La reine Margot. Alexandre Dumas
espèce de chant cadencé les vers suivants:
Ronsard, je connais bien que si tu ne me vois
Tu oublies soudain de ton grand roi la voix,
Mais, pour ton souvenir, pense que je n’oublie
Continuer toujours d’apprendre en poésie,
Et pour ce j’ai voulu t’envoyer cet écrit,
Pour enthousiasmer ton fantastique esprit.
Donc ne t’amuse plus aux soins de ton ménage,
Maintenant n’est plus temps de faire jardinage;
Il faut suivre ton roi, qui t’aime par sus tous,
Pour les vers qui de toi coulent braves et doux,
Et crois, si tu ne viens me trouver à Amboise,
Qu’entre nous adviendra une bien grande noise.
— Bravo! Sire, bravo! dit Coligny; je me connais mieux en choses de guerre qu’en choses de poésie, mais il me semble que ces vers valent les plus beaux que fassent Ronsard, Dorat et même Michel de l’Hospital, chancelier de France.
– Ah! mon père! s’écria Charles IX, que ne dis-tu vrai! car le titre de poète, vois-tu, est celui que j’ambitionne avant toutes choses; et, comme je le disais il y a quelques jours à mon maître en poésie:
L’art de faire des vers, dût-on s’en indigner,
Doit être à plus haut prix que celui de régner;
Tous deux également nous portons des couronnes:
Mais roi, je les reçus, poète, tu les donnes;
Ton esprit, enflammé d’une céleste ardeur,
Éclate par soi-même et moi par ma grandeur.
Si du côté des dieux je cherche l’avantage,
Ronsard est leur mignon et je suis leur image.
Ta lyre, qui ravit par de si doux accords,
Te soumet les esprits dont je n’ai que les corps;
Elle t’en rend le maître et te fait introduire
Où le plus fier tyran n’a jamais eu d’empire.
— Sire, dit Coligny, je savais bien que Votre Majesté s’entretenait avec les Muses, mais j’ignorais qu’elle en eût fait son principal conseil.
– Après toi, mon père, après toi; et c’est pour ne pas me troubler dans mes relations avec elles que je veux te mettre à la tête de toutes choses. Écoute donc: il faut en ce moment que je réponde à un nouveau madrigal que mon grand et cher poète m’a envoyé… je ne puis donc te donner à cette heure tous les papiers qui sont nécessaires pour te mettre au courant de la grande question qui nous divise, Philippe II et moi. Il y a, en outre, une espèce de plan de campagne qui avait été fait par mes ministres. Je te chercherai tout cela et je te le remettrai demain matin.
– À quelle heure, Sire?
– À dix heures; et si par hasard j’étais occupé de vers, si j’étais enfermé dans mon cabinet de travail… eh bien, tu entrerais tout de même, et tu prendrais tous les papiers que tu trouverais sur cette table, enfermés dans ce portefeuille rouge; la couleur est éclatante, et tu ne t’y tromperas pas; moi, je vais écrire à Ronsard.
– Adieu, Sire.
– Adieu, mon père.
– Votre main?
– Que dis-tu, ma main? dans mes bras, sur mon cœur, c’est là ta place. Viens, mon vieux guerrier, viens. Et Charles IX, attirant à lui Coligny qui s’inclinait, posa ses lèvres sur ses cheveux blancs. L’amiral sortit en essuyant une larme.
Charles IX le suivit des yeux tant qu’il put le voir, tendit l’oreille tant qu’il put l’entendre; puis, lorsqu’il ne vit et n’entendit plus rien, il laissa, comme c’était son habitude, retomber sa tête pâle sur son épaule, et passa lentement de la chambre où il se trouvait dans son cabinet d’armes.
Ce cabinet était la demeure favorite du roi; c’était là qu’il prenait ses leçons d’escrime avec Pompée, et ses leçons de poésie avec Ronsard. Il y avait réuni une grande collection d’armes offensives et défensives des plus belles qu’il avait pu trouver. Aussi toutes les murailles étaient tapissées de haches, de boucliers, de piques, de hallebardes, de pistolets et de mousquetons, et le jour même un célèbre armurier lui avait apporté une magnifique arquebuse sur le canon de laquelle étaient incrustés en argent ces quatre vers que le poète royal avait composés lui-même:
Pour maintenir la foy,
Je suis belle et fidèle;
Aux ennemis du roy
Je suis belle et cruelle.
Charles IX entra donc, comme nous l’avons dit, dans ce cabinet, et, après avoir fermé la porte principale par laquelle il était entré, il alla soulever une tapisserie qui masquait un passage donnant sur une chambre où une femme agenouillée devant un prie-Dieu disait ses prières.
Comme ce mouvement s’était fait avec lenteur et que les pas du roi, assourdis par le tapis, n’avaient pas eu plus de retentissement que ceux d’un fantôme, la femme agenouillée, n’ayant rien entendu, ne se retourna point et continua de prier, Charles demeura un instant debout, pensif et la regardant.
C’était une femme de trente-quatre à trente-cinq ans, dont la beauté vigoureuse était relevée par le costume des paysannes des environs de Caux. Elle portait le haut bonnet qui avait été si fort à la mode à la Cour de France pendant le règne d’Isabeau de Bavière, et son corsage rouge était tout brodé d’or, comme le sont aujourd’hui les corsages des contadines de Nettuno et de Sora. L’appartement qu’elle occupait depuis tantôt vingt ans était contigu à la chambre à coucher du roi, et offrait un singulier mélange d’élégance et de rusticité. C’est qu’en proportion à peu près égale, le palais avait déteint sur la chaumière, et la chaumière sur le palais. De sorte que cette chambre tenait un milieu entre la simplicité de la villageoise et le luxe de la grande dame. En effet, le prie-Dieu sur lequel elle était agenouillée était de bois de chêne merveilleusement sculpté, recouvert de velours à crépines d’or; tandis que la bible, car cette femme était de la religion réformée, tandis que la bible dans laquelle elle lisait ses prières était un de ces vieux livres à moitié déchirés, comme on en trouve dans les plus pauvres maisons.
Or, tout était à l’avenant de ce prie-Dieu et de cette bible.
– Eh! Madelon! dit le roi.
La femme agenouillée releva la tête en souriant, à cette voix familière; puis, se levant:
– Ah! c’est toi, mon fils! dit-elle.
– Oui, nourrice, viens ici.
Charles IX laissa retomber la portière et alla s’asseoir sur le bras du fauteuil. La nourrice parut.
– Que me veux-tu, Charlot? dit-elle.
– Viens ici et réponds tout bas. La nourrice s’approcha avec cette familiarité qui pouvait venir de cette tendresse maternelle que la femme conçoit pour l’enfant qu’elle a allaité, mais à laquelle les pamphlets du temps donnent une source infiniment moins pure.
– Me voilà, dit-elle, parle.
– L’homme que j’ai fait demander est-il là?
– Depuis une demi-heure.
Charles se leva, s’approcha de la fenêtre, regarda si personne n’était aux aguets, s’approcha de la porte, tendit l’oreille pour s’assurer que personne n’était aux écoutes, secoua la poussière de ses trophées d’armes, caressa un grand lévrier qui le suivait pas à pas, s’arrêtant quand son maître s’arrêtait, reprenant sa marche quand son maître se remettait en mouvement; puis, revenant à sa nourrice:
– C’est