombre : il croît mieux dans les coins des murs de nos jardins où le soleil ne filtre jamais. Lasthénie de Ferjol avait la blancheur de cette fleur pudique de l'obscurité et elle en avait le mystère. C'était en tout l'opposé de sa mère, par le caractère et par la physionomie. En la voyant, on s'étonnait que cette faiblesse eût pu sortir de cette force. Elle ressemblait au verdissant feuillage qui attend le chêne auquel il doit s'enlacer…
Que de jeunes filles qui, dans la vie, rampent sur le sol comme des guirlandes tombées, et qui, plus tard, s'élancent et se tordent autour du tronc aimé et prennent alors leur vraie beauté de lianes ou de guirlandes, qui ont besoin de se suspendre à un arbre humain dont elles seront, un jour, la parure et l'orgueil !
Lasthénie de Ferjol avait une de ces figures que le monde trouve plus jolies que belles – mais il est vrai que le monde ne s'y connaît pas !… De taille ronde et mince, – combinaison qui fait les femmes accomplies, – c'était, de cheveux, une blonde comme son père, l'idéal baron qui mettait parfois de la poudre rose dans les siens, – une fantaisie efféminée de ce temps, et que, depuis, au commencement du siècle, se permettait encore l'abbé Delille, malgré sa laideur, qui était atroce. Lasthénie, elle, n'y avait d'autre poudre que la cendre naturelle du plumage de la tourterelle, à la fauve mélancolie. Les yeux de cette tête cendrée, encadrés dans la blancheur mate du muguet, qui ressemble à de la porcelaine, apparaissaient grands et brillants comme de fantastiques miroirs, et leur éclat verdâtre rappelait celui de certaines glaces à reflets étranges, dus peut-être à la profondeur de leur pureté.
Ces yeux de vert-gris pâle, qui est la nuance de la feuille du saule, l'ami des eaux ! se voilaient de longs cils d'or bruni, qui traînaient longuement sur ses belles joues pâles, et tout en elle était de la lenteur de ces cils. La langueur de sa démarche était de la langueur de ses paupières. Je n'ai connu dans toute ma vie qu'une seule personne de ce charme alangui, et jamais je ne l'oublierai… C'était une céleste boiteuse.
Lasthénie ne boitait pas, mais elle avait l'air de boiter.
Elle avait ce mouvement charmant des femmes qui boitent légèrement et qui impriment à leur robe, à magie ! de si adorables ondulations. Elle respirait, enfin, dans tout son être, cette faiblesse divine devant laquelle les hommes forts et généreux – et plus ils sont mâles ! -s'agenouilleront toujours.
Elle aimait sa mère, mais elle la craignait. Elle l'aimait comme certains dévots aiment Dieu, avec tremblement. Elle n'avait pas, elle ne pouvait avoir avec sa mère les abandons et la confiance que les mères qui débordent de tendresse inspirent à leurs enfants. L'abandon était pour elle impossible avec la sienne, avec cette femme imposante et morne, qui semblait vivre dans le silence du tombeau de son mari refermé sur elle. Ainsi refoulée, cette