Borgia. Michel Zevaco

Borgia - Michel  Zevaco


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y eut un éclat de rire général. Borgia seul demeura sé-rieux, mais il fit un signe imperceptible à Astorre. L’imagination de celui-ci étant à bout de ressources, il se contenta de répéter la même plaisanterie :

      – Je lui donnerai aussi l’adresse d’un tailleur pour recoudre son pourpoint… Mais j’y pense, ajouta-t-il…

      Il s’avança encore.

      – Eh ! monsieur… je veux vous rendre un service… car votre air me plaît…

      Le chevalier de Ragastens se leva alors et s’avançant à son tour :

      – Quel service, monsieur ? Voudriez-vous, par hasard, me prêter un peu de cet esprit qui pétille dans vos discours ?

      – Non, répondit Astorre sans comprendre. Mais si vous vou-lez passer chez moi, mon valet a mis de côté son dernier cos-tume… Je lui ordonnerai de vous en faire présent… car le vôtre me paraît en mauvais état.

      – Vous faites allusion sans doute, monsieur, aux nom-breuses reprises qui ornent mon pourpoint ?…

      – Vous avez deviné du premier coup !…

      – Eh bien, je vais vous dire… Ces reprises sont une mode nouvelle que je veux acclimater en Italie… Aussi, il me déplaît fort que votre pourpoint, à vous, soit intact, et j’ai la prétention d’y pratiquer autant d’entailles qu’il y a de reprises au mien…

      – Et avec quoi, s’il vous plaît ?…

      – Avec ceci ! répondit le chevalier.

      En même temps, il tira son épée. Astorre dégaina.

      – Monsieur, dit-il, je suis le baron Astorre, garde noble, avantageusement connu à Rome.

      – Moi, monsieur, de la Bastille, au pied de laquelle je suis né, jusqu’au Louvre, on m’appelle le chevalier de la Rapière… parce que ma rapière et moi ne faisons qu’un… Est-ce que ce nom vous suffit ?…

      – Un Français ! murmura César Borgia étonné.

      – Va pour la rapière, riposta Astorre. Cela me permettra de faire coup double… car je vais vous briser et vous percer en même temps…

      Les deux hommes tombèrent en garde et les fers s’engagèrent.

      – Monsieur le baron Astorre, vous qui avez un si bon œil, avez-vous compté combien il y a de reprises à mon pourpoint ?

      – Monsieur La Rapière, j’en vois trois, répondit Astorre en ferraillant.

      – Vous faites erreur… Il y en a six… Vous avez donc droit à six entailles… et en voici une !

      Astor bondit en arrière, avec un cri : il venait d’être touché en pleine poitrine, et une goutte de sang empourpra la soie grise de son pourpoint. Les spectateurs de cette scène se regardèrent avec surprise.

      – Prends garde, Astorre ! fit Borgia.

      – Par l’enfer ! Je vais le clouer au sol…

      Et le colosse se rua, l’épée haute.

      – Deux ! riposta Ragastens en éclatant de rire.

      Coup sur coup, le chevalier se fendit trois fois encore. Et, à chaque fois, une goutte de sang apparaissait sur la soie. L’hercule rugissait, bondissait, tournait autour de son adversaire. Ragas-tens ne bougeait pas.

      – Monsieur, dit-il, vous en avez cinq déjà… Prenez garde à la sixième.

      Astorre, les dents serrées, porta sans répondre une botte sa-vante, celle qu’il réservait aux adversaires réputés invincibles. Mais, au moment où il se fendait, il jeta un hurlement de douleur et de rage en laissant tomber son épée. Ragastens venait de lui transpercer le bras droit.

      – Six ! fit tranquillement le chevalier.

      Et, se tournant vers le groupe de spectateurs :

      – Si quelqu’un de ces messieurs veut se mettre à la mode…

      Deux ou trois des jeunes seigneurs sautèrent à terre.

      – À mort ! crièrent-ils.

      – Holà ! silence… et paix !

      C’était Borgia qui parlait. Dans l’âme de ce bandit, il n’y avait qu’un culte : celui de la force et de l’adresse. Il avait admiré la souplesse du chevalier, son sang-froid, son intrépidité. Et il s’était dit que c’était là, peut-être, une excellente recrue…

      – Monsieur, dit-il en s’avançant, tandis que ses compagnons s’empressaient autour d’Astorre, comment vous nommez-vous ?

      – Monseigneur, je suis le chevalier de Ragastens…

      Borgia tressaillit.

      – Pourquoi m’appelez-vous « monseigneur » ?

      – Parce que je vous connais… Et, ne vous eussé-je pas con-nu, qui ne devinerait, à votre prestance et à votre air, l’illustre guerrier que la France admire comme un grand diplomate sous le nom de duc de Valentinois et que l’Italie salue comme un mo-derne César sous le nom de Borgia ?

      – Par le ciel ! s’écria César Borgia, ces Français sont plus habiles encore dans l’art de la parole que dans l’art de l’épée… Jeune homme, vous me plaisez… Répondez-moi franchement… Qu’êtes-vous venu faire en Italie ?…

      – Je suis venu dans l’espoir d’être admis à servir sous vos ordres, monseigneur… Pauvre d’écus, riche d’espoir, j’ai pensé que le plus grand capitaine de notre époque pourrait peut-être apprécier mon épée…

      – Certes !… Eh bien, votre espoir ne sera pas trompé… Mais comment se fait-il que vous parliez si bien l’italien ?…

      – J’ai longtemps séjourné à Milan, à Pise, à Florence, d’où je viens… et puis, j’ai lu et relu Dante Alighieri… C’est dans la Di-vine Comédie que j’ai pris mes leçons.

      À ce moment, dom Garconio s’approcha de Borgia.

      – Monseigneur, dit-il, vous ne savez pas que cet homme a osé porter la main sur un homme d’Église… Songez que, sans lui, Primevère serait en votre pouvoir…

      Ragastens n’entendit pas ces mots. Mais il en devina le sens. Il comprit, à l’expression de sombre menace qui envahissait le vi-sage de Borgia, que son affaire allait peut-être prendre mauvaise tournure.

      – Monseigneur, dit-il, vous ne m’avez pas demandé où et quand je vous ai connu… Si vous le désirez, je vais vous l’apprendre…

      Le chevalier déganta rapidement sa main droite. Au petit doigt de cette main brillait un diamant enchâssé dans un anneau d’or.

      – Reconnaissez-vous ce diamant, monseigneur ?

      Borgia secoua la tête.

      – C’est mon talisman, reprit le chevalier, et il a fallu que j’y tienne pour que je ne le vende pas, même pour me présenter en une tenue décente devant vous… Voici l’histoire de ce diamant… Un soir, il y a quatre ans de cela, j’arrivais à Chinon…

      – Chinon ! s’exclama Borgia.

      – Oui, monseigneur… et j’y arrivai le soir même du jour où vous y fîtes une entrée dont on parle encore en France… Jamais on n’avait vu, et jamais sans doute on ne verra rien d’aussi ma-gnifique… Les mules de votre escorte étaient ferrées d’argent… et quant aux chevaux, ils portaient des clous d’or à leurs fers… et ces clous tenaient à peine à la corne, en sorte que mules et che-vaux semaient de l’or et de l’argent sur votre passage, et que la population se ruait pour ramasser ces bribes de votre faste…

      » Le soir, vers minuit, vous commîtes une grande impru-dence… Vous sortîtes du château… seul !… Ayant franchi la porte de la ville, vous vous dirigiez vers une certaine demeure écartée, de riche apparence, lorsque…

      – Lorsque


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