Consuelo. George Sand

Consuelo - George  Sand


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fille de Burgos. Tu sais bien que quand par hasard quelqu’un la regardait dans les cafés où elle chantait, on disait: Cette femme doit avoir été belle. Vois-tu, mon pauvre ami, la beauté est comme cela quand on est pauvre; c’est un instant: on n’est pas belle encore, et puis bientôt on ne l’est plus. Je le serai peut-être, qui sait? si je peux ne pas me fatiguer trop, avoir du sommeil, et ne pas trop souffrir de la faim.

      – Consuelo, nous ne nous quitterons pas; bientôt je serai riche, et tu ne manqueras de rien. Tu pourras donc être belle à ton aise.

      – À la bonne heure. Que Dieu fasse le reste!

      – Mais tout cela ne conclut à rien pour le présent, et il s’agit de savoir si le comte te trouvera assez belle pour paraître au théâtre.

      – Maudit comte! pourvu qu’il ne fasse pas trop le difficile!

      – D’abord, tu n’es pas laide.

      – Non, je ne suis pas laide. J’ai entendu, il n’y a pas longtemps, le verrotier qui demeure ici en face, dire à sa femme: Sais-tu que la Consuelo n’est pas vilaine? Elle a une belle taille, et quand elle rit, elle vous met tout le cœur en joie; et quand elle chante, elle paraît jolie.

      – Et qu’est-ce que la femme du verrotier a répondu?

      – Elle a répondu: Qu’est-ce que cela te fait, imbécile? Songe à ton ouvrage; est-ce qu’un homme marié doit regarder les jeunes filles?

      – Paraissait-elle fâchée?

      – Bien fâchée.

      – C’est bon signe. Elle sentait que son mari ne se trompait pas. Et puis encore?

      – Et puis encore, la comtesse Mocenigo, qui me donne de l’ouvrage, et qui s’est toujours intéressée à moi, a dit la semaine dernière au docteur Ancillo, qui était chez elle au moment où j’entrais: Regardez donc, monsieur le docteur, comme cette zitella a grandi, et comme elle est devenue blanche et bien faite!

      – Et qu’a répondu le docteur?

      – Il a répondu: C’est vrai, Madame, par Bacchus! Je ne l’aurais pas reconnue; elle est de la nature des flegmatiques, qui blanchissent en prenant un peu d’embonpoint. Ce sera une belle fille, vous verrez cela.

      – Et puis encore?

      – Et puis encore la supérieure de Santa Chiara, qui me fait faire des broderies pour ses autels, et qui a dit à une de ses sœurs: Tenez, voyez si ce que je vous disais n’est pas vrai? La Consuelo ressemble à notre sainte Cécile. Toutes les fois que je fais ma prière devant cette image, je ne peux m’empêcher de penser à cette petite; et alors je prie pour elle, afin qu’elle ne tombe pas dans le péché, et qu’elle ne chante jamais que pour l’église.

      – Et qu’a répondu la sœur?

      – La sœur a répondu: C’est vrai, ma mère; c’est tout à fait vrai. Et moi j’ai été bien vite dans leur église, et j’ai regardé la sainte Cécile qui est d’un grand maître, et qui est belle, bien belle!

      – Et qui te ressemble?

      – Un peu.

      – Et tu ne m’as jamais dit cela?

      – Je n’y ai pas pensé.

      – Chère Consuelo, tu es donc belle?

      – Je ne crois pas; mais je ne suis plus si laide qu’on le disait. Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’on ne me le dit plus. Il est vrai que c’est peut-être parce qu’on s’imagine que cela me ferait de la peine à présent.

      – Voyons, Consuelina, regarde-moi bien. Tu as les plus beaux yeux du monde, d’abord!

      – Mais la bouche est grande, dit Consuelo en riant et en prenant un petit morceau de miroir cassé qui lui servait de psyché pour se regarder.

      – Elle n’est pas petite; mais quelles belles dents! reprit Anzoleto; ce sont des perles fines, et tu les montres toutes quand tu ris.

