Consuelo. George Sand

Consuelo - George  Sand


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amour, faute d’un mot plus convenable; mais c’est profaner un si beau nom que de l’appliquer à l’attrait qu’inspirent des femmes froidement provoquantes comme l’était la Corilla. Quand elle vit que le jeune ténor était ému tout de bon, elle s’adoucit, et le railla plus amicalement.

      Tu m’as plu tout un soir, je le confesse, dit-elle, mais au fond je ne t’estime pas. Je te sais ambitieux, par conséquent faux, et prêt à toutes les infidélités: je ne saurais me fier à toi. Tu fis le jaloux, une certaine nuit dans ma gondole; tu te posas comme un despote. Cela m’eût désennuyée des fades galanteries de nos patriciens; mais tu me trompais, lâche enfant! tu étais épris d’une autre, et tu n’as pas cessé de l’être, et tu vas épouser… qui!… Oh! je le sais fort bien, ma rivale, mon ennemie, la débutante, la nouvelle maîtresse de Zustiniani. Honte à nous deux, à nous trois, à nous quatre! ajouta-t-elle en s’animant malgré elle et en retirant sa main de celles d’Anzoleto.

      – Cruelle, lui dit-il en s’efforçant de ressaisir cette main potelée, vous devriez comprendre ce qui s’est passé en moi lorsque je vous vis pour la première fois, et ne pas vous soucier de ce qui m’occupait avant ce moment terrible. Quant à ce qui s’est passé depuis, ne pouvez-vous le deviner, et avons-nous besoin d’y songer désormais?

      – Je ne me paie pas de demi-mots et de réticences. Tu aimes toujours la Zingarella, tu l’épouses?

      – Et si je l’aimais, comment se fait-il que je ne l’aie pas encore épousée?

      – Parce que le comte s’y opposait peut-être. À présent, chacun sait qu’il le désire. On dit même qu’il a sujet d’en être impatient, et la petite encore plus.»

      Le rouge monta à la figure d’Anzoleto en entendant ces outrages prodigués à l’être qu’il vénérait en lui-même au-dessus de tout.

      Ah! tu es outré de mes suppositions, répondit la Corilla, c’est bon; voilà ce que je voulais savoir. Tu l’aimes; et quand l’épouses-tu?

      – Je ne l’épouse point du tout.

      – Alors vous partagez? Tu es bien avant dans la faveur de monsieur le comte!

      – Pour l’amour du ciel, madame, ne parlons ni du comte, ni de personne autre que de vous et de moi.

      – Eh bien, soit, dit la Corilla. Aussi bien à cette heure, mon ex-amant et ta future épouse…»

      Anzoleto était indigné. Il se leva pour sortir. Mais qu’allait-il faire? allumer de plus en plus la haine de cette femme, qu’il était venu calmer. Il resta indécis, horriblement humilié et malheureux du rôle qu’il s’était imposé.

      La Corilla brûlait d’envie de le rendre infidèle; non qu’elle l’aimât, mais parce que c’était une manière de se venger de cette Consuelo qu’elle n’était pas certaine d’avoir outragée, avec justice.

      Tu vois bien, lui dit-elle en l’enchaînant au seuil de son boudoir, par un regard pénétrant, que j’ai raison de me méfier de toi: car en ce moment tu trompes quelqu’un ici. Est-ce elle ou moi?

      – Ni l’une ni l’autre, s’écria-t-il en cherchant à se justifier à ses propres yeux; je ne suis point son amant, je ne le fus jamais. Je n’ai pas d’amour pour elle; car je ne suis pas jaloux du comte.

      – En voici bien d’une autre! Ah! tu es jaloux au point de le nier, et tu viens ici pour te guérir ou te distraire? grand merci!

      – Je ne suis point jaloux, je vous le répète; et pour vous prouver que ce n’est pas le dépit qui me fait parler, je vous dis que le comte n’est pas plus son amant que moi; qu’elle est honnête comme un enfant qu’elle est, et que le seul coupable envers vous, c’est le comte Zustiniani.

      – Ainsi, je puis faire siffler la Zingarella sans t’affliger? Tu seras dans ma loge et tu la siffleras, et en sortant de là tu seras mon unique amant. Accepte vite, ou je me rétracte.

