La reine Margot. Alexandre Dumas
voulez-vous dire, monsieur?
– Je veux dire que si vous étiez capable de me trahir, vous m’eussiez laissé continuer puisque je me trahissais tout seul. Vous m’avez arrêté. Je sais maintenant que quelqu’un est caché ici; que vous êtes une épouse infidèle, mais une fidèle alliée, et dans ce moment-ci, ajouta le Béarnais en souriant, j’ai plus besoin, je l’avoue, de fidélité en politique qu’en amour…
– Sire…, murmura Marguerite confuse.
– Bon, bon, nous parlerons de tout cela plus tard, dit Henri, quand nous nous connaîtrons mieux. Puis, haussant la voix:
– Eh bien, continua-t-il, respirez-vous plus librement à cette heure, madame?
– Oui, Sire, oui, murmura Marguerite.
– En ce cas reprit le Béarnais, je ne veux pas vous importuner plus longtemps. Je vous devais mes respects et quelques avances de bonne amitié; veuillez les accepter comme je vous les offre, de tout mon cœur. Reposez-vous donc et bonne nuit.
Marguerite leva sur son mari un œil brillant de reconnaissance et à son tour lui tendit la main.
– C’est convenu, dit-elle.
– Alliance politique, franche et loyale? demanda Henri.
– Franche et loyale, répondit la reine. Alors le Béarnais marcha vers la porte, attirant du regard Marguerite comme fascinée. Puis, lorsque la portière fut retombée entre eux et la chambre à coucher:
– Merci, Marguerite, dit vivement Henri à voix basse, merci! Vous êtes une vraie fille de France. Je pars tranquille. À défaut de votre amour, votre amitié ne me fera pas défaut. Je compte sur vous, comme de votre côté vous pouvez compter sur moi. Adieu, madame.
Et Henri baisa la main de sa femme en la pressant doucement; puis, d’un pas agile, il retourna chez lui en se disant tout bas dans le corridor:
– Qui diable est chez elle? Est-ce le roi, est-ce le duc d’Anjou, est-ce le duc d’Alençon, est-ce le duc de Guise, est-ce un frère, est-ce un amant, est-ce l’un et l’autre? En vérité, je suis presque fâché d’avoir demandé maintenant ce rendez-vous à la baronne; mais puisque je lui ai engagé ma parole et que Dariole m’attend… n’importe; elle perdra un peu, j’en ai peur, à ce que j’ai passé par la chambre à coucher de ma femme pour aller chez elle, car, ventre-saint-gris! cette Margot, comme l’appelle mon beau-frère Charles IX, est une adorable créature.
Et d’un pas dans lequel se trahissait une légère hésitation Henri de Navarre monta l’escalier qui conduisait à l’appartement de madame de Sauve.
Marguerite l’avait suivi des yeux jusqu’à ce qu’il eût disparu, et alors elle était rentrée dans sa chambre. Elle trouva le duc à la porte du cabinet: cette vue lui inspira presque un remords.
De son côté le duc était grave, et son sourcil froncé dénonçait une amère préoccupation.
– Marguerite est neutre aujourd’hui, dit-il, Marguerite sera hostile dans huit jours.
– Ah! vous avez écouté? dit Marguerite.
– Que vouliez-vous que je fisse dans ce cabinet?
– Et vous trouvez que je me suis conduite autrement que devait se conduire la reine de Navarre?
– Non, mais autrement que devait se conduire la maîtresse du duc de Guise.
– Monsieur, répondit la reine, je puis ne pas aimer mon mari, mais personne n’a le droit d’exiger de moi que je le trahisse. De bonne foi, trahiriez-vous le secret de la princesse de Porcian, votre femme?
– Allons, allons, madame, dit le duc en secouant la tête, c’est bien. Je vois que vous ne m’aimez plus comme aux jours où vous me racontiez ce que tramait le roi contre moi et les miens.
– Le roi était le fort et vous étiez les faibles. Henri est le faible et vous êtes les forts. Je joue toujours le même rôle, vous le voyez bien.
– Seulement vous passez d’un camp à l’autre.
– C’est un droit que j’ai acquis, monsieur, en vous sauvant la vie.
– Bien, madame; et comme quand on se sépare on se rend entre amants tout ce qu’on s’est donné, je vous sauverai la vie à mon tour, si l’occasion s’en présente, et nous serons quittes.
Et sur ce le duc s’inclina et sortit sans que Marguerite fît un geste pour le retenir. Dans l’antichambre il trouva Gillonne, qui le conduisit jusqu’à la fenêtre du rez-de-chaussée, et dans les fossés son page avec lequel il retourna à l’hôtel de Guise.
Pendant ce temps, Marguerite, rêveuse, alla se placer à sa fenêtre.
– Quelle nuit de noces! murmura-t-elle; l’époux me fuit et l’amant me quitte!
En ce moment passa de l’autre côté du fossé, venant de la Tour du Bois, et remontant vers le moulin de la Monnaie, un écolier le poing sur la hanche et chantant:
Pourquoi doncques, quand je veux
Ou mordre tes beaux cheveux,
Ou baiser ta bouche aimée,
Ou toucher à ton beau sein,
Contrefais-tu la nonnain
Dedans un cloître enfermée?
Pour qui gardes-tu tes yeux
Et ton sein délicieux,
Ton front, ta lèvre jumelle?
En veux-tu baiser Pluton,
Là-bas, après que Caron
T’aura mise en sa nacelle?
Après ton dernier trépas,
Belle, tu n’auras là-bas
Qu’une bouchette blêmie;
Et quand, mort, je te verrai,
Aux ombres je n’avouerai
Que jadis tu fus ma mie.
Doncques, tandis que tu vis,
Change, maîtresse, d’avis,
Et ne m’épargne ta bouche;
Car au jour où tu mourras,
Lors tu te repentiras
De m’avoir été farouche.
Marguerite écouta cette chanson en souriant avec mélancolie; puis, lorsque la voix de l’écolier se fut perdue dans le lointain, elle referma la fenêtre et appela Gillonne pour l’aider à se mettre au lit.
III. Un roi poète
Le lendemain et les jours qui suivirent se passèrent en fêtes, ballets et tournois.
La même fusion continuait de s’opérer entre les deux partis. C’étaient des caresses et des attendrissements à faire perdre la tête aux plus enragés huguenots. On avait vu le père Cotton dîner et faire débauche avec le baron de Courtaumer, le duc de Guise remonter la Seine en bateau de symphonie avec le prince de Condé.
Le roi Charles paraissait avoir fait divorce avec sa mélancolie habituelle, et ne pouvait plus se passer de son beau-frère Henri. Enfin la reine mère était si joyeuse et si occupée de broderies, de joyaux et de panaches, qu’elle en perdait le sommeil.
Les huguenots, quelque peu amollis par cette Capoue nouvelle, commençaient à revêtir les pourpoints de soie, à arborer les devises et à parader devant certains balcons comme s’ils eussent été catholiques. De tous côtés c’était une réaction en faveur de la religion réformée, à croire que toute la cour allait se faire protestante. L’amiral lui-même, malgré son expérience, s’y était laissé prendre comme les autres, et il en avait la tête tellement montée, qu’un soir il avait oublié, pendant deux heures, de mâcher son cure-dent, occupation à laquelle il se livrait d’ordinaire depuis deux heures de l’après-midi, moment où son dîner finissait,