Double-Blanc. Fortuné du Boisgobey

Double-Blanc - Fortuné du Boisgobey


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répéta M. de Bernage; n’est-ce pas ce jeune homme qui était avec vous à la fenêtre de Tortoni?

      – Oui… et je trouve très étrange qu’il se permette de venir me chercher ici. Comment a-t-il su que j’y étais?… je ne lui ai pas dit où j’allais.

      Et que me veut-il?

      – Je crois que je devine, répondit M. de Bernage. Tapageur comme il l’est, il se sera pris de querelle au café où vous l’avez laissé et il a ramassé une affaire. Il nous avait vu partir ensemble, il s’est douté que je vous amenais chez moi et il vient vous demander de lui servir de témoin.

      – Je refuserai net, dit vivement Hervé.

      – Encore faut-il lui signifier de ne pas compter sur vous. Pourquoi ne le recevriez-vous pas ici dans mon cabinet?

      – Dieu m’en garde! Il doit être gris.

      – Alors, mon cher baron, allez lui parler et revenez-nous, dès que vous serez débarrassé de lui.

      – J’y vais donc, et ce sera vite fait.

      Ayant dit, Hervé sortit, sans prendre congé de Mlle de Bernage, qu’il comptait revoir bientôt et qui ne chercha point à le retenir.

      En remettant son pardessus, il questionna le valet de pied qui l’y aidait, et il apprit que Pibrac ne l’attendaient pas, comme il le croyait, devant la grille de l’hôtel.

      C’était un commissionnaire qui était venu dire au concierge que M. de Scaër trouverait M. Ernest Pibrac au coin de la rue de Lisbonne, et ce commissionnaire s’en était allé immédiatement rejoindre celui qui l’avait envoyé.

      Pibrac, d’ordinaire, n’était pas si discret, ni si mystérieux d’allures.

      Il fallait qu’il eût de biens graves motifs pour prendre tant de précautions. Et il était temps d’en finir avec un camarade gênant qui pouvait devenir dangereux.

      Hervé se disait cela en hâtant le pas vers la rue de Lisbonne. Il pensait aussi à la singulière visite de la marquise havanaise, aux velléités jalouses de Solange, aux empressements de Bernage, et il soupçonnait des dessous qui ne lui apparaissaient pas encore clairement.

      Quoiqu’il eût affirmé le contraire, il s’était parfaitement aperçu que la marquise s’était troublée lorsque Mlle de Bernage l’avait nommé, et il se demandait pourquoi.

      Il était toujours bien sûr de ne pas avoir vu ailleurs le ravissant visage de cette blonde aux yeux bleus, mais il lui semblait maintenant avoir déjà entendu sa voix, et il cherchait inutilement à se rappeler où il l’avait entendue.

      Il marchait vite et il ne tarda guère à arriver au coin de la rue de Lisbonne. Pibrac n’y était pas. Hervé pensa qu’il se promenait dans la rue et s’y engagea sans hésiter.

      Il ne lui vint pas à l’esprit qu’il s’exposait à tomber dans un guet-apens tendu par un ennemi qui, pour l’y attirer, se serait servi du nom de Pibrac – le voleur du bal de l’Opéra par exemple.

      Elle est cependant peu éclairée, cette rue de Lisbonne; les boutiques y sont rares, et en hiver, après la nuit tombée, il n’y passe presque personne.

      Ce soir-là, une voiture y stationnait à cinquante pas du boulevard Malesherbes. Hervé n’y prit pas garde et continua d’avancer, sans cesser de regarder à droite et à gauche, s’il n’apercevrait pas Pibrac.

      Il ne le vit pas, mais il vit descendre de cette voiture et venir à lui une femme qui l’aborda en lui disant:

      – Me voici!

      Hervé reconnut la marquise et resta muet d’étonnement.

      – Il était donc impénétrable, le voile que je portais au bal de l’Opéra, demanda-t-elle en souriant?

      – Vous!… c’était vous! murmura Hervé, stupéfait.

