Les trois mousquetaires. Alexandre Dumas

Les trois mousquetaires - Alexandre  Dumas


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étaient nombreux et néfastes : il était onze heures du matin à peine, et déjà la matinée lui avait apporté la disgrâce de M. de Tréville, qui ne pouvait manquer de trouver un peu cavalière la façon dont d’Artagnan l’avait quitté.

      En outre, il avait ramassé deux bons duels avec deux hommes capables de tuer chacun trois d’Artagnan, avec deux mousquetaires enfin, c’est-à-dire avec deux de ces êtres qu’il estimait si fort qu’il les mettait, dans sa pensée et dans son coeur, au-dessus de tous les autres hommes.

      La conjecture était triste. Sûr d’être tué par Athos, on comprend que le jeune homme ne s’inquiétait pas beaucoup de Porthos. Pourtant, comme l’espérance est la dernière chose qui s’éteint dans le coeur de l’homme, il en arriva à espérer qu’il pourrait survivre, avec des blessures terribles, bien entendu, à ces deux duels, et, en cas de survivance, il se fit pour l’avenir les réprimandes suivantes :

      «Quel écervelé je fais, et quel butor je suis ! Ce brave et malheureux Athos était blessé juste à l’épaule contre laquelle je m’en vais, moi, donner de la tête comme un bélier. La seule chose qui m’étonne, c’est qu’il ne m’ait pas tué roide ; il en avait le droit, et la douleur que je lui ai causée a dû être atroce. Quant à Porthos ! Oh ! quant à Porthos, ma foi, c’est plus drôle.»

      Et malgré lui le jeune homme se mit à rire, tout en regardant néanmoins si ce rire isolé, et sans cause aux yeux de ceux qui le voyaient rire, n’allait pas blesser quelque passant.

      «Quant à Porthos, c’est plus drôle ; mais je n’en suis pas moins un misérable étourdi. Se jette-t-on ainsi sur les gens sans dire gare ! non ! et va-t-on leur regarder sous le manteau pour y voir ce qui n’y est pas ! Il m’eût pardonné bien certainement ; il m’eût pardonné si je n’eusse pas été lui parler de ce maudit baudrier, à mots couverts, c’est vrai ; oui, couverts joliment ! Ah ! maudit Gascon que je suis, je ferais de l’esprit dans la poêle à frire. Allons, d’Artagnan mon ami, continua-t-il, se parlant à lui-même avec toute l’aménité qu’il croyait se devoir, si tu en réchappes, ce qui n’est pas probable, il s’agit d’être à l’avenir d’une politesse parfaite. Désormais il faut qu’on t’admire, qu’on te cite comme modèle. Être prévenant et poli, ce n’est pas être lâche. Regardez plutôt Aramis : Aramis, c’est la douceur, c’est la grâce en personne. Eh bien, personne s’est-il jamais avisé de dire qu’Aramis était un lâche ? Non, bien certainement, et désormais je veux en tout point me modeler sur lui. Ah ! justement le voici.»

      D’Artagnan, tout en marchant et en monologuant, était arrivé à quelques pas de l’hôtel d’Aiguillon, et devant cet hôtel il avait aperçu Aramis causant gaiement avec trois gentilshommes des gardes du roi. De son côté, Aramis aperçut d’Artagnan ; mais comme il n’oubliait point que c’était devant ce jeune homme que M. de Tréville s’était si fort emporté le matin, et qu’un témoin des reproches que les mousquetaires avaient reçus ne lui était d’aucune façon agréable, il fit semblant de ne pas le voir. D’Artagnan, tout entier au contraire à ses plans de conciliation et de courtoisie, s’approcha des quatre jeunes gens en leur faisant un grand salut accompagné du plus gracieux sourire. Aramis inclina légèrement la tête, mais ne sourit point. Tous quatre, au reste, interrompirent à l’instant même leur conversation.

      D’Artagnan n’était pas assez niais pour ne point s’apercevoir qu’il était de trop ; mais il n’était pas encore assez rompu aux façons du beau monde pour se tirer galamment d’une situation fausse comme l’est, en général, celle d’un homme qui est venu se mêler à des gens qu’il connaît à peine et à une conversation qui ne le regarde pas. Il cherchait donc en lui-même un moyen de faire sa retraite le moins gauchement possible, lorsqu’il remarqua qu’Aramis avait laissé tomber son mouchoir et, par mégarde sans doute, avait mis le pied dessus ; le moment lui parut arrivé de réparer son inconvenance : il se baissa, et de l’air le plus gracieux qu’il pût trouver, il tira le mouchoir de dessous le pied du mousquetaire, quelques efforts que celui-ci fît pour le retenir, et lui dit en le lui remettant :

      «Je crois, monsieur que voici un mouchoir que vous seriez fâché de perdre.»