      – Hélas, madame, vous voulez donc m’empêcher de débuter? car vous savez bien que je dois débuter en même temps que la Consuelo? Si vous la faites siffler, moi qui chanterai avec elle, je tomberai donc, victime de votre courroux? Et qu’ai-je fait, malheureux que je suis, pour vous déplaire? Hélas! j’ai fait un rêve délicieux et funeste! je me suis imaginé tout un soir que vous preniez quelque intérêt à moi, et que je grandirais sous votre protection. Et voilà que je suis l’objet de votre mépris et de votre haine, moi qui vous ai aimée et respectée au point de vous fuir! Eh bien, madame, contentez votre aversion. Faites-moi tomber, perdez-moi, fermez-moi la carrière. Pourvu qu’ici en secret vous me disiez que je ne vous suis point odieux, j’accepterai les marques publiques de votre courroux.

      – Serpent que tu es, s’écria la Corilla, où as-tu sucé le poison de la flatterie que ta langue et tes yeux distillent? Je donnerais beaucoup pour te connaître et te comprendre; mais je te crains, car tu es le plus aimable des amants ou le plus dangereux des ennemis.

      – Moi, votre ennemi! Et comment oserais-je jamais me poser ainsi, quand même je ne serais pas subjugué par vos charmes? Est-ce que vous avez des ennemis, divine Corilla? Est-ce que vous pouvez en avoir à Venise, où l’on vous connaît et où vous avez toujours régné sans partage? Une querelle d’amour jette le comte dans un dépit douloureux. Il veut vous éloigner, il veut cesser de souffrir. Il rencontre sur son chemin une petite fille qui semble montrer quelques moyens et qui ne demande pas mieux que de débuter. Est-ce un crime de la part d’une pauvre enfant qui n’entend prononcer votre nom illustre qu’avec terreur, et qui ne le prononce elle-même qu’avec respect? Vous attribuez à cette pauvrette des prétentions insolentes qu’elle ne saurait avoir. Les efforts du comte pour la faire goûter à ses amis, l’obligeance de ces mêmes amis qui vont exagérant son mérite, l’amertume des vôtres qui répandent des calomnies pour vous aigrir et vous affliger, tandis qu’ils devraient rendre le calme à votre belle âme en vous montrant votre gloire inattaquable et votre rivale tremblante; voilà les causes de ces préventions que je découvre en vous, et dont je suis si étonné, si stupéfait, que je sais à peine comment m’y prendre pour les combattre.

      – Tu ne le sais que trop bien, langue maudite, dit la Corilla en le regardant avec un attendrissement voluptueux, encore mêlé de défiance; j’écoute tes douces paroles, mais ma raison me dit encore de te redouter. Je gage que cette Consuelo est divinement belle, quoiqu’on m’ait dit le contraire, et qu’elle a du mérite dans un certain genre opposé au mien, puisque le Porpora, que je connais si sévère, le proclame hautement.

      – Vous connaissez le Porpora? donc vous savez ses bizarreries, ses manies, on peut dire. Ennemi de toute originalité chez les autres et de toute innovation dans l’art du chant, qu’une petite élève soit bien attentive à ses radotages, bien soumise à ses pédantesques leçons, le voilà qui, pour une gamme vocalisée proprement, déclare que cela est préférable à toutes les merveilles que le public idolâtre. Depuis quand vous tourmentez-vous des lubies de ce vieux fou?

      – Elle est donc sans talent?

      – Elle a une belle voix, et chante honnêtement à l’église; mais elle ne doit rien savoir du théâtre, et quant à la puissance qu’il y faudrait déployer, elle est tellement paralysée par la peur, qu’il est fort à craindre qu’elle y perde le peu de moyens que le ciel lui a donnés.

      – Elle a peur! On m’a dit qu’elle était au contraire d’une rare impudence.

      – Oh! la pauvre fille! hélas, on lui en veut donc bien? Vous l’entendrez, divine Corilla, et vous serez émue d’une noble pitié, et vous l’encouragerez au lieu de la faire siffler, comme vous le disiez en raillant tout à l’heure.

      – Ou tu me trompes, ou mes amis m’ont bien trompée sur son compte.

      – Vos amis se sont laissé tromper eux-mêmes. Dans leur zèle indiscret, ils se sont effrayés de vous voir une rivale: effrayés d’un enfant! effrayés pour vous! Ah! que ces gens-là vous aiment mal, puisqu’ils vous connaissent si peu! Oh! si j’avais le bonheur d’être votre ami,


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