Consuelo. George Sand

Consuelo - George  Sand


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le soleil commençant à baisser, il se leva pour regarder si Consuelo dormait encore. Les feux du couchant, pénétrant par la fenêtre, empourpraient d’un superbe reflet le vieux lit et la belle dormeuse. Elle s’était fait, de sa mantille de mousseline blanche, un rideau attaché aux pieds du crucifix de filigrane qui était cloué au mur au-dessus de sa tête. Ce voile léger retombait avec grâce sur son corps souple et admirable de proportions; et dans cette demi-teinte rose, affaissée comme une fleur aux approches du soir, les épaules inondées de ses beaux cheveux sombres sur sa peau blanche et mate, les mains jointes sur sa poitrine comme une sainte de marbre blanc sur son tombeau, elle était si chaste et si divine, qu’Anzoleto s’écria dans son cœur: Ah! comte Zustiniani! que ne peux-tu la voir en cet instant, et moi auprès d’elle, gardien jaloux et prudent d’un trésor que tu convoiteras en vain!

      Au même instant un faible bruit se fit entendre au dehors; Anzoleto reconnut le clapotement de l’eau au pied de la masure où était située la chambre de Consuelo. Bien rarement les gondoles abordaient à cette pauvre corte Minelli; d’ailleurs un démon tenait en éveil les facultés divinatoires d’Anzoleto. Il grimpa sur une chaise, et atteignit à une petite lucarne percée près du plafond sur la face de la maison que baignait le canaletto. Il vit distinctement le comte Zustiniani sortir de sa barque et interroger les enfants demi-nus qui jouaient sur la rive. Il fut incertain s’il éveillerait son amie, ou s’il tiendrait la porte fermée. Mais pendant dix minutes que le comte perdit à demander et à chercher la mansarde de Consuelo, il eut le temps de se faire un sang-froid diabolique et d’aller entrouvrir la porte, afin qu’on pût entrer sans obstacle et sans bruit; puis il se remit devant la petite table, prit une plume, et feignit d’écrire des notes. Son cœur battait violemment; mais sa figure était calme et impénétrable.

      Le comte entra en effet sur la pointe du pied, se faisant un plaisir curieux de surprendre sa protégée, et se réjouissant de ces apparences de misère qu’il jugeait être les meilleures conditions possibles pour favoriser son plan de corruption. Il apportait l’engagement de Consuelo déjà signé de lui, et ne pensait point qu’avec un tel passeport il dût essuyer un accueil trop farouche. Mais au premier aspect de ce sanctuaire étrange, où une adorable fille dormait du sommeil des anges, sous l’œil de son amant respectueux ou satisfait, le pauvre Zustiniani perdit contenance, s’embarrassa dans son manteau qu’il portait drapé sur l’épaule d’un air conquérant, et fit trois pas tout de travers entre le lit et la table sans savoir à qui s’adresser. Anzoleto était vengé de la scène de la veille à l’entrée de la gondole.

      Mon seigneur et maître! s’écria-t-il en se levant enfin comme surpris par une visite inattendue: je vais éveiller ma… fiancée.

      – Non, lui répondit le comte, déjà remis de son trouble, et affectant de lui tourner le dos pour regarder Consuelo à son aise. Je suis trop heureux de la voir ainsi. Je te défends de l’éveiller.»

      Oui, oui, regarde-la bien, pensait Anzoleto; c’est tout ce que je demandais.»

      Consuelo ne s’éveilla point; et le comte, baissant la voix, se composant une figure gracieuse et sereine, exprima son admiration sans contrainte.

      Tu avais raison, Zoto, dit-il d’un air aisé; Consuelo est la première chanteuse de l’Italie, et j’avais tort de douter qu’elle fût la plus belle femme de l’univers.

      – Votre seigneurie la croyait affreuse, cependant! dit Anzoleto avec malice.

      – Tu m’as sans doute accusé auprès d’elle de toutes mes grossièretés? Mais je me réserve de me les faire pardonner par une amende honorable si complète, que tu ne pourras plus me nuire en lui rappelant mes torts.

      – Vous nuire, mon cher seigneur! Ah! comment le pourrais-je, quand même j’en aurais la pensée?»

      Consuelo s’agita un peu.