      Le mouchoir était en effet richement brodé et portait une couronne et des armes à l’un de ses coins. Aramis rougit excessivement et arracha plutôt qu’il ne prit le mouchoir des mains du Gascon.

      «Ah ! Ah ! s’écria un des gardes, diras-tu encore, discret Aramis, que tu es mal avec Mme de Bois-Tracy, quand cette gracieuse dame a l’obligeance de te prêter ses mouchoirs ?»

      Aramis lança à d’Artagnan un de ces regards qui font comprendre à un homme qu’il vient de s’acquérir un ennemi mortel ; puis, reprenant son air doucereux :

      «Vous vous trompez, messieurs, dit-il, ce mouchoir n’est pas à moi, et je ne sais pourquoi monsieur a eu la fantaisie de me le remettre plutôt qu’à l’un de vous, et la preuve de ce que je dis, c’est que voici le mien dans ma poche.»

      À ces mots, il tira son propre mouchoir, mouchoir fort élégant aussi, et de fine batiste, quoique la batiste fût chère à cette époque, mais mouchoir sans broderie, sans armes et orné d’un seul chiffre, celui de son propriétaire.

      Cette fois, d’Artagnan ne souffla pas mot, il avait reconnu sa bévue ; mais les amis d’Aramis ne se laissèrent pas convaincre par ses dénégations, et l’un d’eux, s’adressant au jeune mousquetaire avec un sérieux affecté :

      «Si cela était, dit-il, ainsi que tu le prétends, je serais forcé, mon cher Aramis, de te le redemander ; car, comme tu le sais, Bois-Tracy est de mes intimes, et je ne veux pas qu’on fasse trophée des effets de sa femme.

      – Tu demandes cela mal, répondit Aramis, et tout en reconnaissant la justesse de ta réclamation quant au fond, je refuserais à cause de la forme.

      – Le fait est, hasarda timidement d’Artagnan, que je n’ai pas vu sortir le mouchoir de la poche de M. Aramis. Il avait le pied dessus, voilà tout, et j’ai pensé que, puisqu’il avait le pied dessus, le mouchoir était à lui.

      – Et vous vous êtes trompé, mon cher monsieur», répondit froidement Aramis, peu sensible à la réparation.

      Puis, se retournant vers celui des gardes qui s’était déclaré l’ami de Bois-Tracy :

      «D’ailleurs, continua-t-il, je réfléchis, mon cher intime de Bois-Tracy, que je suis son ami non moins tendre que tu peux l’être toi-même ; de sorte qu’à la rigueur ce mouchoir peut aussi bien être sorti de ta poche que de la mienne.

      – Non, sur mon honneur ! s’écria le garde de Sa Majesté.

      – Tu vas jurer sur ton honneur et moi sur ma parole et alors il y aura évidemment un de nous deux qui mentira. Tiens, faisons mieux, Montaran, prenons-en chacun la moitié.

      – Du mouchoir ?

      – Oui.

      – Parfaitement, s’écrièrent les deux autres gardes, le jugement du roi Salomon. Décidément, Aramis, tu es plein de sagesse.»

      Les jeunes gens éclatèrent de rire, et comme on le pense bien, l’affaire n’eut pas d’autre suite. Au bout d’un instant, la conversation cessa, et les trois gardes et le mousquetaire, après s’être cordialement serré la main, tirèrent, les trois gardes de leur côté et Aramis du sien.

      «Voilà le moment de faire ma paix avec ce galant homme», se dit à part lui d’Artagnan, qui s’était tenu un peu à l’écart pendant toute la dernière partie de cette conversation. Et, sur ce bon sentiment, se rapprochant d’Aramis, qui s’éloignait sans faire autrement attention à lui :

      «Monsieur, lui dit-il, vous m’excuserez, je l’espère.

      – Ah ! monsieur, interrompit Aramis, permettez-moi de vous faire observer que vous n’avez point agi en cette circonstance comme un galant homme le devait faire.

      – Quoi, monsieur ! s’écria d’Artagnan, vous supposez…

      – Je suppose,


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