      – En doutez-vous encore? Faut-il, pour vous le prouver, que je vous demande si vous m’avez déjà répondu poste restante?

      – Oh! non, je ne doute plus… mais je ne comprends pas…

      – Le hasard a tout fait. Je ne pouvais pas deviner que je vous trouverais chez M. de Bernage, car j’ignorais que vous le connaissiez. Je vous y ai trouvé, j’ai voulu profiter d’une occasion inespérée, et, pour vous parler sans témoins, j’ai imaginé de me servir du nom de votre ami… Ce nom, je l’avais entendu dans la loge et je l’avais retenu… j’en ai un peu abusé…, mais vous me pardonnerez, je l’espère… et je vous remercie d’être venu.

      – C’est moi qui vous remercie, madame, d’avoir hâté notre rencontre. Je la désirais ardemment et je vous ai écrit ce matin, aux initiales que vous m’aviez indiquées.

      – Puis-je savoir où vous me donniez rendez-vous? demanda gaiement la marquise.

      – Au marché aux fleurs de la Madeleine, tous les jours à quatre heures… et je vous prie de croire que je n’y aurais pas manqué.

      – Ni moi non plus… mais rien ne nous empêche maintenant de nous voir chez moi, si vous le voulez.

      – Je craindrais d’y rencontrer M. de Bernage.

      – Votre futur beau-père. C’était donc vrai, ce que disait au bal de l’Opéra votre ami Pibrac?

      – Moi aussi, madame, je vous ai dit que j’allais me marier.

      – Vous ne m’avez pas dit avec qui. Alors, vous aimez cette jeune fille?

      Hervé se tut. Lancée avec cette brusquerie, la question l’avait choqué. Il se demandait de quel droit la marquise la lui posait et quels desseins elle avait sur lui. Il n’avait eu avec elle qu’un bref entretien et la lettre qu’elle lui avait remise ne contenait que d’énigmatiques allusions à une rencontre en Bretagne. Qu’attendait-elle de lui? Le moment était venu de la prier de s’expliquer.

      – Pourquoi ne l’aimeriez-vous pas? reprit doucement la marquise. Elle est charmante et le passé est si loin!…

      – De quel passé parlez-vous?

      – Ne le savez-vous pas?… Vous avez lu ma lettre…

      – Oui… elle ne m’a pas beaucoup renseigné.

      – Aviez-vous donc oublié qu’un soir, près du dolmen de Trévic…

      – Une femme m’est apparue. Comment l’aurais-je oublié?… il n’y a que trois ans de cela… mais cette femme…

      – C’était moi. Je voyageais alors sur le yacht de mon mari. J’ai voulu voir la place où vous vous étiez engagé jadis avec Héva Nesbitt.

      – Héva!… vous l’aviez donc connue?

      – C’était ma meilleure amie, là-bas, en Amérique, avant qu’elle vînt en France… et pendant le peu de temps qu’elle a passé dans votre pays avec sa mère, elle m’a écrit qu’elle s’était fiancée à vous… et elle m’a si bien décrit la grève de Trévic que je n’ai eu aucune peine à la découvrir… Je ne m’attendais pas à vous y rencontrer.

      – Que ne m’avez-vous dit alors ce que vous me dites maintenant!

      – À ce moment-là, je ne savais pas que le chasseur qui m’avait surprise au pied du dolmen était le baron de Scaër… je ne l’ai su qu’après… et d’ailleurs, je n’étais pas libre… J’ai dû regagner précipitamment le yacht qui m’avait amenée, mais je me suis souvenue… et dès que j’ai été maîtresse de mes actions, j’ai tout quitté…

      – Pas pour vous mettre à ma recherche, je suppose?

      – Non, monsieur. Pour chercher ma malheureuse amie. Dix ans se sont écoulés depuis qu’elle a disparu et je ne désespère pas encore de la retrouver… ou de la venger.

      – La venger! vous croyez donc qu’on l’a tuée!

      – Tuée


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