Consuelo. George Sand

Consuelo - George  Sand


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n’y trouva qu’un amas de vieille musique, de cahiers imprimés, effacés par un long usage, et de manuscrits en apparence indéchiffrables.

      Ah! qu’est-ce que tout cela? s’écria-t-elle en essuyant ses jolis doigts bien vite. Vous avez là, ma chère enfant, une singulière garde-robe!

      – Ce sont des trésors, traitez-les avec respect, ma chère baronne, répondit Consuelo. Il y a des autographes des plus grands maîtres, et j’aimerais mieux perdre ma voix que de ne pas les remettre au Porpora qui me les a confiés.»

      Amélie ouvrit une seconde caisse, et la trouva pleine de papier réglé, de traités sur la musique, et d’autres livres sur la composition, l’harmonie et le contrepoint.

      Ah! je comprends, dit-elle en riant, ceci est votre écrin.

      – Je n’en ai pas d’autre, répondit Consuelo, et j’espère que vous voudrez bien vous en servir souvent.

      – À la bonne heure, je vois que vous êtes une maîtresse sévère. Mais peut-on vous demander sans vous offenser, ma chère Nina, où vous avez mis vos robes?

      – Là-bas dans ce petit carton, répondit Consuelo en allant le chercher, et en montrant à la baronne une petite robe de soie noire qui y était soigneusement et fraîchement pliée.

      – Est-ce là tout? dit Amélie.

      – C’est là tout, dit Consuelo, avec ma robe de voyage. Dans quelques jours d’ici, je me ferai une seconde robe noire, toute pareille à l’autre, pour changer.

      – Ah! ma chère enfant, vous êtes donc en deuil?

      – Peut-être, signora, répondit gravement Consuelo.

      – En ce cas, pardonnez-moi. J’aurais dû comprendre à vos manières que vous aviez quelque chagrin dans le cœur, et je vous aime autant ainsi. Nous sympathiserons encore plus vite; car moi aussi j’ai bien des sujets de tristesse, et je pourrais déjà porter le deuil de l’époux qu’on m’avait destiné. Ah! ma chère Nina, ne vous effarouchez pas de ma gaieté; c’est souvent un effort pour cacher des peines profondes.»

      Elles s’embrassèrent, et descendirent au salon où on les attendait.

      Consuelo vit, dès le premier coup d’œil, que sa modeste robe noire, et son fichu blanc fermé jusqu’au menton par une épingle de jais, donnaient d’elle à la chanoinesse une opinion très favorable. Le vieux Christian fut un peu moins embarrassé et tout aussi affable envers elle que la veille. Le baron Frédéric, qui, par courtoisie, s’était abstenu d’aller à la chasse ce jour-là, ne sut pas trouver un mot à lui dire, quoiqu’il eût préparé mille gracieusetés pour les soins qu’elle venait rendre à sa fille. Mais il s’assit à table à côté d’elle, et s’empressa de la servir, avec une importunité si naïve et si minutieuse, qu’il n’eut pas le temps de satisfaire son propre appétit. Le chapelain lui demanda dans quel ordre le patriarche faisait la procession à Venise, et l’interrogea sur le luxe et les ornements des églises. Il vit à ses réponses qu’elle les avait beaucoup fréquentées; et quand il sut qu’elle avait appris à chanter au service divin, il eut pour elle une grande considération.

      Quant au comte Albert, Consuelo avait à peine osé lever les yeux sur lui, précisément parce qu’il était le seul qui lui inspirât un vif sentiment de curiosité. Elle ne savait pas quel accueil il lui avait fait. Seulement elle l’avait regardé dans une glace en traversant le salon, et l’avait vu habillé avec une sorte de recherche, quoique toujours en noir. C’était bien la tournure d’un grand seigneur; mais sa barbe et ses cheveux dénoués, avec son teint sombre et jaunâtre, lui donnaient la tête pensive et négligée d’un beau pêcheur de l’Adriatique, sur les épaules d’un noble personnage.

