Les trois mousquetaires. Alexandre Dumas

Les trois mousquetaires - Alexandre  Dumas


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il salua pour se retirer, comme si désormais le reste le regardait.

      «Mais attendez donc, dit M. de Tréville en l’arrêtant, je vous ai promis une lettre pour le directeur de l’académie. Êtes-vous trop fier pour l’accepter, mon jeune gentilhomme ?

      – Non, monsieur, dit d’Artagnan ; je vous réponds qu’il n’en sera pas de celle-ci comme de l’autre. Je la garderai si bien qu’elle arrivera, je vous le jure, à son adresse, et malheur à celui qui tenterait de me l’enlever !»

      M. de Tréville sourit à cette fanfaronnade, et, laissant son jeune compatriote dans l’embrasure de la fenêtre où ils se trouvaient et où ils avaient causé ensemble, il alla s’asseoir à une table et se mit à écrire la lettre de recommandation promise. Pendant ce temps, d’Artagnan, qui n’avait rien de mieux à faire, se mit à battre une marche contre les carreaux, regardant les mousquetaires qui s’en allaient les uns après les autres, et les suivant du regard jusqu’à ce qu’ils eussent disparu au tournant de la rue.

      M. de Tréville, après avoir écrit la lettre, la cacheta et, se levant, s’approcha du jeune homme pour la lui donner ; mais au moment même où d’Artagnan étendait la main pour la recevoir, M. de Tréville fut bien étonné de voir son protégé faire un soubresaut, rougir de colère et s’élancer hors du cabinet en criant :

      «Ah ! sangdieu ! il ne m’échappera pas, cette fois.

      – Et qui cela ? demanda M. de Tréville.

      – Lui, mon voleur ! répondit d’Artagnan. Ah ! traître !»

      Et il disparut.

      «Diable de fou ! murmura M. de Tréville. À moins toutefois, ajouta-t-il, que ce ne soit une manière adroite de s’esquiver, en voyant qu’il a manqué son coup.»

      CHAPITRE IV. L’ÉPAULE D’ATHOS, LE BAUDRIER DE PORTHOS ET LE MOUCHOIR D’ARAMIS

      D’Artagnan, furieux, avait traversé l’antichambre en trois bonds et s’élançait sur l’escalier, dont il comptait descendre les degrés quatre à quatre, lorsque, emporté par sa course, il alla donner tête baissée dans un mousquetaire qui sortait de chez M. de Tréville par une porte de dégagement, et, le heurtant du front à l’épaule, lui fit pousser un cri ou plutôt un hurlement.

      «Excusez-moi, dit d’Artagnan, essayant de reprendre sa course, excusez-moi, mais je suis pressé.»

      À peine avait-il descendu le premier escalier, qu’un poignet de fer le saisit par son écharpe et l’arrêta.

      «Vous êtes pressé ! s’écria le mousquetaire, pâle comme un linceul ; sous ce prétexte, vous me heurtez, vous dites : “Excusez-moi”, et vous croyez que cela suffit ? Pas tout à fait, mon jeune homme. Croyez-vous, parce que vous avez entendu M. de Tréville nous parler un peu cavalièrement aujourd’hui, que l’on peut nous traiter comme il nous parle ? Détrompez-vous, compagnon, vous n’êtes pas M. de Tréville, vous.

      – Ma foi, répliqua d’Artagnan, qui reconnut Athos, lequel, après le pansement opéré par le docteur, regagnait son appartement, ma foi, je ne l’ai pas fait exprès, j’ai dit : “Excusez-moi.” Il me semble donc que c’est assez. Je vous répète cependant, et cette fois c’est trop peut-être, parole d’honneur ! je suis pressé, très pressé. Lâchez-moi donc, je vous prie, et laissez-moi aller où j’ai affaire.

      – Monsieur, dit Athos en le lâchant, vous n’êtes pas poli. On voit que vous venez de loin.»

      D’Artagnan avait déjà enjambé trois ou quatre degrés, mais à la remarque d’Athos il s’arrêta court.

      «Morbleu, monsieur ! dit-il, de si loin que je vienne, ce n’est pas vous qui me donnerez une leçon de belles manières, je vous préviens.

