La reine Margot. Alexandre Dumas
il y en a encore un autre dont je vous invite à ne pas dire de mal; c’est Henri de Navarre, sans compter Henri de Condé, qui a bien aussi son mérite.
– Ceux-là, je ne les connais pas, répondit l’hôte.
– Oui, mais moi je les connais, dit La Mole, et comme je suis adressé au roi Henri de Navarre, je vous invite à n’en pas médire devant moi.
L’hôte, sans répondre à M. de La Mole, se contenta de toucher légèrement à son bonnet, et continuant de faire les doux yeux à Coconnas:
– Ainsi, monsieur va parler au grand duc de Guise? Monsieur est un gentilhomme bien heureux; et sans doute qu’il vient pour…?
– Pour quoi? demanda Coconnas.
– Pour la fête, répondit l’hôte avec un singulier sourire.
– Vous devriez dire pour les fêtes, car Paris en regorge, de fêtes, à ce que j’ai entendu dire; du moins on ne parle que de bals, de festins, de carrousels. Ne s’amuse-t-on pas beaucoup à Paris, hein?
– Mais modérément, monsieur, jusqu’à présent du moins, répondit l’hôte; mais on va s’amuser, je l’espère.
– Les noces de Sa Majesté le roi de Navarre attirent cependant beaucoup de monde en cette ville, dit La Mole.
– Beaucoup de huguenots, oui, monsieur, répondit brusquement La Hurière; puis se reprenant: Ah! pardon, dit-il; ces messieurs sont peut-être de la religion?
– Moi, de la religion! s’écria Coconnas; allons donc! je suis catholique comme notre saint-père le pape.
La Hurière se retourna vers La Mole comme pour l’interroger; mais ou La Mole ne comprit pas son regard, ou il ne jugea point à propos d’y répondre autrement que par une autre question.
– Si vous ne connaissez point Sa Majesté le roi de Navarre, maître La Hurière, dit-il, peut-être connaissez-vous M. l’amiral? J’ai entendu dire que M. l’amiral jouissait de quelque faveur à la cour; et comme je lui étais recommandé, je désirerais, si son adresse ne vous écorche pas la bouche, savoir où il loge.
– Il logeait rue de Béthisy, monsieur, ici à droite, répondit l’hôte avec une satisfaction intérieure qui ne put s’empêcher de devenir extérieure.
– Comment, il logeait? demanda La Mole; est-il donc déménagé?
– Oui, de ce monde peut-être.
– Qu’est-ce à dire? s’écrièrent ensemble les deux gentilshommes, l’amiral déménagé de ce monde!
– Quoi! monsieur de Coconnas, poursuivit l’hôte avec un malin sourire, vous êtes de ceux de Guise, et vous ignorez cela?
– Quoi cela?
– Qu’avant-hier, en passant sur la place Saint-Germain-l’Auxerrois, devant la maison du chanoine Pierre Piles, l’amiral a reçu un coup d’arquebuse.
– Et il est tué? s’écria La Mole.
– Non, le coup lui a seulement cassé le bras et coupé deux doigts; mais on espère que les balles étaient empoisonnées.
– Comment, misérable! s’écria La Mole, on espère! …
– Je veux dire qu’on croit, reprit l’hôte; ne nous fâchons pas pour un mot: la langue m’a fourché.
Et maître La Hurière, tournant le dos à La Mole, tira la langue à Coconnas de la façon la plus goguenarde, accompagnant ce geste d’un coup d’œil d’intelligence.
– En vérité! dit Coconnas rayonnant.
– En vérité! murmura La Mole avec une stupéfaction douloureuse.
– C’est comme j’ai l’honneur de vous le dire, messieurs, répondit l’hôte.
– En ce cas, dit La Mole, je vais au Louvre sans perdre un moment. Y trouverai-je le roi Henri?
– C’est possible, puisqu’il y loge.
– Et moi aussi je vais au Louvre, dit Coconnas. Y trouverai-je le duc de Guise?
– C’est probable, car je viens de le voir passer il n’y a qu’un instant, avec deux cents gentilshommes.
– Alors, venez, monsieur de Coconnas, dit La Mole.
– Je vous suis, monsieur, dit Coconnas.
– Mais votre souper, mes gentilshommes? demanda maître La Hurière.
– Ah! dit La Mole, je souperai peut-être chez le roi de Navarre.
– Et moi chez le duc de Guise, dit Coconnas.
– Et moi, dit l’hôte, après avoir suivi des yeux les deux gentilshommes qui prenaient le chemin du Louvre, moi, je vais fourbir ma salade, émécher mon arquebuse et affiler ma pertuisane. On ne sait pas ce qui peut arriver.
V. Du Louvre en particulier et de la vertu en général
Les deux gentilshommes, renseignés par la première personne qu’ils rencontrèrent, prirent la rue d’Averon, la rue Saint-Germain-l’Auxerrois, et se trouvèrent bientôt devant le Louvre, dont les tours commençaient à se confondre dans les premières ombres du soir.
– Qu’avez-vous donc? demanda Coconnas à La Mole, qui, arrêté à la vue du vieux château, regardait avec un saint respect ces ponts-levis, ces fenêtres étroites et ces clochetons aigus qui se présentaient tout à coup à ses yeux.
– Ma foi, je n’en sais rien, dit La Mole, le cœur me bat. Je ne suis cependant pas timide outre mesure; mais je ne sais pourquoi ce palais me paraît sombre, et, dirai-je? terrible!
– Eh bien, moi, dit Coconnas, je ne sais ce qui m’arrive, mais je suis d’une allégresse rare. La tenue est pourtant quelque peu négligée, continua-t-il en parcourant des yeux son costume de voyage. Mais, bah! on a l’air cavalier. Puis, mes ordres me recommandaient la promptitude. Je serai donc le bienvenu, puisque j’aurai ponctuellement obéi.
Et les deux jeunes gens continuèrent leur chemin agités chacun des sentiments qu’ils avaient exprimés.
Il y avait bonne garde au Louvre; tous les postes semblaient doublés. Nos deux voyageurs furent donc d’abord assez embarrassés. Mais Coconnas, qui avait remarqué que le nom du duc de Guise était une espèce de talisman près des Parisiens, s’approcha d’une sentinelle, et, se réclamant de ce nom tout-puissant, demanda si, grâce à lui, il ne pourrait point pénétrer dans le Louvre.
Ce nom paraissait faire sur le soldat son effet ordinaire; cependant, il demanda à Coconnas s’il n’avait point le mot d’ordre.
Coconnas fut forcé d’avouer qu’il ne l’avait point.
– Alors, au large, mon gentilhomme, dit le soldat. À ce moment, un homme qui causait avec l’officier du poste, et qui, tout en causant, avait entendu Coconnas réclamer son admission au Louvre, interrompit son entretien, et, venant à lui:
– Goi fouloir, fous, à monsir di Gouise? dit-il.
– Moi, vouloir lui parler, répondit Coconnas en souriant.
– Imbossible! le dugue il être chez le roi.
– Cependant j’ai une lettre d’avis pour me rendre à Paris.
– Ah! fous afre eine lettre d’afis?
– Oui, et j’arrive de fort loin.
– Ah! fous arrife de fort loin?
– J’arrive du Piémont.
– Pien! pien! C’est autre chose. Et fous fous abbelez…?
– Le comte Annibal de Coconnas.
– Pon! pon! Tonnez la lettre, monsir Annipal, tonnez.
– Voici, sur ma parole, un bien galant homme, dit La Mole se parlant