      Cependant la sonorité de sa voix, qui flattait les oreilles musicales de Consuelo, enhardit peu à peu cette dernière à le regarder. Elle fut surprise de lui trouver l’air et les manières d’un homme très sensé. Il parlait peu, mais judicieusement; et lorsqu’elle se leva de table, il lui offrit la main, sans la regarder il est vrai (il ne lui avait pas fait cet honneur depuis la veille), mais avec beaucoup d’aisance et de politesse. Elle trembla de tous ses membres en mettant sa main dans celle de ce héros fantastique des récits et des rêves de la nuit précédente; elle s’attendait à la trouver froide comme celle d’un cadavre. Mais elle était douce et tiède comme la main d’un homme soigneux et bien portant. À vrai dire, Consuelo ne put guère constater ce fait. Son émotion intérieure lui donnait une sorte de vertige; et le regard d’Amélie, qui suivait tous ses mouvements, eût achevé de la déconcerter, si elle ne se fût armée de toute la force dont elle sentait avoir besoin pour conserver sa dignité vis-à-vis de cette malicieuse jeune fille. Elle rendit au comte Albert le profond salut qu’il lui fit en la conduisant auprès d’un siège; et pas un mot, pas un regard ne fut échangé entre eux.

      Savez-vous, perfide Porporina, dit Amélie à sa compagne en s’asseyant tout près d’elle pour chuchoter librement à son oreille, que vous faites merveille sur mon cousin?

      – Je ne m’en aperçois pas beaucoup jusqu’ici, répondit Consuelo.

      – C’est que vous ne daignez pas vous apercevoir de ses manières avec moi. Depuis un an, il ne m’a pas offert une seule fois la main pour passer à table ou pour en sortir, et voilà qu’il s’exécute avec vous de la meilleure grâce! Il est vrai qu’il est dans un de ses moments les plus lucides. On dirait que vous lui avez apporté la raison et la santé. Mais ne vous fiez point aux apparences, Nina. Ce sera avec vous comme avec moi. Après trois jours de cordialité, il ne se souviendra pas seulement de votre existence.

      – Je vois, dit Consuelo, qu’il faut que je m’habitue à la plaisanterie.

      – N’est-il pas vrai, ma petite tante, dit à voix basse Amélie en s’adressant à la chanoinesse, qui était venue s’asseoir auprès d’elle et de Consuelo, que mon cousin est tout à fait charmant pour la chère Porporina?

      – Ne vous moquez pas de lui, Amélie, répondit Wenceslawa avec douceur; mademoiselle s’apercevra assez tôt de la cause de nos chagrins.

      – Je ne me moque pas, bonne tante. Albert est tout à fait bien ce matin, et je me réjouis de le voir comme je ne l’ai pas encore vu peut-être depuis que je suis ici. S’il était rasé et poudré comme tout le monde, on pourrait croire aujourd’hui qu’il n’a jamais été malade.

      – Cet air de calme et de santé me frappe en effet bien agréablement, dit la chanoinesse; mais je n’ose plus me flatter de voir durer un si heureux état de choses.

      – Comme il a l’air noble et bon! dit Consuelo, voulant gagner le cœur de la chanoinesse par l’endroit le plus sensible.

      – Vous trouvez? dit Amélie, la transperçant de son regard espiègle et moqueur.

      – Oui, je le trouve, répondit Consuelo avec fermeté, et je vous l’ai dit hier soir, signora; jamais visage humain ne m’a inspiré plus de respect.

      – Ah! chère fille, dit la chanoinesse en quittant tout à coup son air guindé pour serrer avec émotion la main de Consuelo; les bons cœurs se devinent! Je craignais que mon pauvre enfant ne vous fît peur; c’est une si grande peine pour moi que de lire sur le visage des autres l’éloignement qu’inspirent toujours de pareilles souffrances! Mais vous avez de la sensibilité, je le vois, et vous avez compris tout de suite qu’il y a dans ce corps malade et flétri une âme sublime, bien digne d’un meilleur sort.»

      Consuelo fut touchée jusqu’aux larmes des paroles de l’excellente chanoinesse, et elle lui baisa la main avec effusion. Elle sentait déjà plus de confiance et de sympathie dans son cœur pour cette vieille bossue que pour la brillante et frivole Amélie.

      Elles furent interrompues par le baron Frédéric, lequel, comptant sur son courage plus que sur ses moyens, s’approchait avec l’intention de demander une grâce à la signora Porporina. Encore plus gauche auprès des dames que ne l’était son frère aîné (cette gaucherie était, à ce qu’il paraît, une maladie de famille, qu’on ne devait pas s’étonner


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