      – Peut-être, dit Athos.

      – Ah ! si je n’étais pas si pressé, s’écria d’Artagnan, et si je ne courais pas après quelqu’un…

      – Monsieur l’homme pressé, vous me trouverez sans courir, moi, entendez-vous ?

      – Et où cela, s’il vous plaît ?

      – Près des Carmes-Deschaux.

      – À quelle heure ?

      – Vers midi.

      – Vers midi, c’est bien, j’y serai.

      – Tâchez de ne pas me faire attendre, car à midi un quart je vous préviens que c’est moi qui courrai après vous et vous couperai les oreilles à la course.

      – Bon ! lui cria d’Artagnan ; on y sera à midi moins dix minutes.»

      Et il se mit à courir comme si le diable l’emportait, espérant retrouver encore son inconnu, que son pas tranquille ne devait pas avoir conduit bien loin.

      Mais, à la porte de la rue, causait Porthos avec un soldat aux gardes. Entre les deux causeurs, il y avait juste l’espace d’un homme. D’Artagnan crut que cet espace lui suffirait, et il s’élança pour passer comme une flèche entre eux deux. Mais d’Artagnan avait compté sans le vent. Comme il allait passer, le vent s’engouffra dans le long manteau de Porthos, et d’Artagnan vint donner droit dans le manteau. Sans doute, Porthos avait des raisons de ne pas abandonner cette partie essentielle de son vêtement car, au lieu de laisser aller le pan qu’il tenait, il tira à lui, de sorte que d’Artagnan s’enroula dans le velours par un mouvement de rotation qu’explique la résistance de l’obstiné Porthos.

      D’Artagnan, entendant jurer le mousquetaire, voulut sortir de dessous le manteau qui l’aveuglait, et chercha son chemin dans le pli. Il redoutait surtout d’avoir porté atteinte à la fraîcheur du magnifique baudrier que nous connaissons ; mais, en ouvrant timidement les yeux, il se trouva le nez collé entre les deux épaules de Porthos c’est-à-dire précisément sur le baudrier.

      Hélas ! comme la plupart des choses de ce monde qui n’ont pour elles que l’apparence, le baudrier était d’or par-devant et de simple buffle par-derrière. Porthos, en vrai glorieux qu’il était, ne pouvant avoir un baudrier d’or tout entier, en avait au moins la moitié : on comprenait dès lors la nécessité du rhume et l’urgence du manteau.

      «Vertubleu ! cria Porthos faisant tous ses efforts pour se débarrasser de d’Artagnan qui lui grouillait dans le dos, vous êtes donc enragé de vous jeter comme cela sur les gens !

      – Excusez-moi, dit d’Artagnan reparaissant sous l’épaule du géant, mais je suis très pressé, je cours après quelqu’un, et…

      – Est-ce que vous oubliez vos yeux quand vous courez, par hasard ? demanda Porthos.

      – Non, répondit d’Artagnan piqué, non, et grâce à mes yeux je vois même ce que ne voient pas les autres.»

      Porthos comprit ou ne comprit pas, toujours est-il que, se laissant aller à sa colère :

      «Monsieur, dit-il, vous vous ferez étriller, je vous en préviens, si vous vous frottez ainsi aux mousquetaires.

      – Étriller, monsieur ! dit d’Artagnan, le mot est dur.

      – C’est celui qui convient à un homme habitué à regarder en face ses ennemis.

      – Ah ! pardieu ! je sais bien que vous ne tournez pas le dos aux vôtres, vous.»

      Et le jeune homme, enchanté de son espièglerie, s’éloigna en riant à gorge déployée.

      Porthos écuma de rage et fit un mouvement pour se précipiter sur d’Artagnan.

      «Plus tard, plus tard, lui cria celui-ci, quand vous n’aurez plus votre manteau.

      – À une heure donc, derrière le Luxembourg.

      – Très bien, à une heure», répondit d’Artagnan en tournant l’angle de la rue.

      Mais ni dans la rue qu’il venait de parcourir, ni dans celle qu’il embrassait maintenant du regard, il ne vit personne. Si doucement qu’eût marché l’inconnu,


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