      Laissons-la s’éveiller sans trop de surprise, dit le comte, et débarrasse-moi cette table pour que je puisse y poser et y relire l’acte de son engagement. Tiens, ajouta-t-il lorsque Anzoleto eut obéi à son ordre, tu peux jeter les yeux sur ce papier, en attendant qu’elle ouvre les siens.

      – Un engagement avant l’épreuve des débuts! Mais c’est magnifique, ô mon noble patron! Et le début tout de suite? avant que l’engagement de la Corilla soit expiré?

      – Ceci ne m’embarrasse point. Il y a un dédit de mille séquins avec la Corilla: nous le paierons; la belle affaire!

      – Mais si la Corilla suscite des cabales?

      – Nous la ferons mettre aux plombs, si elle cabale.

      – Vive Dieu! Rien ne gêne votre seigneurie.

      – Oui, Zoto, répondit le comte d’un ton raide, nous sommes comme cela; ce que nous voulons, nous le voulons envers et contre tous.

      – Et les conditions de l’engagement sont les mêmes que pour la Corilla? Pour une débutante sans nom, sans gloire, les mêmes conditions que pour une cantatrice illustre, adorée du public?

      – La nouvelle cantatrice le sera davantage; et si les conditions de l’ancienne ne la satisfont pas, elle n’aura qu’un mot à dire pour qu’on double ses appointements. Tout dépend d’elle, ajouta-t-il en élevant un peu la voix, car il s’aperçut que la Consuelo s’éveillait: son sort est dans ses mains.»

      Consuelo avait entendu tout ceci dans un demi-sommeil. Quand elle se fut frotté les yeux et assuré que ce n’était point un rêve, elle se glissa dans sa ruelle sans trop songer à l’étrangeté de sa situation, releva sa chevelure sans trop s’inquiéter de son désordre, s’enveloppa de sa mantille, et vint avec une confiance ingénue se mêler à la conversation.

      Seigneur comte, dit-elle, c’est trop de bontés; mais je n’aurai pas l’impertinence d’en profiter. Je ne veux pas signer cet engagement avant d’avoir essayé mes forces devant le public; ce ne serait point délicat de ma part. Je peux déplaire, je peux faire fiasco, être sifflée. Que je sois enrouée, troublée, ou bien laide ce jour-là, votre parole serait engagée, vous seriez trop fier pour la reprendre, et moi trop fière pour en abuser.

      – Laide ce jour-là, Consuelo! s’écria le comte en la regardant avec des yeux enflammés; laide, vous? Tenez, regardez-vous comme vous voilà, ajouta-t-il en la prenant par la main et en la conduisant devant son miroir. Si vous êtes adorable dans ce costume, que serez-vous donc, couverte de pierreries et rayonnante de l’éclat du triomphe?»

      L’impertinence du comte faisait presque grincer les dents à Anzoleto. Mais l’indifférence enjouée avec laquelle Consuelo recevait ses fadeurs le calma aussitôt.

      Monseigneur, dit-elle en repoussant le morceau de glace qu’il approchait de son visage, prenez garde de casser le reste de mon miroir; je n’en ai jamais eu d’autre, et j’y tiens parce qu’il ne m’a jamais abusée. Laide ou belle, je refuse vos prodigalités. Et puis je dois vous dire franchement que je ne débuterai pas, et que je ne m’engagerai pas, si mon fiancé que voilà n’est engagé aussi; car je ne veux ni d’un autre théâtre ni d’un autre public que le sien. Nous ne pouvons pas nous séparer, puisque nous devons nous marier.»

      Cette brusque déclaration étourdit un peu le comte; mais il fut bientôt remis.

      Vous avez raison, Consuelo, répondit-il: aussi mon intention n’est-elle pas de jamais vous séparer. Zoto débutera en même temps que vous. Seulement nous ne pouvons pas nous dissimuler que son talent, bien que remarquable, est encore inférieur au vôtre…

      – Je ne crois point cela, monseigneur, répliqua vivement Consuelo en rougissant, comme si elle eût reçu une offense personnelle.

      – Je sais qu’il est votre élève, beaucoup plus que celui du professeur que je lui ai donné, répondit le comte en souriant. Ne vous en défendez pas, belle Consuelo. En apprenant votre intimité, le Porpora s’est écrié: Je ne m’étonne plus de certaines qualités qu’il possède et que je ne pouvais pas concilier avec tant de défauts!

      – Grand merci au signor professor! dit Anzoleto en riant du bout des lèvres.

      – Il


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