      – En ce cas tu me diras quelque chose qui me fasse rire, quand nous serons devant le comte.

      – Tu as des cheveux magnifiques, Consuelo.

      – Pour cela oui! Veux-tu les voir?» Elle détacha ses épingles, et laissa tomber jusqu’à terre un torrent de cheveux noirs, où le soleil brilla comme dans une glace.

      Et tu as la poitrine large, la ceinture fine, les épaules… ah! bien belles, Consuelo! Pourquoi me les caches-tu? Je ne demande à voir que ce qu’il faudra bien que tu montres au public.

      – J’ai le pied assez petit», dit Consuelo pour détourner la conversation; et elle montra un véritable petit pied andalou, beauté à peu près inconnue à Venise.

      La main est charmante aussi, dit Anzoleto en baisant, pour la première fois, la main que jusque-là il avait serrée amicalement comme celle d’un camarade. Laisse-moi voir tes bras.

      – Tu les as vus cent fois, dit-elle en ôtant ses mitaines.

      – Non, je ne les avais jamais vus», dit Anzoleto que cet examen innocent et dangereux commençait à agiter singulièrement.

      Et il retomba dans le silence, couvant du regard cette jeune fille que chaque coup d’œil embellissait et transformait à ses yeux.

      Peut-être n’était-ce pas tout à fait qu’il eût été aveugle jusqu’alors; car peut-être était-ce la première fois que Consuelo dépouillait, sans le savoir, cet air insouciant qu’une parfaite régularité de lignes peut seule faire accepter. En cet instant, émue encore d’une vive atteinte portée à son cœur, redevenue naïve et confiante, mais conservant un imperceptible embarras qui n’était pas l’éveil de la coquetterie, mais celui de la pudeur sentie et comprise, son teint avait une pâleur transparente, et ses yeux un éclat pur et serein qui la faisaient ressembler certainement à la sainte Cécile des nones de Santa Chiara.

      Anzoleto n’en pouvait plus détacher ses yeux. Le soleil s’était couché; la nuit se faisait vite dans cette grande chambre éclairée d’une seule petite fenêtre; et dans cette demi-teinte, qui embellissait encore Consuelo, semblait nager autour d’elle un fluide d’insaisissables voluptés. Anzoleto eut un instant la pensée de s’abandonner aux désirs qui s’éveillaient en lui avec une impétuosité toute nouvelle, et à cet entraînement se joignait par éclairs une froide réflexion. Il songeait à expérimenter, par l’ardeur de ses transports, si la beauté de Consuelo aurait autant de puissance sur lui que celle des autres femmes réputées belles qu’il avait possédées. Mais il n’osa pas se livrer à ces tentations indignes de celle qui les inspirait. Insensiblement son émotion devint plus profonde, et la crainte d’en perdre les étranges délices lui fit désirer de la prolonger.

      Tout à coup, Consuelo, ne pouvant plus supporter son embarras se leva, et faisant un effort sur elle-même pour revenir à leur enjouement, se mit à marcher dans la chambre, en faisant de grands gestes de tragédie, et en chantant d’une manière un peu outrée plusieurs phrases de drame lyrique, comme si elle fût entrée en scène.

      Eh bien, c’est magnifique! s’écria Anzoleto ravi de surprise en la voyant capable d’un charlatanisme qu’elle ne lui avait jamais montré.

      – Ce n’est pas magnifique, dit Consuelo en se rasseyant; et j’espère que c’est pour rire que tu dis cela?

      – Ce serait magnifique à la scène. Je t’assure qu’il n’y aurait rien de trop. Corilla en crèverait de jalousie; car c’est tout aussi frappant que ce qu’elle fait dans les moments où on l’applaudit à tout rompre.

      – Mon cher Anzoleto, répondit Consuelo, je ne voudrais pas que la Corilla crevât de jalousie pour de semblables jongleries, et si le public m’applaudissait parce que je sais la singer, je ne voudrais plus reparaître devant lui.

      – Tu feras donc mieux encore?

      – Je l’espère, ou bien je ne m’en mêlerai pas.

      – Eh


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